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Interview de Rosie McGee, auteure de Dancing With The Dead.


Steven Jezo-Vannier, le 02/10/2013
Photographe professionnelle, Rosie McGee, née Florence Nathan, est une amie proche du Grateful Dead, elle a notamment été la compagne du bassiste Phil Lesh. Membre de la « famille », elle a accompagné et photographié le groupe sur et hors de la scène, au plus près des musiciens. Aujourd'hui, elle a compilé cette « mémoire photographique » dans un livre intitulé Dancing With The Dead. Autour de 200 photos, elle redessine l'histoire du groupe et sa propre histoire avec le groupe. Elle nous fait le plaisir de revenir avec nous sur cette expérience.


Interview réalisée et traduite de l'anglais par Steven Jezo-Vannier
16-23 juillet 2013


SJV : Rosie, comment une fille née en France, à Paris, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, se retrouve-t-elle à San Francisco dans les années soixante ?
RMG : Mes parents, tous deux juifs français, ont survécu au conflit, ce qui n'est pas le cas de beaucoup de membres de leur famille et de leurs amis. Ils désiraient refaire leur vie loin de ces souvenirs de persécution et donner à ma sœur et moi un meilleur cadre de vie, en toute liberté. Ils voulaient également s'éloigner de la mère de mon père, dont l'omniprésence étouffait la famille. C'est pourquoi ils ont choisi de partir pour les États-Unis et de s'installer sur la Côte ouest du pays.


SJV : Rapidement, vous vous intéressez à la photographie et la musique, deux passions qui vous amènent à vivre au cœur de l'ébullition du quartier de Haight-Ashbury [berceau du mouvement hippie, à San Francisco]. Pour vous comme pour la plupart des acteurs de la contre-culture, tout commence avec l'immersion dans l'univers de la folk qui domine entre 1962 et 1964.
RMG : Quand je suis entrée à l'université, en 1962, pour suivre des cours de théâtre grâce à une bourse d'études, j'étais âgée de 16 ans et la scène folk était en pleine éclosion. J'ai tout de suite été attirée par la musique live, assise au milieu des musiciens qui abondaient dans la cafétéria de l'université et les cafés alentour. D'autre part, je jouais dans des pièces de théâtre à la fac et dans les petites salles du coin, dont beaucoup se trouvaient dans le quartier de North Beach, où la contre-culture commençait tout juste à s'affranchir du milieu beatnik [pour se déverser dans le quartier de Haight-Ashbury et donner naissance aux mouvements psychédélique et hippie].

SJV : Vous travailliez alors avec Tom « Big Daddy » Donahue [ancien DJ et patron du label Autumn Records] et l'ingénieur Sylvester Stewart [futur Sly Stone, leader de Sly & The Family Stone]. Quel était votre rôle à leur côté ?
RMG : Dans le bureau du label Autumn, j'étais chargée de suivre l'envoi et la diffusion des vinyls. Nous emballions les galettes artisanalement, dans l'arrière-salle... Il fallait ensuite envoyer les paquets aux distributeurs qui, à leur tour, les envoyaient aux magasins de disques.
Mais le travail le plus intéressant avait lieu pendant l'organisation des grands concerts de rock promus par Tom Donahue à San Francisco. [La scène san franciscaine était encore embryonnaire à ce moment. Le Grateful Dead, Jefferson Airplane, Janis Joplin, Country Joe et les autres groupes de la région étaient sur le point d'exploser. Tom Donahue a été l'un de leurs premiers promoteurs, avant Bill Graham.] Lors de tels événements, mon travail consistait à coordonner l'arrivée et le départ des différents groupes. Il fallait s'assurer de leur arrivée à l'aéroport de San Francisco et aller les chercher à temps pour les amener sur scène, après quoi il fallait les reconduire à l'hôtel ou à l'aéroport. C'est le premier job que j'ai eu dans une carrière de vingt années, passées dans les coulisses de la scène rock.


