C'est dans l'après-midi qui précédait le concert de Magny-le-Hongre, que nous avons été accueillis comme des princes dans leur loge par Nosfell et son compère Pierre Le Bourgeois, pour une longue interview de presque 50 minutes. AR : Dans la presse ou sur Internet, on parle de toi comme d'un génie ou encore d'un OVNI ... Nosfell : Moi j'ai plutôt tendance à me concentrer sur ce que j'ai à faire, ce qui me demande déjà beaucoup de temps. Je suis assez flatté par ça parce que quand on est qualifié de ça, ça veut dire qu'on ne fait pas forcément les choses comme tout le monde. Il faut l'admettre, c'est flatteur. Le fait d'être à part, je pense que ça plait à tout le monde, mais c'est pas un but en soi. |
AR : Tu as gagné pas mal de concours dont le prestigieux "Attention talent scène", est-ce que cela t'a aidé ?
Nosfell : J'ai eu beaucoup de chance ... et déjà au tout début. En 2001 j'étais au festival Zebrock en Seine-Saint-Denis où déjà j'avais pu rencontrer une certaine attention de certains professionnels qui ont bien voulu m'accorder une aide afin de pouvoir évoluer. Après y'a eu le Chorus des Hauts-de-Seine qui m'a aussi beaucoup aidé, et puis effectivement l'année dernière avec le Printemps de Bourges, ça a bien aidé aussi. AR : Ça t'a aidé pour la création de l'album ? Nosfell : Pas vraiment pour créer le disque. Parce que "Attention talent scène" comme son nom l'indique, c'est un prix qui concerne le travail scénique. Mais il y a eu aussi le prix de la Sacem qui nous a permis de mettre en place une Résidence. Le disque je pense qu'il a été attendu par peu de gens qui devaient se demander comment cela allait sonner sur enregistrement. Et c'est pour ça qu'on a eu du mal à l'auto-produire, car on avait peu de partenaires à ce niveau là. En revanche assez vite, beaucoup de gens nous ont prêté attention en ce qui concerne la scène. AR : On site des artistes comme Bobby Mc Ferrin, Les Claypool, Joni Mitchell ou encore Tom Waits ... Ce sont des références pour toi ? Nosfell : Oui pour plein de raisons différentes. Y'a parmi ceux-là des gens qui ont une approche de leur instrument qui m'a touché, et je pense inspiré. Une façon différente de concevoir, d'envelopper la musique qui leur est propre. Joni Mitchell est une incroyable guitariste, une voix fabuleuse aussi et j'aime beaucoup ses textes également. Puis c'est une période de la musique Folk que j'aime beaucoup. Bien qu'on ai du mal à apercevoir ça comme du folklore, parce qu'il est très lié à l'industrie du disque. Et Tom Waits, je pense que je ne suis pas le seul à être inspiré par lui. C'est très profond ce qu'il propose, donc forcément ça touche, ça influence, ça interpelle. AR : Sinon il y a d'autres artistes qui ont pu t'inspirer ? Nosfell : Beaucoup de musique qui ne sont pas représentées par des artistes. Beaucoup de musiques traditionnelles, des trucs comme ça. Il y a Neil Young aussi que j'aime beaucoup dans cette période dont on parlait pour Joni Mitchell. Graham Nash, les Birds, Stephen Stills aussi. Y'avait dans mon apprentissage cette envie d'aller vers ça comme une forme de modernité et puis il y avait des choses qui étaient imposées par les miens qui était des choses un peu plus traditionnelles, encrée dans différentes régions. On voyageait beaucoup. Notamment des musiques qu'on trouve dans différents pays d'Afrique, en Asie Mineure ou en Extrême Orient aussi. On n'écoute jamais assez de musique. AR : Vous êtes autoproduit par choix ou par la force des choses ? Nosfell : C'est un choix, mais c'est la force des choses aussi. Pierre Le Bourgeois : Dans la volonté d'avoir une certaine façon de travailler on est obligé de se confronter à l'autoproduction finalement. Par le désir qu'on a de faire ce disque de telles façons, avec tels moyens et telles personnes. L'autoproduction c'est aussi une solution. On peu trouver une autre façon de faire les choses en attendant la signature qui ne vient jamais tout de suite. Et avec toujours cette grande question : "En scène c'est très bien, qu'est-ce qu'on fera de vous sur disque?". Donc on a été un peu obligé de l'auto-produire pour montrer que oui, on peu en faire un disque. Nosfell : c'était en plus une période où les gens ne proposait pas de contrats d'enregistrement. Et puis moi ça me permet d'être beaucoup plus libre. Et sans vouloir casser du sucre sur le dos des gens, ce n'est pas toujours évident de parler de musique avec certaines personnes. Pierre Le Bourgeois : On ne peut pas casser du sucre parce que c'est un système dans lequel on se retrouve de toute façon. Il faut vendre des disques ... Après pourquoi pas être produit plus tard, c'est des choses qu'on ne sait pas encore. On n'est pas contre, c'est plus une façon de travailler qui est différente. AR : Vous êtes plus fier de l'avoir sorti en autoproduction ? Nosfell : D'une certaine manière