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Chronique Livre

Bring The Noise - Vingt ans de rock et de hip-hop


Auteur: Simon Reynolds, traduction: Charles Recourse
Editeur: Au Diable Vauvert
Date de sortie: 7 mars 2013
"Une réflexion sur la pop et le journalisme musical"
Pierre D, le 18/03/2013
( mots)
Simon Reynolds est un des journalistes musicaux les plus passionnants du monde, et ce presque 40 ans après ses débuts. Il a publié le livre définitif sur le post-punk (Rip It Up And Start Again), il a théorisé l'obsession pour le passé symptomatique de ce début de 21ème siècle (Retromania : comment la culture pop recycle son passé pour inventer son futur) et il tient un blog intéressant (Blissblog). Bring The Noise : vingt ans de rock et de hip-hop (on préférera le sous-titre original 20 years of writing about hip rock and hip hop) se présente comme une compilation des articles publiés par Reynolds dans divers journaux (Melody Maker, Wire), fanzines et blogs en prenant les choses là où il s'était arrêté avec son livre sur le post-punk, soit en 1985.

Avant toute chose Simon Reynolds écrit très bien. À la lecture de Bring The Noise on est sidéré par la qualité des articles, le plus ancien ayant été écrit alors que ce monsieur avait 22 ans. Le vocabulaire est d'une richesse impressionnante, témoignant d'une recherche quant au sens et aux ressentis que peuvent faire naître les mots quand ils sont appliqués à la musique, exercice des plus difficiles, ainsi que l'illustre la phrase probablement apocryphe de Frank Zappa qui veut qu' "écrire à propos de musique c'est comme danser à propos d'architecture". Un exercice des plus casse-gueules donc, et Reynolds s'en sort admirablement. En 1985 il écrit un discours sur L'état de la pop en 1985 et on voit déjà poindre ce qui fera l'écriture et les obsessions de Reynolds tout au long de sa carrière (qui à l'heure où ces lignes sont écrites, n'est pas terminée). "Le problème de la pop est-il un manque d'honnêteté ou d'âme ?" Avec cette phrase, Reynolds affirme son caractère exigeant avec la musique pop. Alors que d'autres vont vouloir trouver dans cette musique un art finalement assez simple et mettront en avant le fun ou l'énergie, Reynolds cherche dans la pop autre chose. Selon lui, cette musique doit dire quelque chose. Il est impossible qu'un individu s'interroge sur l'honnêteté et l'âme supposées d'un art populaire sans en attendre quelque chose. L'écriture de Reynolds est peut-être dès lors un long plaidoyer pour ajouter du sens à la pop. Puisque cette musique lui dit quelque chose, lui de son côté en dit quelque chose aussi, quelque chose qui puisse parler au plus grand nombre (ou tout du moins à ses lecteurs). Bring The Noise oscille dès lors sans cesse entre le particulier (la pop comme expérience intime) et l'universel (la pop comme grille de lecture possible du monde). En cela son écriture et son appréhension de la pop se rapproche de celle de Nick Hornby, notamment dans son livre le plus connu, High Fidelity, qui adopte le point de vue d'un trentenaire dont la vie amoureuse est intimement liée à son expérience de la pop, cette musique lui disant quelque chose de la vie, l'amour, la mort, tout ça. Cette expérience est résumée par Hornby : "Comment ne pas devenir ainsi le genre de type qui tombe en miettes quand son premier amour tourne mal ? Quelle fut la cause et quel effet ? La musique, ou le malheur ? Est-ce que je me suis mis à écouter de la musique parce que j'étais malheureux ? Ou étais-je malheureux parce que j'écoutais de la musique ?"

L'article Plus jeunes qu'hier : la pop indé et son culte de l'innocence paru le 28 juin 1986 dans le Melody Maker se penche sur la pop en tant qu'expérience intime, ce qu'elle dit à l'auditeur : "l'indie-pop quant à elle parle d'amour en termes presque surannés de dévotion et d'idéalisation, pratiquement sans allusion au sexe". Il est amusant que Reynolds doive attendre d'avoir 23 ans pour formuler les ressentis que fait habituellement naître la musique pop chez les adolescents quasiment 10 ans plus tôt. Mais il explique lui-même qu'il s'agit là d'une "conception romantique de l'enfance que seuls peuvent porter les littéraires (c'est-à-dire le fan d'indé ou le lecteur de presse musicale moyen)". Il y a peu d'ironie chez Reynolds car pour lui la pop est une affaire sérieuse.
Assez sérieuse pour constituer un angle d'attaque quant il s'agit de décrypter le monde contemporain. Dans Les colonialistes bien intentionnés : une critique de la "world music" (avec Paul Oldfield) Simon Reynolds met en lumière l'erreur que constitue l'idée d'une authenticité perdue en Occident à aller chercher du côté des cultures noires et tribales : "Cette nouvelle orthodoxie se trompe. Toute culture est aliénation, acte de refoulement et altération de la nature". Plus qu'une simple critique rock, Reynolds propose une œuvre hybride, à mi-chemin entre la critique musicale et l'essaie de sociologie. Mais là où d'autres se contentent de plaquer des concepts philosophiques mal digérés sur de la musique pop, l'auteur de Bring The Noise semble effectuer le cheminement inverse et faire de la pop une base intellectuelle permettant de partir à la découverte d'autres disciplines et pensées.