SJV : Puis vient la rencontre avec le Grateful Dead, dont vous devenez une intime, jusqu'à intégrer le premier cercle de la « Dead Family »...
RSG : J'ai rencontré le Grateful Dead pour la première fois dans les studios d'Autumn Records, lorsqu'ils sont venus enregistrer une démo pour Tom Donahue, qui a refusé de les signer sur son label. [La démo servira à la sortie de l'album Birth Of The Dead. Le Dead signera finalement avec la Warner en octobre 1966]
Un mois plus tard, en décembre 1965, j'ai assisté à l'Acid test de Muir Beach, mais je suis arrivée sur la fin et le groupe était déjà en train de ranger son matériel. [Le Grateful Dead a assuré l'animation musicale des Acid tests organisés par les Merry Pranksters, ces soirées sont alors le foyer du psychédélisme. Muir Beach est le troisième] Ce soir-là, Phil [Lesh] et moi nous sommes mis ensemble... le début d'une relation intense qui a duré plus de quatre ans. Après que notre couple se soit séparé, nous sommes restés de bons amis, et je suis demeurée proche de la famille du Dead, assurant le rôle d'interprète en français, d'agent de voyage, de manager de l'équipe d'enregistrement Alembic, et je continuais de danser sur scène lorsque l'envie me prenait.


SJV : De toute cette période de complicité, lequel de vos souvenirs reste à vos yeux le meilleur ?
RSG : Quel est mon meilleur souvenir avec le groupe ? Il y a tellement de bons souvenirs... mais je crois que danser sur scène, dans le tourbillon de la musique, est indéniablement le plus beau que je puisse avoir.


SJV : Justement, amie intime, vous avez certes partagé la vie des musiciens, mais vous avez également partagé un peu de la scène, sous les projecteurs, comme le montre la couverture de votre livre, une photo prise durant la tournée européenne de 1972. Qu'est-ce qui se passe en vous à ce moment précis, que ressentez-vous ?
RMG : Je disais que danser avec le Grateful Dead est mon plus beau souvenir, mais « beau » ne suffit pas à décrire ce que j'ai pu vivre à cet instant. Comme je l'ai dit dans l'interview donnée à Dennis Leonard dans le film de TRI : « j'ai dansé pour la première fois sur scène sur “Cold Rain And Snow”, je me suis lancée sur scène et personne ne m'a arrêtée. Dans les années suivantes, j'ai aimé danser sur “Dancing In The Street”, “China Cat Sunflower”, “I Know You Rider”, sur énormément de chansons... j'adorais en particulier “The Eleven”, parce que c'était un défi de danser dessus, et “The Other One”, et encore “Bertha” ». Il y a dans mon livre le récit de ma première danse sur "Bertha" : « j'avais pris de l'acide au début du concert et il était en train de monter en moi lorsque je me suis glissée, depuis les coulisses, dans l'étroit passage entre les amplis et Jerry, et je me suis faufilée derrière lui, suffisamment loin sur la scène pour ne gêner ni son jeu ni son équipement, et tout cela en prenant bien soin de ne pas risquer de le heurter avec mes bras en laissant mon corps danser en toute liberté. Le premier accord de “Bertha” a fait qu'il m'était impossible de rester assise en coulisse derrière les caisses de transport. Je me souviens avoir rapidement ressenti une vraie difficulté à rester en place. « "I had a hard run, runnin' from your window”, les mots dansaient devant mes yeux, ils rebondissaient sur la ligne de basse de Phil. “I was all night running, running, Lord I wonder if you care”, j'ai fermé les yeux un moment et j'ai vu les mots en lettres énormes éclater comme un feu d'artifice à l'intérieur de moi. […] Je me souviens avoir eu l'impression de me fondre dans l'espace. J'ai ouvert les yeux, et c'est alors que la musique a commencé à glisser et entrer par tous les pores de ma peau. […] « "That's why if you please, I am on my bended knees”, mon cœur frappait hors de ma poitrine, mes cheveux volaient autour de ma tête, je volais, mes bras se balançaient dans les airs, au gré dans une danse totalement libérée. Je souriais, j'étais heureuse et libre comme jamais je ne l'ai été dans ma vie ».