oui ! Pierre Le Bourgeois : Quand il est visible oui, parce que bien souvent les autoproduits disparaissent. Nosfell : Enfin c'est quand même une auto-production de luxe. C'est une coproduction en fait. Qu'on a faite avec le Bouquin Affamé, qui est une famille qui nous a pris en son sein, qui nous a beaucoup aidé et qui nous soutien encore. Ils nous structurent et cadrent cet objet. De nous même je ne sais pas si on aurait été capable de donner la vie qu'a ce disque. A cette heure précise, je suis très heureux qu'il ait cette vie là AR : Comment s'est déroulé l'enregistrement ? Nosfell : On nous a prêté une belle maison en bois sur une île pendant deux semaines (rire), c'est vrai en plus. On nous a prêté du matériel. Pierre le Bourgeois : Y'avait quelques morceaux dont on avait une idée très claire, d'autre on ne savait pas trop. L'idée étant de prendre les morceaux "live", et d'enlever toute l'ossature "live", tout ce qui est visible, garder tout ce qui s'écoute, faire le tri la dedans pour en faire un objet sonore et pas un concert sans l'image. Nosfell : Oui c'était très important. On s'est concentré sur une dimension acoustique qui était très différente. On voulait aller à l'essentiel et jouer beaucoup plus de guitare folk. Pierre le Bourgeois : Souvent en fait, Nosfell travaillait dans son coin et me proposait toute la voix, toute la guitare, une partie de basse. Après moi j'arrivai avec une idée d'arrangement de cordes. Et on voyait si ça fonctionnait. En fait on partait toujours de deux choses live qui se réunissent. Et on essaye après d'arranger tout en quelque chose de cohérent. AR : Le violoncelle de Pierre Le Bourgeois t'as t-il paru indispensable pour l'album ? Nosfell : C'est vrai qu'au début j'avais pas l'idée du violoncelle. Je connaissais très peu cet instrument. Et puis on s'est rencontré et je suis complètement tombé amoureux de l'univers de Pierre Le Bourgeois, de ce qu'il est capable de proposer sur scène. Il a cette façon très moderne d'aborder son instrument. Il peut jouer du classique avec une interprétation parfaite ou il peut aller dans des choses complètements délirantes. Il a une démarche en tant qu'instrumentiste qui me séduit. AR : Les 13 chansons présentes sur l'album ont-elles été choisies parmi d'autres titres moins bon ou hors sujet ? Pierre Le Bourgeois : C'est un premier album, donc c'est forcément 13 morceaux choisis dans une masse de morceaux que Nosfell avait. Après il y a de très bons morceaux qui ne sont pas dessus par ce qu'ils ne correspondaient pas à l'album. Il y en a d'autres qu'on a finalement oubliés, d'autres qui se retrouveront sur le suivant. Et puis aussi il y avait toute les contraintes techniques du disque: la durée, le nombre de titre, ... Nosfell : Il y a aussi la narration. Parce que je n'essaye pas de compter des histoires, j'essaye de les évoquer. Et pour moi c'était important de ne pas mettre certains titres parce qu'ils vont être important plus tard afin, si on a envie de comprendre certains liens entre différents personnages qui sont mis en avant ici. Non pas concrètement, mais au travers des humeurs qui planaient au dessus de leurs histoires. Donc il y a aussi ces contraintes là. AR : Les 13 morceaux ne donne pas une impression de linéarité, était-ce un effet recherché ? Pierre Le Bourgeois : C'était un effet qu'il fallait, parce que l'instrumentation est la même en tout cas: voix, basse, violoncelle, percussions. Moi ça me fait plaisir qu'on ai l'impression que ce n'est pas linéaire alors que nous dans nos têtes c'est assez linéaire finalement. Nosfell : Ça c'est un travail que j'ai plutôt laissé à Pierre et à Edouard Le Bonan (qui fait le son sur scène et qui nous a aidé à réaliser le disque), parce que c'est vrai que moi je manque un peu de recul par rapport à ça. Comme c'est très spontané ce que je fais, ça me demanderais trop de temps d'avoir du recul pour faire en sorte que l'écoute soit correcte. AR : Tu as créé cet univers pour les besoins de cette album comme un romancier l'aurait fait où est-il le fil conducteur de ta création ? Nosfell : En fait, j'avais besoin de diriger ce travail sur cet endroit (ndlr: Klokochazia), sur cette langue (ndlr: le Klokobetz) et ces différents personnages, qui me permettait dans un premier temps de structurer certaines choses de l'esprit, non pas figer mais structurer une vision personnelle de la vie. J'avais besoin de trouver une discipline artistique qui me permettait de véhiculer ces choses là. De trouver un médium, un véhicule qui permettait de parler de ces choses là, de les vivre, de les partager. Donc je ne me vois pas pour l'instant en sortir. Je pense que le deuxième disque sera une sorte de suite. Y'a pas vraiment de narration donc je ne peux pas parler première partie, deuxième partie, … Pour moi il y a des sens, y'a des liens entre les