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Interview Jil is Lucky


Clément, le 31/05/2016

Après l'échec que fût la tentative d'interview en face à face avec Jil is Lucky lors de son concert aux 4 écluses (dont vous trouverez le report ici) faute de timing, nous avons finalement pu nous entretenir avec Jil Bensénior quelques semaines plus tard au téléphone. Ces lignes sont ainsi la retranscription d'une conversation riche où l'artiste nous dévoile son parcours au sein du projet Manon dans ses moindres détails et bien plus encore...


Albumrock : Jil Is Lucky, une référence ou signification personnelle particulière derrière ce nom ?


Jil : Alors, au delà du fait que ce soient mes initiales (J.I.L), au début je voulais m'amuser avec le nom et faire une trilogie d'albums avec Jil is Lucky, Jil is Lazy et Jil in Love et c'est un peu ce que j'ai fait finalement au niveau de l'ambiance de mes 3 albums sauf que j'ai gardé Jil is Lucky car ça me plaisait. Ca fait comme une sorte de grigri porte-bonheur un brin ironique et ça sonne bien je trouve.


Albumrock : Tu travailles avec le label indépendant RoyMusic, notamment aux côtés d'autres artistes français comme Mademoiselle K, Toxic Avenger ou encore Talisco avec qui tu as fait un cover de "Modern Love" en hommage à David Bowie. Comment cette collaboration a-t-elle commencé ?


Jil : En fait, c'était à l'époque de MySpace. Je finissais à peine mes études, j'avais mis mes morceaux en lignes et je me suis très vite fait contacté par plusieurs maisons de disque, dont RoyMusic. J'avais également rencontré deux représentants de majors mais, même avec le peu d'expérience que j'avais, je savais que je ne voulais pas travailler avec des majors. Jamais.


Albumrock : Pour la liberté artistique ?


Jil : Voilà exactement. Mais aussi d'un point de vue éthique, déontologique, tout ce que tu veux (rires). Je voulais vraiment être auto-produit et j'ai rencontré Yvan, le directeur de RoyMusic, avec qui on avait prévu un café une demi-heure. Au final on est resté tout l'après-midi à parler musique c'était génial et ça s'est fait. Résultat, ça fait des années et des années qu'on bosse ensemble, ce qui fait que l'on peut se permettre de faire des projets aussi fous que Manon. Parce qu'aujourd'hui, un album comme Manon, qui n'a pas de single, qui n'est pas radio, qui est un album concept en français à une époque où tout le monde écoute la musique par titre, j'ai le sentiment que ça n'aurait jamais été possible avec une major. Pour moi le projet Manon c'est presque l'œuvre d'une vie et j'avais vraiment envie d'aller au bout de ça.


Albumrock : Peux-tu nous parler un peu de tes influences musicales ? Pop, Progressive...


Jil : Comme je fais de la musique depuis tout petit je suis passé par pleins d'inspirations très différentes. Donc oui beaucoup de prog, des trucs douteux même (rires).


Albumrock : Des noms pour illustrer tout ça ?


Jil : Beaucoup de Tangerine Dream, beaucoup de Kraftwerk aussi, des choses comme ça. J'écoutais beaucoup de Cohen, Dylan, Nick Drake aussi. Ensuite j'avais un groupe de reprises quand j'avais 14 ans avec qui je jouais à fond du Rage Against The Machine et du Nirvana, pas du tout le même registre. Ensuite plus tard dans ma chambre d'étudiant vers 17-18 ans je commençais à faire mes compos et c'était essentiellement du punk avec les Sex Pistols... Après j'ai beaucoup voyagé et j'ai cru qu'à chaque fois la musique locale était ma révélation même si c'était n'importe quoi. Genre le Mariachi, il n'y a que ça de vrai (rires), le Klezmer aussi. D'ailleurs c'est pour ça que sur le premier album c'est très bordélique, il y a du Klezmer, du Mariachi, de la prog aussi... En fait je considère que la musique pop a un éventail extrêmement large. Ca va de la prog à l'électro, en passant par le grunge, le rockabilly... Au final mon angoisse totale c'est de me répéter. On ne fait jamais assez d'albums dans une vie et avoir deux albums de pop qui se ressemblent serait un énorme échec. D'ailleurs là je travaille sur le 4ème album qui sera plus inspiré du métal allemand... non, non là je plaisante (rires). Je ne sais pas encore à quoi il ressemblera mais ce sera différent ça c'est sûr.