SJV : Vous dansiez certes, mais je sais que vous chantiez et jouiez de la guitare au début des années soixante. Vous n'avez jamais rien enregistré ? Et le Dead, il n'a jamais fait appel à vous sur scène ou en studio ?
RMG : Je chantais mal et je jouais de la guitare avec une connaissance limitée, utilisant seulement une poignée d'accords, donc non, je n'ai jamais rien enregistré et, heureusement pour eux, les membres du Grateful Dead ne m'ont jamais entendue ni jouer ni chanter.
Dans mon livre, je raconte l'anecdote de mon passage à un tremplin musical organisé dans le quartier de North Beach, au nord de San Francisco, dans la première moitié des années soixante. Je chantais des chansons de Bob Dylan que je traduisais moi-même en français. Ce soir-là, j'étais suivi par une fille qui a chanté avec un talent incroyable, ce qui m'a fait réaliser que je n'étais pas faite pour la chanson... Cette fille, c'était Janis Joplin.

SJV : Un autre souvenir à partager avec nous ?
RMG : J'ai adoré voyager avec le groupe. Je me souviens surtout d'un séjour en France, durant lequel j'ai servi d'interprète. Sans doute plus précieux encore est le souvenir de cette journée de repos à Paris, durant laquelle j'ai eu le privilège d'accompagner Jerry Garcia, Bob Weir et Bill Kreutzmann lors de leur première visite à la Tour Eiffel.

SJV : Vous êtes venus à deux reprises à Paris avec le Grateful Dead, pendant le séjour au Château d'Hérouville en 1971 et durant la gigantesque tournée européenne de 1972. Comment s'est passé le retour en France pour vous ?
RMG : Ma famille a émigré aux États-Unis lorsque j'avais seulement cinq ans, mais nous avons toujours parlé français à la maison. En grandissant, j'ai eu envie de revenir à Paris, dont j'ai entretenu une image romantique. J'y suis retournée pour la première fois en 1970, et j'ai été surprise de découvrir que la vision romantique de mon enfance était vraie. J'ai ADORÉ y séjourner et j'y suis retournée plusieurs fois depuis. (Mon rêve secret serait de vivre sur une péniche, amarrée devant Notre-Dame ou la Tour Eiffel.)


SJV : Et comment s'est passée la découverte de la ville pour le groupe ?
RMG : Vivre de nouvelles aventures a toujours fait partie des choses que le Dead aimait faire, et voyager à l'étranger était tout en haut de leur liste. L'aventure à Hérouville était très inhabituelle pour eux. Il était prévu qu'ils participent à un grand festival [à Auvers-sur-Oise] en plein air, mais le concert a été annulé à cause de la pluie alors que les musiciens étaient déjà dans l'avion qui arrivait en France. Ils se sont donc retrouvés coincés durant plusieurs jours au Château avant de pouvoir rentrer à la maison. C'est au cours de ce voyage que j'ai escorté certains d'entre eux à Paris pour une journée de visites et une promenade le long de la Seine. Ils ont adoré.
[Ces vacances forcées au Château d'Hérouville, où le groupe a élu domicile, ont été l'occasion de grandes fêtes et d'un concert offert aux habitants de la région, dans le jardin de la propriété.]


SJV : Abordons à présent un triste souvenir. En 1972, la santé de Pigpen, premier leader du groupe, décline fortement. La tournée européenne fut sa dernière, il s'est éteint quelques mois plus tard, en mars 1973. Comment le groupe et vous même avez vécu l'annonce de cet événement tragique ?
RMG : Ron « Pigpen » McKernan avait seulement 27 ans quand il est mort, d'une maladie du foie héréditaire aggravée par sa forte consommation d'alcool. Nous étions tous à peu près du même âge, un âge où vous pensez que vous allez vivre éternellement. Nous savions qu'il était très malade, bien sûr, mais avec la naïveté de la jeunesse, nous pensions que ça irait mieux. Quand nous avons reçu l'appel téléphonique nous annonçant qu'il avait été retrouvé mort dans sa maison, nous étions évidemment tous choqués et attristés.

