Chers Albumrockeuses et Albumrockeurs,
C'est au milieu d'un chaos informatique sans précédent (notre forum, méchamment piraté par un bot spammeur, sera bientôt de nouveau fonctionnel) et dans la torpeur hivernale que nous livrons enfin le résultat des Albumrock Awards pour l'année qui vient de s'écouler, l'heure d'un rapide bilan alors que les premiers disques de 2013 turbinent déjà sur nos platines.
Depuis 2010, le commentaire des Awards s'accompagne toujours d'un sentiment pour le moins amer, pour ne pas dire défaitiste. Nous constations en effet que les années 10 n'avaient pas vraiment commencées, pas de nouvelles tendances franches, peu d'inédit, performances moyennes des groupes émergents s'effaçant derrière la bonne santé d'artistes plus aguerris. Nous pourrions dresser un constat identique au vu de notre palmarès. A l'exception d'Alt-J, aucun premier album ne s'impose dans les 10 premières places, le reste demeurant gouverné par de brillantes confirmations et des come-back réussis. Les choses ne s'avèrent pas tellement plus probantes de votre côté, puisqu'en plus d'Alt-J, que vous avez également distingué, seul Boolfight, et son savant mélange de pop, rock, électro et new wave, fait office de révélation de l'année.
Cessons pourtant de chouiner. Première bonne résolution de l'année : stop au misérabilisme ! L'actualité économique, sociale et politique s'obstinant dans la sinistrose, relevons le gant dès lors qu'il s'agit de notre musique préférée ! Acceptons ce fait que le rock n'est pas au faîte de sa popularité en ce moment, qu'avec le temps qui a vu tant de musiciens azimutés mettre notre bon vieux binaire sans dessus-dessous depuis près de 60 ans, il est presque logique que nous attendions plus de la jeune garde, qu'il lui faille plusieurs disques pour affiner son style, confirmer ses premiers jets prometteurs. Libérés de toute vision décliniste, regardons alors le petit univers du rock tel qu'il est : les dinosaures paradent tant que leurs artères le leur permettent encore (Black Sabbath lance un grand retour dans les prochains mois, profitons-en, ça sera peut-être le dernier), une poignée de références actuelles piaffe dans l'antichambre (les nouveaux Placebo, Queens Of The Stone Age, Black Keys, Arcade Fire se profilent), et au delà de ces petits ilots, un océan de formations plus ou moins confidentielles s'échinent à refaire la déco de leurs chapelles respectives, aussi microscopiques soient-elle.
Nous l'avions déjà dit à propos des Awards de l'année dernière, mais il faut à nouveau marteler ce constat. Il est plus utopique (ou mensonger, suivant la sévérité de chacun) que jamais de prétendre dresser une photographie à chaud de l'année qui vient de s'écouler, tant l'univers du rock est atomisé, tant il semble se refuser à livrer du culte massif et instantané. 2012, bon ou mauvais cru ? Voilà une question dont la réponse différera radicalement suivant le rédacteur auquel vous vous adresserez, parmi la quinzaine qui compose notre équipe. Elle est affaire de la discothèque que chacun trimballe dans sa boîte crânienne. Untel a éprouvé toutes les difficulté à composer sa liste, tant les bonnes sorties pullulaient, un autre a délibéré sans grande conviction. Le palmarès de la rédaction, fruit d'un compromis comme c'est nécessairement le cas dès qu'il y a vote, illustre bien cette ambivalence. Qu'il y a-t-il de commun entre Godspeed You! Black Emperor et Metric ? Converge et The Bewitched Hands ? Jack White et Alt-J ? Rien, si ce n'est leur appartenance plus ou moins lointaine à l'idiome rock, et son inamovible socle guitare-basse-batterie (et encore, il y a longtemps que claviers, sampleurs et laptops se sont invités à la fête).
Inutile donc de s'épuiser à donner à cette salve d'albums proprement alignés la moindre cohérence. Il n'y en a pas. Inutile de vous vanter à nouveau leurs mérites. Cliquez sur le titre du disque et vous retrouverez la critique du rédacteur, souvent bien plus compétent pour vous en faire l'article que votre serviteur, lui qui n'a jamais compris l'engouement qu'a suscité Alt-J, lui dont les oreilles ne se sont jamais acclimatées au tintamarre infernal que vomit Converge, lui qu'avère de plus en plus sceptique face aux pensums analogiques que Jack White s'échine à publier depuis la fin des White Stripes, lui qui ne remet pourtant pas une seconde en cause leur présence dans ce top 10. Car s'il y a un portrait robot que ce palmarès dresse, c'est bien celui de notre webzine, d'une ligne éditoriale que nous creusons avec obstination depuis des années et qui pourrait tenir dans cette maxime : tenir la gageure d'être à la fois accessible et pointu. Autrement dit, ne pas accourir bêtement derrière le dernier buzz médiatique, ne pas se reposer stérilement sur les gloires passées et se dire que la meilleure chose qui puisse arriver au rock en 2013, c'est un nouveau disque des Stooges. Mais aussi ne pas se complaire dans un très bourdieusien goût pour la distinction en ne jurant que par la fausse marginalité et ceux qui s'oublient dans un salmigondis de références obscures. Aucun des artistes que nous distinguons ici ne vous sont inconnus, si vous vous intéressez un tant soit peu au rock contemporain, vous en avez au moins entendu parler. C'est que nous croyons en la force d'un rock de l'entre-deux, ni totalement mainstream (peu de groupes rock le sont encore, et bien souvent ils ne produisent plus que de la soupe), ni complètement ésotérique, voire désespérément hermétique ; un rock qui parvient à recréer un peu d'originalité (à défaut d'une radicale nouveauté, de plus en plus illusoire) tout en ne cherchant pas à ramener sa science auprès de l'auditeur, un rock exigeant mais accessible.