Albumrock : Concernant ce côté progressif que l'on retrouve parfois dans ta musique, notamment avec le magnifique "Hovering Machine" de ton premier album mais surtout dans cette vision d'album concept que Manon illustre très bien, dans quelle mesure t'identifies-tu ou non à ce genre ?


Jil : Je crois que j'aime la profondeur dans la création. Parfois j'aime faire le morceau efficace, le gros refrain qui tâche et qui reste dans la tête, ça marche c'est cool. Mais j'aime avant tout qu'il y ait du fond dans l'art et la création. Dans "Hovering Machine" il y a toute une histoire de rupture avec pleins de sentiments différents. Il y a de la sensualité, du calme, de la colère, de la folie, il y a tout ça. Il y a ce côté à la fois prog, post-rock et un peu aussi un côté Neil-Youngien de l'époque de On The Beach. Avec Manon, comme je suis passé au français, j'avais envie de mêler la littérature avec la musique, mes deux passions. Passer au français m'a forcé à ressortir un peu la littérature et les codes de poésie comme l'alexandrin, l'octosyllabe etc. J'avais envie de décliner les sentiments et de prendre le temps d'aller à contre-courant de ce qui se fait le plus aujourd'hui, d'essayer d'avoir le moins de références possibles à la musique actuelle. Il n'y a que des batteries style 70's, des vieilles basses, il n'y a aucun clavier sur l'album, que des Gameboy, des Nintendo... (rires). Je crois que si tu mets Manon à côté d'un album actuel ça n'a absolument rien à voir et c'était aussi le but. J'ai notamment été très surpris que l'album soit joué en radio. Je ne m'y attendais pas du tout et ce n'était pour moi pas du tout compatible avec le format. On était d'accord là dessus dans la direction artistique et on a finalement été joué sur Ouï FM, Europe 1, France Inter qui la rentre en playlist... J'étais content mais je ne m'y attendais vraiment pas.


 


Albumrock : Qu'en est-il de Manon ? D'où te vient l'idée d'un tel projet aussi bien audio que visuel avec le court-métrage en 360° ?


Jil : A la base Manon c'était vraiment une fable musicale que j'ai écrite dans mon coin, pour lequel j'ai mis beaucoup de temps à conceptualiser le personnage de Manon, à dessiner ses contours... petite blonde, franco-japonaise etc. Une fois que l'album était terminé j'ai fait écouter ça au label d'une traite, je ne fais jamais écouter de morceaux avant, et ils m'ont demandé si je voulais trouver une Manon par le biais de castings etc. D'abord j'ai refusé car je préférais que chacun s'imagine sa Manon. Puis au cours d'une soirée sur Paris, l'un des membres du label me parle d'une gamine dans Paris en train de tout casser mais pour l'instant encore accessible. Il m'a donc proposé de m'envoyer des photos ainsi qu'un film afin que je lui dise ce que j'en pense. Quand il m'a envoyé tout ça j'ai halluciné, c'était elle, c'était Manon. Donc on a tout de suite pris rendez-vous avec elle, Moon Kyu Lee, pour lui proposer et on a été subjugué par le personnage. Donc on a décliné ça au maximum avec des photos, des films, et avec la grande mode du 360° Yvan a eu l'idée de s'y frotter avec un court-métrage.


Albumrock : Une belle surenchère d'idées en somme.


 


Jil : Exactement (rires). Et c'est ça qui est génial avec cette direction artistique ! Ca n'a vraiment pas de prix.


Albumrock : Pour financer la production de ce projet tu as également tenté de passer par le Crowdfunding. Quel est ton retour de cette expérience ?


Jil : Pour ma part je ne connaissais pas du tout. On a commencé à avoir du monde dessus alors qu'on en faisait la promotion et très vite il y a le CNC (Centre National du Cinéma) qui a reçu le dossier du projet et qui a vraiment surpassé nos attentes dans son financement. Donc nous avons complètement abandonné la démarche et nous avons contacté tous les participants pour leur expliquer la situation. C'était assez délicat car toutes ces personnes avaient donné de l'argent. Or, pour être honnête, nous n'en avions plus besoin donc je ne me sentais pas d'en continuer la promotion et de prendre de l'argent aux gens. Donc ce n'est pas vraiment quelque chose que je referai.


