L'age du rock

La montagne d'ouvrages existant sur le rock - encore qu'ils soient moins nombreux en France que dans les pays anglo-saxons - effraie souvent les lecteurs non spécialistes : que choisir, du dictionnaire ou de la monographie, du beau livre illustré ou de l'ouvrage censé tout nous apprendre sur David Bowie, les Stones ou Queen en 114 pages, et qui finalement ne nous révèle strictement rien (je parle bien sûr de la collection "Music Book" lancée cette année par l'éditeur Prélude et Fugue...) ? C'est à tous ces amateurs désorientés que s'adresse le livre d'Alain Dister, parfait compromis entre histoire du rock et biographie des groupes qui l'ont marquée.

L'âge du rock bénéficie d'une belle mise en page - ce qui ne suprendra guère l'habitué de la collection "Découvertes Gallimard" - ainsi que d'une iconographie abondante, parfaitement intégrée aux textes de l'auteur. Celui-ci, ex-chroniqueur du magazine Rock and Folk (il a participé dès 1966 au lancement de la revue) et auteur d'une quinzaine d'ouvrages sur les héros du rock tels Frank Zappa, Pink Floyd, Cure et Jimi Hendrix ou encore sur la Beat Generation, retrace l'évolution du rock, de 1954 - date de l'entrée en studio d'Elvis Presley à Memphis, Tennessee - aux années 90, consacrant à chaque décennie un chapitre plus que conséquent. Passion et érudition se mêlent dans cet essai à la fois précis et vaste dans son champ d'investigation (Dister ne s'intéresse pas qu'au rock anglo-saxon mais évoque également les grandes heures du rock français), qui se révèle de plus extrêmement agréable à lire. On se délectera particulièrement des pages consacrées à la guerre qui opposa à la fin des années 50 mods (étudiants issus de milieux aisés devenus rebelles et circulant à vespa) et rockers (jeunes issus du milieu ouvrier, partisans d'un rock plus proche de ses origines et vêtus de blousons en cuir), guerre qui vit finalement la victoire des premiers, donnant ainsi au rock la couleur contestaire qui allait le caractériser pendant les années 60.

Dans la longue liste des mérites de cet ouvrage, signalons également la présence d'une seconde partie intitulée "Témoignages et documents", typique de la collection "Découvertes", dans laquelle on trouve pêle-mêle :
- ce que des rockers comme Van Morrison, Iggy Pop ou Lou Reed pensent du rock.
- les extraits d'une confession de John Lennon dévoilant les dessous de l'aventure Beatles, et notamment les tensions qui allaient conduire à l'éclatement du groupe.
- un court dossier sur les rockeuses les plus célèbres : Patti Smith, Siouxsie, Janis Joplin et enfin Madonna - choix contestable, surtout au vu de l'interview totalement inintéressante choisie par Dister, dans laquelle la "material girl" apparaît plus ou moins comme une fillette écervelée.
- des coupures de presse consacrées aux festivals de Woodstock et de Wight - deux pages consacrées à l'émergence dans les années 80 du hard-rock et du heavy metal, tandis que dans le même temps on assistait à la renaissance d'un rock pur et dur, dans lequel les guitares supplantaient les synthés des années 70 (les Rita Mitsouko en France, Nirvana aux Etats-Unis).
- enfin, les chroniques de six disques ayant fait l'histoire du rock, telles qu'elles sont originellement parues dans le magazine Rock and Folk : The Jimi Hendrix Experience, LA Woman des Doors, Aladdin Sane de Bowie, Born to Run de Springsteen, Unknown Pleasures de Joy Division et le ô combien sulfureux Never Mind The Bollocks des Sex Pistols.

Dister se rattrape donc avec cet ouvrage, lui que l'on mentionne généralement pour avoir écrit la pire biographie jamais consacrée aux Beatles. Il est vrai que, entre approximations et erreurs flagrantes, son livre Les Beatles, paru à l?origine en 1972, était une sorte de cas d'école ! Dister y livrait une vision caricaturale et erronée du couple Lennon-McCartney : "Paul écrivait des chansons plutôt douces, toujours pour plaire aux filles, des mélodies traditionnelles" (p. 19), "Les compositions de John (...) étaient plus agressives, (...) très rock, comme autant de cris frustres. Les chansons de Paul ("If I fell") étaient plus sentimentales, mélodieuses, pleines de charme" (p. 112), "Comme toujours lorsqu?il puisait son inspiration dans le rock?n?roll de ses débuts, John Lennon faisait des merveilles : "Helter skelter" rappelait les débuts à Hambourg, les longues nuits passées à hurler à la limite de l?hystérie" (p. 150). Vision non seulement caricaturale mais également erronée, car Lennon a écrit bon nombre de ballades au sein des Beatles ("Accross the universe", "Julia") et en solo ("Imagine", "Jealous guy"), dont notamment "If I fell", que Dister attribue par commodité à McCartney. D'autre part, de son côté, Paul est l?auteur et l?interprète de nombreux rocks ravageurs, "Helter skelter" y compris ! Mais oublions nos griefs passés et reconnaissons que, s'il n'est guère le spécialiste des Beatles qu'il prétend être, Alain Dister n'en est pas moins un très bon historien du rock, de ces historiens qui savent enrichir leurs récits de détails croustillants et ainsi relier la petite histoire à la grande...

On pourra certes reprocher à l'auteur de n'avoir pas actualisé son livre, aujourd'hui vieux de douze ans. L'histoire du rock telle qu'il la raconte s'arrête aux débuts de Nirvana sur la scène de Seattle : il s'en passé des choses, depuis... On pourra regretter par ailleurs que, tandis que la partie consacrée aux années 50 - décennie fondamentale, il est vrai - couvre soixante-dix pages, Dister expédie tout ce qui s'est passé entre 1975 et 1992 en quinze pages. On aurait aimé en apprendre plus sur Bowie, les Sex Pistols et autres Cramps, Clash et Cure... L'âge du rock n'en demeure pas moins un ouvrage essentiel pour tous ceux que le rock intéresse et qui désire avoir une vue d'ensemble de son évolution. Un beau travail de vulgarisation, donc.