Le rock de l'entre-deux, concept pour rock critic adhérent du centre mou, adepte du compromis tiédasse ? Pas vraiment, car si l'on examine notre tête de classement, on peut se rendre compte que chaque Albumrock Awards constitue un sacré pari sur l'avenir. L'année dernière, nous consacrions Mastodon, un choix pouvant sembler exotique pour un webzine généraliste comme le nôtre qui se pique ordinairement si peu de metal (et ce n'est pas par racisme, c'est juste que les amateurs du genre ne se pressent pas pour rejoindre notre équipe - ils ont torts, car nous les accueillerons à bras ouverts !). C'est justement parce nous considérons que Mastodon est probablement un groupe qui restera que l'on se refuse à le laisser confire dans son ghetto métallique, coincé entre deathcore et thrash progressif mélodique. Qu'importe si la plupart de nos collègues ne trouve pas ça très sérieux. Nous réitérons cette année avec Mark Lanegan et son band. Qu'on me le signale si je me trompe, mais nous sommes le seul média à le mettre si haut dans un palmarès. Accueilli avec bienveillance par la critique, Blues Funeral avait eu le malheur de sortir trop tôt (en février), et se voir ainsi oublié dans les profondeurs des playlists au moment de dresser les bilans annuels. Nous sommes l'un des rares à l'avoir toujours gardé bien en vue dans notre pile de disques. Le chanteur a bien roulé sa bosse, davantage que les équarrisseurs de Géorgie pour le coup, et parvient pourtant toujours à surprendre. Sa voix d'ogre, de plus en plus caverneuse, psalmodie aujourd'hui sur des morceaux où se disputent ambient, rock décharné, synth pop et krautrock plombé. Les guitares grincent autant que les claviers bleapent. Nous écoutons le disque depuis plusieurs mois, il est vraiment superbe, sombre, mélodique, dense. Il ne prétend pas réinventer le rock, et encore moins le blues, mais il propose à la fois suffisamment d'audace et d'évidence pour ne pas s'épuiser sur la longueur. Au-delà d'une histoire de pari sur l'avenir, de positionnement, c'est au fond ce que nous cherchons tous : un disque que nous aurons le même plaisir à écouter dans 6 mois, 5 ans, 20 ans. Un disque qui ne vieillira jamais. L'album est produit de bout en bout par Alain Johannes, l'une des principales chevilles ouvrières de la nébuleuse Josh Homme. Il est sorti chez l'illustre label 4AD. Nul besoin d'aller le dénicher dans un recoin sombre du net, vous le trouverez facilement à la Fnac, mais il ne trônera jamais dans le classement I-Tunes. Blues Funeral est l'illustration idéale de la force sereine de ce rock de l'entre-deux, qui peut avoir sacrément de la gueule, bien burinée et tatouée en l'occurrence. Suffisamment sûrs du rock que nous défendons, sans toujours en avoir pleinement conscience, nous n'éprouvons aucune gêne à multiplier les propositions. Peu nous chaut, après avoir rendu grâce au coup de force de sieur Lanegan, de cautionner juste derrière la fièvre inrocko-pitchforkienne qui a accompagné la première réalisation d'Alt-J. La hype a parfois raison.
Amis lecteurs, vous semblez partager notre vision du rock. La moitié de nos palmarès est composée de disques communs, que nous distribuons chacun à des places différentes. Il s'en est d'ailleurs fallu de peu pour que Eiffel, Grizzly Bear et Tame Impala rejoignent notre classement. Ensemble, nous réitérons notre confiance en Jack White, une figure indéboulonnable du paysage américain. Vous semblez vous ranger derrière l'avis de Nicolas, qui a trouvé 2012 excellente sur le plan du rock progressif, en élisant Anathema, Mars Volta et les papys de Rush revenus dans une forme olympique. Geoffrey glousse de plaisir en voyant Boolfight accéder à une si haute place, lui qui se sentait un peu seul à les apprécier au sein de notre rédaction, quant à Matthieu, une de nos dernières recrues (à ne pas confondre avec Matt, le grand manitou du webzine !), il a approuve à vos côtés la dream pop de Beach House. Il revient paradoxalement à la première place de constituer l'unique cas de divorce entre vous et nous. Deftones remporte la palme, et haut la main, alors que leur septième opus n'avait pas provoqué de vagues dans nos rangs. Désolé, pardon. Le quintette de Scramento n'a accaparé l'attention que d'une partie de notre équipe, preuve que notre effectif a bien besoin d'être encore renforcé car nombre de formations, de genres, de tendances, échappent encore trop à nos radars. Promis, on essaie de s'améliorer.
2013 reste plus que jamais capitale pour votre webzine. Le petit lifting de notre home annonce la réalisation de la V4 qui va enfin voir le jour dans le courant de l'année. Au programme : un site qui épouse davantage les standards du web actuel, une meilleure navigation, une interface repensée, mais aussi de nouvelles rubriques et une version du site spécialement optimisée pour vos smartphones et tablettes numériques. Vous l'avez sans doute constaté depuis début janvier : nous sommes plus actifs sur nos réseaux sociaux. Avec la nouvelle version du site et ses possibilités d'interaction, nous allons pouvoir renforcer notre dialogue, partager plus aisément nos avis et nos découvertes. Que ceux qui désirent se joindre à l'aventure n'hésitent pas à se manifester, nous avons besoin de troupes fraiches pour faire vivre tous ces beaux projets.
Albumrockeuses, Albumrockeurs, bonne année à vous, qu'elle soit riche en découvertes et confirmations. Keep on rockin', comme dirait l'autre, et gloire en la puissance du rock de l'entre-deux !!
Maxime