Albumrock : Dans cet album tu nous racontes une histoire d'amour plutôt tragique. D'où t'es venu l'idée de cette histoire ? Quel en a été le processus d'écriture ? Scénario, mélodies puis histoire...


Jil : Personnellement je pars pas mal des mots. J'ai commencé l'album en en écrivant les deux premiers alexandrins par hasard. Je voulais écrire une poésie très directe, très parlée, mais dans une forme très classique. Donc j'ai décidé d'écrire en alexandrins. "Ca fait des mois que je n'ai plus de nouvelles d'elle, finalement petite blonde en soixante et quelques". Donc c'était exactement  ce que je voulais faire. La puissance de l'alexandrin c'est que c'est une forme tellement naturelle de phrasé qu'on ne le repère pas forcément, et il offre beaucoup de fluidité dans la phrase. Un peu comme l'octosyllabe que j'utilise aussi beaucoup dans l'album, notamment dans une chanson qui s'appelle "Le reste en l'air". Je partais vraiment des mots et je savais ce que je voulais raconter dans le disque. Ce qui me plaît dans le français c'est la forme qui va donner le fond car le français c'est toute une histoire de style. Je voulais avoir les bons mots pour raconter l'histoire, somme toute très simple, d'un type qui tombe amoureux d'une gamine branchée. Au moment même où il la rencontre il sait qu'il va se faire broyer en mille morceaux. Ensuite il morfle et puis voilà (rires). C'est ça qui m'intéressait. Le côté hyper anodin d'une histoire et puis aller chercher au fond des sentiments à l'inverse de ce côté anodin justement, très profonds dans la douleur et la souffrance.


Albumrock : Jusque là, aucun de tes deux albums précédents ne contenait ne serait-ce qu'une seule chanson en français. Ici, Manon est chanté presque exclusivement dans la langue de Molière ce qui a dû être surprenant pour ton public. C'est réputé comme étant un exercice très différent. Peux-tu nous expliquer ce choix plus en détails ?


Jil : C'est un choix qui s'est vraiment posé à moi dans le sens où déjà j'ai toujours écris de la poésie pour moi. J'ai fait des études de lettres et j'ai toujours été fasciné pour ne pas dire obnubilé par des auteurs de poésie comme Rimbaud, Baudelaire etc. Ce sont des choses que je relis constamment, que je connais et apprends par cœur de manière presque psychorigide. Je lis la même chose tout le temps.  Et je pense que j'écrivais beaucoup en anglais parce que j'avais peur de ça. J'avais le complexe du style car connaissant dans les moindres détails "la parole des maîtres" j'avais peur de m'y frotter. Donc ça m'a pris du temps pour m'affranchir de ça et puis comme c'est de la musique et non de la poésie pure, ça laisse la possibilité par moments de laisser la musique prendre le dessus et de raconter la suite des paroles. Typiquement, dans "Le goût de l'aventure" tu auras "Ses leggings baissés jusqu'aux chaussures, avec un autre que moi sur, le dos Manon se laissait faire" et hop les violons prennent la suite et au moment où on vient de se prendre cette phrase dans la tronche, on voit Manon en train de se faire prendre sur le capot d'une bagnole et on sent la douleur, la jalousie, la furie etc. Donc ça a mis du temps mais pour raconter l'histoire de Manon ça a été une évidence.


Albumrock : J'ai le sentiment que là où Tiger's Bed, ton deuxième album, contrastait beaucoup avec ton premier opus éponyme dans l'utilisation beaucoup plus présente d'influences électroniques, ici, Manon reflète un certain équilibre entre les deux. Il y a un côté orchestral très présent que tu couples avec des sons électros dans le style 8-bit. Quel est ton ressenti concernant l'évolution de ton travail musical sur ces 3 albums ?


