ROCK, ANNEES 00

Chaque fois que le dernier nombre du compteur affiche 9, le sempiternel bilan de fin d’année se charge d’un poids tout particulier. Béantes, les années 10 s’ouvrent sur un gigantesque chantier à ciel ouvert dont la décennie précédente vient à peine de poser les fondations. Le disque ? Explosé, promis à une mort qui va galopant. La distinction indie/majors ? Encore plus obsolète que lorsque Nirvana franchit la ligne Maginot séparant Sub Pop et Geffen. L’offre ? Entièrement globalisée. Quelque soit votre truc, folk berbère ou hard rock grec, vous le trouverez en deux coups de clics. Quel visage prendra ce paysage dévasté dans cette nouvelle décennie ? Nulle personne de bonne fois n’a la réponse.

La seule position prudente reste de jeter un coup d’oeil à ces dix années qui viennent de s’écouler. Qui a su tirer son épingle du jeu ? Qui est devenu un absolu ringard ? Les palmarès de la rédaction ainsi que vos votes donnent déjà quelques éléments de réponse déterminants. Le premier constat est clair comme la chute d’un 33 tonnes sur la carcasse d’une deux-chevaux. Webzine et internautes plébiscitent d’une même clameur les Them Crooked Vultures, qui creusent une avance tellement conséquente avec les deuxièmes places que la décence nous interdit de révéler les écarts de points. La majorité, écrasante, s’est prononcée. Les super-groupes à la Blind Faith, on en redemande en 2009, tout comme en 1969. Est-ce parce que vous êtes, comme nous, grands amateurs des moindres frasques décibéliques de Josh Homme ? Ou ce line-up de rêve amalgamant des icônes mythiques du rock des années 70, 90 et 2000 emblématise-t-il inconsciemment cette décennie où, zappant des bootlegs du Velvet Underground au dernier Animal Collective, chacun picore dans le temps et l’espace pour constituer sa discothèque de rêve ? Car le géant rouquin semble être l’un des héros de cette décennie, présent sur tous les fronts, riffeur quatre étoiles avec ses vautours, producteur débauché des Arctic Monkeys et batteur lubrique des Eagles of Death Metal. Autre figure importante, Jack White marque sa présence annuelle dans nos palmarès avec son dernier projet en date, les Dead Weather et leur odeur de cendre. Le géant rouquin de Palm Desert et le brun blafard de Detroit comme francs-tireurs du rock américain contemporains, voilà déjà une ébauche de bilan déterminante.

Sky Saxon des Seeds prophétisait : Dieu envoie toujours ses plus valeureux guerriers à la fin. C’est donc en toute logique que les groupes les plus déterminants de ces dernières années emportent les meilleures places de notre palmarès international. En réponse aux groupes américains, Kasabian et Arctic Monkeys défendent avec ardeur et talent les couleurs de l’Angleterre sur le trône. Pas besoin d’aller loin pour trouver du neuf : des formations récentes comme The XX et Fever Ray se chargent d’étancher notre soif de sang frais. Derrière la bonne performance des heavy-rockeurs vintage de Radio Moscow (en concert en France très bientôt), c’est tout le travail souterrain d’excellents labels comme Alive Recordings qui se voit récompensé. Les belges de Ghinzu défendent les couleurs du rock de nos pays voisins (en attendant que Soulwax se remette franchement au rock ?), tandis que la présence plus qu’honorable que Mastodon démontre bien qu’elle est l’une des rares formations à oser et parvenir à donner un nouveau visage au métal. Si notre palmarès français couronne très largement Eiffel, parachevant, du Quart d’heure des ahuris à A tout moment en passant pas Tandoori, une belle décennie créative, nos avons fureté, comme à chaque année, entre des genres très différents, de l’électro à la chanson en passant par le rock garage, prouvant une fois de plus la vitalité du rock hexagonale, offerte à qui veut quand on veut bien se donner la peine de chercher.

C’est cette impression d’inépuisable diversité qui nous empêche de dresser un état des lieux franc de ces années 00. Les nineties avaient cela de commode qu’on pouvait les scander en plusieurs mouvements plus ou moins consécutifs : explosion puis implosion de la bulle Madchester, grunge, brit-pop, big-beat, stoner, nü-metal... Aucune taxinomie de ce genre pour la décennie suivante. On parle, à partir de 2001, d’un retour du rock. Les amateurs éclairés ne l’avaient jamais perdu de vue. Déjà, en l’an 2000, on applaudissait ou vouait aux chiens le virage expérimental entrepris par Radiohead avec Kid A. Ce retour fut donc uniquement médiatique, soit. Il eut pourtant l’heureuse conséquence de pousser les maisons de disque à signer des groupes au son sale, cru, vigoureux, n’ayant plus à s’excuser de ses références. Il y eut évidemment beaucoup à jeter dans cette crue, mais on retiendra des années 2001-2004 quelques beaux disques de garage à la verdeur retrouvée. Mais il serait hâtif de limiter les années 2000 à une glorification superficielle du vintage, des T-Shirt Ramones de chez Zadig & Voltaire à la résurgence du vinyle. L’indie rock n’a cessé de prospérer, intriguant, envoûtant, exaspérant. Tout cela à la fois sans doute. Du côté hard de la force, de nombreux routiers se sont maintenus (AC/DC, Metallica, Maiden), d’autres jeunes pousses ont déjà l’allure de mastodontes (Queens of the Stone Age, Tool)…

On pourrait étendre cet état des lieux disparates à plusieurs feuillets. Voilà pourquoi on ne se contentera pas, comme plusieurs de nos confrères on y été tentés, de dresser une simple liste des meilleurs disques de la décennie, sans tenir compte de cette diversité. Inévitablement, les éternels Strokes, White Stripes et Libertines trôneraient en bonne place. So what ? On préfère se pencher sur les révolutions (réelles ou creuses) de ces dernières années : l’explosion des baladeurs numériques et leur impact sur notre manière de vivre la musique, l’émergence des réseaux communautaires, la crise du disque… En parallèle de ces lourdes questions qu’il nous faudra bien aborder, reste notre envie monomaniaque de noircir nous aussi des listes. Qu’on préfère dresser par genre plutôt que de rester dans le global pour rendre égale justice aux groupes encensés avec raisons, ceux qui sont demeurés à tort dans l’ombre comme aux baudruches qui se sont vite dégonflées. Chacun est parti en reconnaissance dans sa discothèque et son disque dur pour retenir les plus méritants pour vous proposer une collection idéale par genre tous les moins. Au vu de remous, discussions sans fins et autres foires d’empoignades que cela commence générer, autant vous dire que ces bilans auront autant le son d’un éclat de rire que le goût du sang.

Cette décennie qui a vu naître ce webzine sera observée, auscultée, dénoncée, sous-pesée, diagnostiquée, tronçonnée, vilipendée et louée avec autant d’ardeur que nous mettons à découvrir les disques d’aujourd’hui. Avec une énergie et une passion intactes.

Albumrockeurs et albumrockeuses, bonne année à vous !