SJV : C'est à peu près à cette époque que vous avez pris vos distances avec le Dead, pourquoi ?
RMG : Quelques mois plus tard, alors que je travaillais comme agent de voyage pour le Dead dans la compagnie Fly By Night Travel [agence créée par le Grateful Dead dans sa quête d'autogestion], j'ai fait la connaissance d'un jeune artisan qui venait de Taos, au Nouveau-Mexique, il voyageait avec ses colocataires. Ils avaient une petite coopérative là-bas et effectuaient un voyage pour vendre leurs marchandises. Version courte de l'histoire : lui et moi sommes tombés amoureux et je suis parti le rejoindre au Nouveau-Mexique pour commencer une nouvelle vie avec lui.

SJV : Dans les années suivantes, vous voyagez à travers le monde, notamment en Asie, puis vous retournez auprès du groupe au milieu des années soixante-dix.
RMG : Après plusieurs années passées au Nouveau-Mexique, Greg et moi sommes retournés dans la Baie de San Francisco à la recherche d'un travail, les emplois se faisant rares à Taos. Bien que Fly By Night n'existait plus, j'ai obtenu un emploi d'agent de voyage au sein de la nouvelle agence qui gérait les trajets du Grateful Dead, de Jefferson Airplane, des Doobie Brothers et d'autres groupes.
Même si j'étais encore très proche du Dead et de la famille, je ne les ai plus vus que par intermittence. Le groupe voyageait tout le temps, les concerts étaient organisés dans des lieux de plus en plus grands ; c'était une ambiance bien différente de celle des débuts. Les tête-à-tête avec l'un ou l'autre des musiciens, l'affection de la famille et la facilité de communication étaient toujours les mêmes, mais dans l'ensemble, j'ai gardé mes distances.

SJV : Vous êtes tout de même resté proche jusqu'à la fin de l'histoire et la mort de Jerry Garcia en 1995. Un mot, une émotion à l'évocation de cet événement ?
RMG : J'ai appris la nouvelle de la mort de Jerry dans une cabine téléphonique au bord de l'autoroute, près d'Eugene, dans l'Oregon. J'appelais Carolyn « Mountain Girl » Garcia [ancienne prankster, compagne historique de Jerry Garcia de 1966 à 1974, restée une amie proche malgré leur séparation] pour lui faire savoir que j'arrivais en ville, comme prévu, pour passer la nuit dans sa maison. Dès qu'elle a répondu au téléphone, à travers son simple « bonjour », j'ai su que quelque chose n'allait pas. Cet après-midi là, nous avons rejoint de nombreux membres de la famille du Dead pour assister à un concert en plein air du Dave Matthews Band, durant lequel nous avons passé notre temps à pleurer ensemble et s'embrasser les uns les autres.

SJV : Dernière question. Elle est simple, j'aimerais savoir si la musique du Dead continue de vous accompagner dans votre vie.
RMG : Je dois avouer que depuis de nombreuses années, je n'avais tout simplement plus écouter la musique du Grateful Dead et je n'ai pas parlé de mon histoire avec le groupe. Je ne suis pas de ceux qui vivent dans le passé, j'ai toujours vécu ma vie au présent. Mais lorsque j'ai décidé d'écrire mon livre, j'ai de nouveau écouté leurs albums et maintenant, oui, cette musique fait partie intégrante de ma vie.


SJV : Merci beaucoup, Rosie, d'avoir pris le temps de répondre à nos questions. Je rappelle la sortie de votre livre : Dancing With The Dead, A Photographic Memoir, disponible en e-book, en édition imprimée ainsi qu'en livre audio. Les lecteurs pourront retrouver le livre, votre actualité et une partie de vos photos sur votre site : www.rosiemcgee.com.
RMG :
Merci à vous.

Toutes les photos sont la propriété de Rosie McGee
elles ne peuvent être utiliser sans son autorisation.
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