L’étrange groupe de blues-rock Touareg marque avec Tassili un retour toujours emprunté d’une certaine discrétion qu’ils ne méritent pas, mais qui colle tellement bien avec l’image d’une formation à l’histoire aussi étonnante que grave et passionnante. Une histoire qui se retrouve bien loin de celle de groupes occidentaux, où la mort, l’exil et la violence se retrouvent être le quotidien de chacun des membres, depuis qu’ils se sont croisés dans les camps d’entrainement de Kadhafi ou en pleine rébellion Touareg contre les gouvernements du Mali et du Niger. Ainsi en plein conflit, ils ont su devenir des véritables stars de la musique world, une arme dans une main et une guitare électrique dans l’autre. Curieux cocktail.
Mais ici, point de mitraillette. Point non-plus de guitare électrique, d’ailleurs.
Tinariwen a dû partir à nouveau de leur Mali natal, dont leur région d’origine, au nord du pays, est en conflit. C’est donc au-delà de la frontière, en Algérie, dans la région du massif du Tassili n'Ajjer qu’ils ont installé leur studio mobile. L’occasion pour le groupe de retourner aux sources et de proposer dans ce disque une musique plus authentique, acoustique, entre styles berbère et mandingue. D’un point de
vue
musical, c’est donc un petit regret de voir qu’ils n’ont pas exploité ce qui faisait leur force sur les albums précédents, à savoir une touche de blues et de rock savamment sertie à une musique traditionnelle, qui prend ici une place prépondérante. Mais le dépaysement est tel que l’on peut se permettre de leur pardonner. De même que les conditions extrêmes dans lesquelles ils ont enregistré
Tassili rehausse l’intérêt pour ce petit bijou de musique du monde.
Transportés, on se retrouve confortablement installés dans un cocon chaud, tapissé du sable du désert que nous sert notre imaginaire à l’écoute des titres mélancoliques de cet album. Des claquements de main pour un rythme binaire et simple ou des guitares acoustiques pour des boucles répétitives y sont aussi certainement pour quelque chose. Une sorte de transe organique, en somme, chaleureusement amplifiée par le chant incompréhensible interprété par la voix gutturale du leader Ibrahim Ag Alhabib. Devant l’ouverture au monde du groupe nomade, d’autres voix se sont invitées sur cet album, notamment celles de Tunde Adebimpe et Kyp Malone du groupe new-yorkais
TV On the Radio, présents sur bon nombre de morceaux du disque. Des instruments plus occidentaux se retrouvent également crédités au livret, comme la guitare de Nels Cline (
Wilco) sur "Imidiwan Ma Tennam" ou encore les cuivres du Dirty Dozen Brass Band, fanfare originaire de Louisiane, sur "Ya Messinagh".
Tinariwen prend donc au sérieux son rôle de citoyens du monde, pour une musique du monde qui porte bien son nom. Et malgré un enregistrement en plein
air
sous les nombreuses étoiles d’Afriques,
Tassili reflète toute l’ambition d’un disque de world music parfait, pour une invitation au voyage agréable auquel nous invite une bande de Touaregs apaisés.