Quand vous entrez par la porte principale de la Vapeur à Dijon, vous vous retrouvez dans une salle de concert miniature, antichambre de la grande salle. La scène est basse mais plutôt spacieuse, des tables sont installées sur le parterre et une personne tient le bar tout au fond, prête à vous donner les clés des studios de répétition quand l’heure sera venue et à vous servir une bière si le cœur vous en dit et si vous avez la monnaie pour. A l’époque du lycée, quand nous allions répéter dans ces studios au matos défraichi, nous restions une petite demi-heure, assis dans le calme chaleureux d’un album choisi par le tenancier à siroter une mousse et à lire des magazines rock mis à notre disposition. En entrant dans la salle un jour de printemps, nous fûmes accueillis par des chants d’oiseaux jaillissant de tous les murs, suivis d’une guitare aux accords lancinants, dégradés, d’un clavier discret mais profond et d’une ligne de chant qui ne peut s’écouter que les yeux fermés, bercé d’une douceur que jamais je ne sus retrouver ailleurs: « On a trip to Cirrus Minor, I saw a crater in the sun, a thousand miles of moonlight later »…
Allant commander les boissons rituelles à la fin de ce qui s’avéra être l’une des plus belles expériences musicales de ma vie, je demandai au gérant quel était l’album que nous étions en train d’écouter. Mon regard plongé sous ses cheveux blancs, dans son strabisme de caméléon - ne riez pas ça lui donnait un côté perché sympa - il m’énonça les trois noms fatidiques, responsables de semaines d’écoutes souvent célestes, parfois infernales, d’une discographie aussi riche et intense qu’inégale sur sa fin. Relics, Pink Floyd. Mon introduction au psychédélisme.
Relics agence entre eux des morceaux relatant de la période 1967-69 du Floyd: singles et b-sides avec ou sans Barrett, extraits de Piper, Saucerful et More et seulement deux titres inédits, l’un seulement connu dans sa version live et l’autre enregistré durant les sessions de Ummagumma. Bien que la moitié des titres soient disponibles sur les trois premiers opus et que l’on connait la volonté de leurs auteurs de ne pas voir leurs œuvres divisées en feuilles volantes pour garder le sentiment premier (ce sont eux qui ont choisi la sélection des titres), Relics se révèle être une compilation vraiment bien foutue pour quiconque ne s’est pas encore intéressé aux premières ères de la formation. "Arnold Layne" et "See Emily Play" plongent l’auditeur dans le ton enjoué et décalé de Syd Barrett et les premiers enregistrements du groupe avant The Piper At The Gates Of Dawn. Contrechants volatiles, improvisations sucrées et acides lorgnant vers les expérimentations live de l’époque tout en gardant une consistance, des sonorités pop, sous des paroles drôles et légères.
Esquivant les morceaux phares de cette période comme "Set the Controls" ou "Astronomy Domine" et ne présentant que quelques uns de ses singles,
Relics se concentre sur des perles qui méritaient d’être mises en valeur par une seconde publication. Sa cohésion est profondément appréciable et on se retrouve happé par l’avancée du disque, dans ses changements de climats, son évolution et la douceur des titres qui le composent, mention toute spéciale pour le tryptique "Remember A Day", "Paintbox", "Julia Dream" qui enivre l’auditeur dans une savoureuse torpeur et en fait trois des plus beaux moments que
Pink Floyd ait pu offrir, son romantisme certain étant souvent laissé de côté au profit des albums plus grandiloquents des seventies.
Relics, malgré son incomplétude, a le grand mérite de mettre en avant cette facette sensible moins connue du quatuor. "Remember A Day", tirée de
Saucerful Of Secrets était l’une des premières compositions d’un Rick Wright timide mais déjà emprunt de ce côté fiévreux et onirique qui transpire de son caractère et "Paintbox", un autre morceau typique du claviériste, se voit relevé d’une ligne de basse catchy et d’accords clairs sur lesquels s‘allongent les regrets de sa voix charmante habituée aux contrechants automnaux. "Julia Dream", elle, dévoile l’écriture d’un
Roger Waters bien moins vautré dans son pathos que ce que le futur offrira mais déjà angoissant, bordé sous une flute rêveuse et des nappes célestes, la voix de
David Gilmour contant un sommeil agité tourné vers la belle Julia.
Premier des deux inédits présentés par Relics, "Careful With That Axe Eugene" n’était alors disponible que dans le disque live de Ummagumma. Les cris glaçants de Waters y sont particulièrement violents dans l’explosion de la tension contenue lors de sa première partie, annoncée par le roulement agressif de Nick Mason. Son dernier mouvement, s’il est synonyme d’apaisement après l’orage sonore, n’en est pas moins menaçant comme dans la plupart des compositions du bassiste, souvent torturées. Malheureusement toutes les versions officielles de cette pièce aux innombrables versions et avatars ne seront pas à la hauteur du grandiose auquel elle pouvait prétendre dans certains concerts. Le second inédit porte le nom de "Biding My Time" et était une pièce jouée durant la tournée dont est extrait le bootleg The Man And The Journey. Chute de Ummagumma, l’ambiance feutrée de ce blues langoureux ramène aux influences primaires du groupe (quand les deux prénoms de Pink Anderson et Floyd Counsil furent associés) dans un crescendo palpable et un relâchement total voyant Wright enfin réussir à placer son trombone fétiche et Gilmour exécuter un solo d’enfer jusqu’au final détonant.
Evidemment, Relics reste une compil’ et ne remplacera pas l’écoute d’un album dans son intégralité. Mais de toutes celles qu’à connu Pink Floyd, elle est la plus riche et la plus représentative du penchant du groupe pour les belles mélodies et la douceur sensible, laissant place à des titres qui méritaient mieux qu’une simple face b tout en incrustant des extraits d’albums riches et explicites avec "Interstellar Overdrive", "Bike" et "Remember A Day". Il sera très apprécié des amoureux des premières années tout en constituant une très bonne porte d’entrée à ceux voulant s’y initier. Une compilation cohérente et efficace, chose trop rare pour ne pas l’encenser.