Jil : Ca a été trois albums fait de manière très différente. Je crois que j'ai quand même gardé ce que j'ai toujours aimé, c'est-à-dire un son de basse-batterie très 60's. Sauf que dans Tiger's Bed c'est produit à la Hollywood donc on se la raconte un peu dessus et le son est juste énorme. Mais c'est exactement ce que l'on recherchait, ce qui n'était ni le but du 1er album, ni le but de Manon. Là dans le deuxième on voulait vraiment le gros son américain. Le 1er opus a été complètement auto-produit par la bande, le 2ème a été fait par un gros producteur américain, Jason Lader, qui a fait tant du Julian Casablancas que du Justin Bieber ou du Coldplay etc. Et là sur le 3ème j'ai vraiment travaillé avec Klement, qui fait de la musique de film, avec qui on a écrit ensemble l'univers de Manon en se posant quelques bases du type : orchestres à la Melody Nelson (Gainsbourg), une basse batterie un peu à la Hunky Dory de Bowie, je voulais du son 8-bit vraiment reconnaissable de Gameboy et la voix vraiment devant, sans effets, simple. Donc donner autant de références à un mec et qu'il s'en sorte c'est plutôt bon signe (rires). Je voulais vraiment que la musique soit un tapis avec presque tout au même niveau, la basse, la batterie, les cordes et tout, que ce soit hyper harmonieux même avec le 8-bit. Comme dans la première interlude de l'album : "Chip Romance". Un ensemble cohérent avec la voix devant qui raconte l'histoire. De plus, un producteur spécialisé dans les musiques de film pour raconter une histoire comme Manon c'était complètement le profil pour apporter cette cohérence symphonique dans tous ces instruments. Ca a été un travail monumental. Je n'ai jamais passé autant de temps sur un album. C'est l'équivalent de 6 mois de studio, aujourd'hui ça ne se fait quasi plus. En général on reste sur 15 jours, pas plus.


Albumrock : Quelle est la suite pour Jil Is Lucky ? Comment vois-tu le groupe à moyen et long-terme ?


Jil : Une tournée pour Manon à l'automne, puis au printemps, d'ici à trouver la couleur du prochain album, je vais faire une sorte de Jil is Lucky - Lost Tapes avec pas mal de chansons inédites que je n'avais jamais enregistrées, ça devrait sortir d'ici fin 2016 ou 2017 je ne sais pas encore.


Albumrock : Pour revenir sur ce live, aux 4 écluses, ce que j'avais vraiment apprécié c'était ce côté hors "fan service" où tu avais visiblement décidé de jouer Manon de A à Z jusqu'au bout, quitte à rentrer dans le personnage du CD. C'était important pour toi de concevoir le concert comme ça ?


Jil : Oui j'avais vraiment imaginé le live comme ça. Je ne pouvais pas, ni mélanger des morceaux des anciens albums, ni jouer Manon dans le désordre. Il fallait vraiment que Manon en live ce soit l'album de A à Z dans l'ordre. Et puis après, rappel freestyle. Si le public veut vraiment voir d'autres chansons, ils me le disent et on les joue dans la mesure du possible. Là au café de la danse dernièrement on a fait quelques morceaux en acoustique, puis une dizaine de personnes se sont mises à crier "On veut Hovering Machine !", donc on a tout rebranché et on l'a jouée en entier c'était génial. Mais c'est vrai qu'avant ça, le set Manon c'est le set Manon.


 


Albumrock : Et ce personnage que tu joues dans l'album comme sur scène, est-il inspiré de toi ?


Jil : Bien sûr ! C'est totalement inspiré de moi, de ce que j'ai pu ressentir lors de mes relations amoureuses et c'est vrai que je suis beaucoup inspiré par ça. Et puis dans la musique je pense qu'il faut écrire des chansons d'amour parce que sinon on n'a pas le temps, si on veut écrire autre chose il faut se lancer dans un bouquin (rires). Je ne sais plus qui disait ça, je crois que c'était Gainsbourg. Donc oui, j'en ai beaucoup chié avec ça donc je l'ai écrit, voilà (rires).


Albumrock : Un grand merci à toi pour cet échange. As-tu un message à faire passer en particulier pour le mot de la fin ?


Jil : Ecoute là tout de suite je n'ai pas d'idées, je ne sais pas si tu l'entends mais je suis au bord de l'eau au soleil donc j'ai le cerveau complètement vide de choses à dire si ce n'est : Profitez de la vie ! (rires)


Un grand merci à Jil Bensénior d'avoir accepter de nous consacrer du temps au téléphone pour réaliser cette interview extrêmement riche.


http://www.jilislucky.com/


Interview effectuée le 20/05/2016

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