BON AN MAL AN

Cela fait deux ans qu'on tourne un peu autour du pot lors de l'édito de janvier, qui fait de tradition suite au dépouillement des Albumrock Awards. Il va bien falloir arrêter la comédie et cesser de se cacher derrière son petit doigt. En ce moment, le rock est loin de tenir la forme. Les figures tutélaires de la décennie précédente sont soit disparues, soit en manque singulier de souffle, et la nouvelle génération peine à prendre la relève. On sentait poindre ce constat lorsqu'il a fallu extirper les palmarès de nos rédacteurs au prix de moult menaces, la plupart livrant ses suffrages sans grande conviction, au point même que ce rédac chef a songé un instant annuler cet antique marronnier. Mais comme on avait mis les lecteurs dans le coup, il semblait au final un peu hypocrite ne pas confronter nos défrichages discographiques respectifs pour dresser une première photographie de 2011.

Le palmarès de la rédaction illustre ce sentiment de déclin, ou plutôt de creux de la vague, puisqu'à l'exception notable des garage-rockeurs de Hanni El Khatib, aucun premier album ne s'impose dans ce top. Les premières places restent occupées par des groupes qui ont déjà fait leurs preuves et se complaisent à insuffler quelques variations à une formule qu'ils maitrisent déjà bien. Ainsi, Kasabian, Black Keys et Arctic Monkeys s'installent tranquillement sur les plus hautes marches du podium sans avoir déclenché d'ardeur excessive dans nos rangs. Il en est de même pour la plupart de leurs camarades. Si la plupart des nominé n'étonnera pas les lecteurs qui nous suivent régulièrement, la relégation des Strokes, Foo Fighters et (plus surprenant !) Radiohead dans les limbes du classement sonne comme un tonitruant désaveu, alors que vous continuez à leur apporter vos suffrages. Au milieu d'un bilan 2011 dont le résultat s'avère pour le moins ronronnant (vous vous êtes également replié de façon massive sur des valeurs sûres), voilà la principale différence entre le fruit de nos délibérations respectives.

C'est finalement la pôle position, ravie par un Mastodon écrasant de tout son poids la concurrence, qui se révèle être l'emblème paradoxal de cette tendance. On pourra s'étonner qu'un webzine de rock généraliste accorde la palme à un disque de métal. C'est que la scène heavy rock sudiste américaine, très active depuis quelques années (Kylesa, Baroness), est lancée dans une grisante course prométhéenne dont The Hunter, à la rage tentaculaire aussi décuplée que maîtrisée, constitue le blason idéal. Très bien placés, Amplifier, Opeth et And So I Watch You From Afar confirment de leur côté l'excellente forme du rock progressif buriné. Tout est donc affaire de niches. Telle tient une forme olympique, telle autre s'enferme dans un ronron soporifique. Le diagnostic épouse ainsi de plus en plus les affinités électives de chacun. Les formations hype lancées par les grands médias culturels suscitent l'indifférence (The Vaccines, Wu Lyf), tandis que le mainstream ne parvient plus à faire converger les regards (Metallica et Red Hot Chili Peppers conspués) et que les annonces de reformations pullulent à un tel point que l'on n'a plus ni la force de s'en étonner ni l'envie de les commenter.

Dans un ample dossier consacré aux 20 ans de Nevermind que nous sommes en train de peaufiner, nous avons dressé un petit panorama des disques importants de l'année 1991, histoire de démontrer que le rock de l'époque ne se résumait pas au grunge. On est resté stupéfaits par la qualité de nombre de ces disques, qui tiennent toujours bien la route deux décennies après et restent des références indémodables. Petit frisson en songeant à 2011 : en dira-t-on de même en 2031 ? Comment expliquer cette petite forme ? Les colonnes de cet édito et certains dossiers ont commencé à tourner autour de la question, évoquant des raisons historiques, sociologiques, technologiques voire tout simplement esthétiques. Inutile de radoter là-dessus, même s'il faudra bien approfondir un jour cette question. Apportons un nouvel élément au moulin, histoire de combattre ce sentiment de déclin : n'est-ce pas tout simplement de notre faute à nous, rédacteurs, qui nous sommes trop enfermés dans notre confort, ne nous sommes pas remis en cause, n'avons pas assez bousculé nos habitudes ? A moins de postuler l'idée pour le moins farfelue que quelque part dans le cerveau des occidentaux, une dégénérescence du cerveau les a conduit à faire de la moins bonne musique, il reste fort probable que ces excellents albums, ces futures références, ces bouées de sauvetage quand point la sensation que tout fout le camp, nous ne les avons tout simplement pas trouvés. En l'absence de scène surexposée et de vague sur laquelle paresseusement surfer, l'heure est au retroussage de manches et à l'exploration minutieuse. C'est en ces temps troublés que nous devons redoubler d'exigence.

Souhaiter à vous, et à nous, une belle année 2012 riche de découvertes musicales, n'est pas une simple formule de convenance ou un voeu pieu, mais bel et bien une vigoureuse déclaration d'intention. Que le prochain bilan nous permette de dresser un constat un peu plus encourageant et productif, alors que nous planchons actuellement sur la V4 du site que l'on veut plus fournie, plus dynamique et plus interactive pour répondre aux attentes que vous avez formulé dans notre récent sondage (et on vous remercie pour votre forte participation !). Alors que l'on affûte nos lances pour continuer à poursuivre notre sacerdoce (trouver là où se trouve le meilleur du rock actuel), il ne nous reste plus qu'à vous souhaiter une bonne année et une belle traque aux pépites musicales.

PS : N'hésitez pas à partager avec nous le fruit de vos explorations !