humeurs des personnages et les textes. Mes textes sont peut-être un peu trop hermétique. Parce que j'écris des histoires et j'essaye d'en sortir une forme poétique, rythmique, musicale, pour évoquer l'humeur de l'histoire et pas parler de l'histoire en elle-même. C'est pour ça que cette langue est très pratique parce qu'elle sert d'une part à illustrer cet endroit et ces personnages et en même temps c'est une langue qui à cette particularité de mettre en avant non pas ce qu'on fait mais plutôt ce qu'on ressent lorsqu'on le fait. AR : Donc le "Klokobetz" est une vrai langue ? Nosfell : Oui. Somme toute assez modeste mais il y a une structure oui. AR : Le commun des auditeurs aura-t-il un jour la possibilité de la comprendre ? Nosfell : Peut-être un jour oui, pourquoi pas. Moi ce que j'aime bien dans le rapport qu'il y a avec le public, c'est que la majorité des gens qui ont bien voulu me parler de ça, m'ont dit qu'ils appréciaient le fait de ne pas comprendre, et de pouvoir s'approprié le sens de tel ou tel mot en fonction de son passé culturel. Ça me permet d'essayer de faire appel à quelque chose de primitif sur l'audience. C'est aussi pour ça que j'utilise des machines qui me permettent de mettre en boucle à la fois la voix et la guitare, d'enregistrer toujours en direct, pour m'imprégner de ce qu'il se passe et de jouer sur le cyclique. AR : Y'aura t-il un moyen de voir ta propre vision de ton monde par le biais de dessins, de vidéo ou autre ? Nosfell : Je pense que si un jour ça doit se figer quelque part, peut-être que ce sera des images. Mais alors, beaucoup d'images différentes pour la même chose. Ou peut-être de l'écrit, je ne sais pas. Ça me fait peur de figer les choses. Les raisons pour lesquels j'ai choisi la musique aussi, c'est parce qu'avant d'être enregistrée, c'est quelque chose qui évolue, qui appartient à tout le monde et au créateur en même temps, quelque chose d'impalpable. C'est des creux dans l'air qu'on n'arrive pas à percevoir vraiment. AR : En association avec le Klokobetz, pourquoi avoir choisir l'anglais ? Nosfell : Parce que c'est ce qui me faisait plaisir et c'est ce qui me venait spontanément. En essayant de reproduire les choses que j'entendais, je pense que j'ai habitué mes cordes vocales à une espèce de tessiture, de souplesse, donc ça me convient mieux d'utiliser ce langage là. Et puis il y a aussi l'idée que je fais des concerts ailleurs qu'en France, donc c'est un langage qui est très pratique pour ça. C'est fascinant aussi l'anglais comme langue. C'est à la fois très élégant et en même temps ça ne reste élégant que quand on veut dire des choses directes. Y'a encore des noms d'objets qui en les prononçant semble faire allusion au son qu'ils font. C'est aussi un choix esthétique. AR : Tu fais des concerts dans d'autres pays tel que le Japon, le Canada ou les Etats-Unis. Qu'est ce que cela t'apporte ? Nosfell : J'aime le voyage. J'aimerai vivre pour le voyage. Et puis c'est un peu le hasard qui a forgé ça. Au début j'allais rejoindre des amis et puis la musique est toujours là … De fil en aiguille, il s'avère que je vais une fois par an au Japon pour y retrouver mes amis. On joue dans des clubs, on s'organise des minis tournés dans ce qu'ils appellent là bas des "Live House". AR : Et comment est l'accueil ? Nosfell : Assez bien ! C'est marrant il y a des gens que je revoit tout les ans, qui me font l'honneur de leur visite. Qui se tiennent au courant puisqu'on l'indique sur le site, qu'on fait des petit flyers, des trucs comme ça. Bizarrement au début je me disais que c'est tellement personnel que ça pourrait paraître trop hermétique et que les gens n'arriveront pas à se l'approprier. Mais c'est en fait l'effet inverse. Si j'avais fait trop de demi-mesures ça n'aurai été qu'a moi. Donc finalement ça marche dans n'importe quel pays. AR : Le 15 juin dernier tu t'es retrouvé en première partie des Pixies et des Red Hot Chili Peppers au Parc des Princes. Comment as-tu vécu ça ? Nosfell : J'ai eu très très peur ! Parce qu'on sent ... Il y'a 25000 personnes et il y un gars en face. Et les 25000 font: "Vas-y maintenant, fait ton truc. On te connaît pas en plus, t'était pas prévu" (ndlr: c'était The Roots qui était programmé). Donc tout ça dégage effectivement une force qui est presque inexplicable. Après il y a aussi qu'à n'importe quel concert j'essaye de faire de mon mieux. Donc une fois que c'était lancé j'ai essayé de donner autant de choses qu'à n'importe quel autre concert bien évidemment. Mais avec une pression supplémentaire et une fatigue qui venait très vite. J'étais très fatigué pourtant le concert n'a duré que 29 minutes. AR : Tu as fait aussi le Festival "Rock en Seine" l'été dernier. Tu préfères les grosses scènes comme celles-là ou les petites salles ? | |||
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