Mais Bring The Noise n'est pas une simple somme d'érudition illisible. D'abord le livre offre un point de vue passionnant sur le paysage musical apparu après le post-punk. Les articles datant des années 80 sont marqués par un "mélange bizarre de réaction et de progressisme" (The Smiths : un éloge in Melody Maker, 26 septembre 1987). Le grand ennemi de Reynolds pendant cette décennie, une fois passée l'euphorie post-punk (lire à ce sujet l'excellent Rip It Up And Start Again du même auteur), c'est la soul synthétique qui plagie très mal ce que David Bowie avait accompli 10 ans auparavant : Simple Minds, Duran Duran, bref les garçons coiffeurs. Reynolds cherche un peu partout une pop capable de rivaliser en termes de nouveauté et d'inventivité avec la période post-punk tout en étant capable de dire quelque chose à ses auditeurs.
Puis à partir des années 90 l'auteur se passionne pour la culture rave et signe d'excellents articles sur des genres musicaux généralement traités uniquement par des spécialistes et des techniciens. "Pas de chansons ici : les phrases de clavier sont banales, ce qui accroche c'est un timbre, une ligne de basse viscérale, un beat épileptique. Tout comme la musique avant-gardiste, le hardcore évacue le développement mélodique au profit de la répétition, des bourdonnements, des sonorités atonales, des sons trouvés." (RRRRRUSH !: raves et radios pirates à Londres in Melody Maker, 4 juillet 1992). Le journaliste fait ici preuve d'un éclectisme réjouissant et inhabituel. Il y a certains critiques qu'on aime pour leurs partis pris radicaux et leur snobisme assumé (Lester Bangs, Nicolas Ungemuth). On en déteste d'autres pour leur éclectisme de façade qui consiste à louer ce que tout le monde aime et à massacrer ce que tout le monde méprise (Philippe Manœuvre). Reynolds lui parle (bien) de techno hardcore comme de Public Enemy avec un amour palpable pour la musique électronique comme pour le hip-hop alors en pleine explosion. En écrivant sur Missy Elliott et sur Hüsker Dü avec la même ferveur, Reynolds affiche un mépris souverain pour les distinctions mainstream/underground dans lesquelles s'empêtre souvent la critique rock.

Loin de l'illusion rétrospective qui tend souvent à donner après-coup une importance démesurée à des choses qui n'en avaient que très peu sur le moment (le mouvement punk par exemple), Bring The Noise s'attarde parfois sur des scènes musicales (2-Step) ou des groupes (Manic Street Preachers) mineurs à l'échelle de l'histoire de la pop mais qui, lors de la parution des articles, semblaient à Reynolds assez significatifs pour en parler. Ces articles témoignent d'un réel enthousiasme pour la pop et d'une volonté de défricher le terrain, d'aller de l'avant pour trouver de nouveaux groupes, de nouvelles musiques excitantes, plutôt que de rester bloqué sur des âges d'or fantasmés et un discours fait de connivence intellectuelle, dénoncé avec humour sur le tumblr je suis journaliste musical. Même en 2006, soit 20 ans après la parution de Qu'est-ce qui manque ? L'état de la pop en 1985, Simon Reynolds continue de construire un discours et une réflexion aventureuse sur la pop (en l'occurrence avec les Arctic Monkeys), remettant en cause ses propres mécanismes d'appréhension de la musique, le discours de ses confrères et son propre discours.
L'idée judicieuse de Bring The Noise est d'avoir ajouté après chaque article une note de l'auteur qui donne son point de vue actuel sur son article : ce qu'il regrette, ce qu'il a voulu dire, etc. Bring The Noise est donc plus plus qu'une simple compilation d'articles, il est aussi une réflexion sur le travail de journaliste musical, explorant ses recoins, ses hésitations et ses contradictions.

Quant à la thématique de Bring The Noise, elle n'est malheureusement qu'un prétexte. En introduction Simon Reynolds dit vouloir "tisser une sorte d'histoire de la musique populaire des vingt dernières années" au travers de la relation entre la street music noire et l'underground blanc. D'une part cet angle ne transparaît que de manière sporadique tout au long du livre, d'autre part il n'est pas certain qu'il soit très pertinent. Pas grave, les articles sont bons, les réflexions enrichissantes et l'écriture d'une richesse impressionnante.

Site de l'éditeur : Au Diable Vauvert

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