A l'approche de la sortie européenne du nouvel album de Nada Surf ; The Weight is a Gift; le trio new-yorkais fait escale à Paris pour répondre aux inombrables questions qu'engendre un tel événement. C'est au Général Hotel, à deux petits pas de République que le groupe a fixé ses rendez-vous avec les médias en tous genres. Faute de temps, on se partage les artistes, et c'est avec Daniel Lorca, bassiste et chanteur du combo, que commence la discussion.

AR : Beaucoup de gens s'étonnent encore de la qualité de votre français à toi et à Matthew. D'où cela vous viens ?

DL : Bah on a de la chance en fait. Je suis né en Espagne donc ma première langue c'est l'espagnol, mais dés 6 mois mes parents sont allés vivre à Bruxelles. Et donc dans le parc avec les enfants j'ai appris le français. C'est quand j'avais 5 ans que mon père est allé travailler pour l'ONU à New York. Et pour que je ne perde pas le français que j'avais appris il m'a mis au Lycée français de New York. Et puis Matthew pour des raisons similaires avait aussi appris le français en passant des étés en Provence et aussi parce que ses parents, enseignants, prenait une année sabbatique tous les 7 ans pour vivre à paris. Donc lui aussi s'est retrouvé au Lycée français et c'est comme ça qu'on s'est connu en fait. Je crois que c'est à 5 ans qu'on s'est connu, mais bon on a commencé le groupe un peu plus tard (rire).

AR : Comment c'est venu ?

DL : Le père de Matthieu jouait du piano, ils écoutaient de la musique classique. Moi par contre absolument rien. Aucun "Training" musical. Heureusement tous les trois on avait des frères et soeur qui écoutaient beaucoup de musique. Quand j'avais 6/7 ans, mon grand frère achetait le nouveau Led Zeppelin ou le nouveau Pink Floyd. Mais c'est plus tard quand j'ai commencé à jouer et que j'écoutait ma propre musique qu'on me disait :"Il faut absolument que tu connaisses ce groupe, Led Zeppelin". En écoutant je me rendais compte que je connaissait déjà. C'est pareil je pense pour Ira et Matthew qui avaient des grandes soeurs qui écoutaient beaucoup de musique. Et c'est quelque chose qui nous a marqué.

AR : Le fait de parler le français crée un rapport assez spécial entre vous et la France ?

DL : Ça aide ... Mais c'est plus que ça. Le fait de connaître une autre langue ouvre un univers différent. Tu es plus tolèrent, plus ouvert puisque tu as accès à toute une culture complètement différente. Ces dernières années j'ai vécu plus à Paris qu'ailleurs et je m'y sent tout à fait chez moi. Aussi on aime beaucoup rester avec les gens avant et après le concert. Si on joue une semaine en France et qu'après on tourne en Hollande, même si on sait que les hollandais maîtrisent parfaitement l'anglais, ce n'est pas la même chose car tu ne leur parles pas dans leur langue, et tu te sens con de leur parler en anglais. Donc oui forcément ça aide.

AR : En 2002 Let Go est sorti. Est-ce que vous vous attendiez à ce qu'il vous permette à ce point de revenir au devant de la scène ?

DL : Non non ! C'est un album qu'on a fait dans un vide total. On n'avait pas de maison de disque, on avait rien. Même pas de manager. C'est con parce que c'est quelqu'un qu'on aime beaucoup, mais, notre ancien manager, quand on lui a dit qu'on allait faire un nouveau disque, il a trouvé ça cool. Alors on lui a envoyé les chansons qu'il a trouvé vachement biens et il nous a demandé : "Et vous allez appeler ça comment ? ... Parce que c'est pas Nada Surf". Il pensait que Nada Surf c'était foutu alors on s'est dit qu'on avait besoin d'un autre manager (rire). Mais l'album c'est un album de Nada Surf et on ne va pas changer de nom juste parce qu'on a eu des emmerdes avec des maisons de disques. On ne savait pas du tout comment ça allait sortir donc effectivement on a été très surpris. Mais en même temps c'est un peu ça qui a donné la forme à l'album. Vraiment on l'a fait pour nous, sans aucune pression.

AR : Vous aviez marqué toute une génération avec le titre "Popular" ou encore l'album "The Proximity Effect". Est-ce que tu as l'impression que vous avez récupéré ce public là, ou en avez vous conquit un autre ?

DL : C'est bizarre je crois qu'on a fait les deux. Je pense à cause de notre manière de tournée, car on a tendance à faire plutôt 6 petits concerts qu'un grand, surtout dans des endroits comme la France. Et je pense que c'est quelque chose qui marque notre public ... je sais pas ... j'ai zappé la question.

AR : C'était de savoir si ceux qui dansaient sur Popular dans les années 90 sont toujours là ?

DL : Ah oui voilà ! C'est très intéressant. On a eu beaucoup de nouveaux fans qui croyait vraiment que Let Go c'était notre premier album. Même le chef de notre maison de disque anglaise, qui est venu nous voir à Londres lors d'un concert où on a joué "Amateur" nous a demandé si c'était une nouvelle chanson. "Une nouvelle chanson ?". J'ai fini par comprendre qu'il parlait d'"Amateur". En fait il ne savait même pas que The Proximty Effect existait. Donc tu vois, c'est un peu les deux. On a un public qui est assez fidèle et qui nous suit, et toute une nouvelle vague de gens qui ont débarqué sur Let Go. C'est une situation un peu spéciale, et c'est un peu ça qui nous a donné cette image de groupe héros ayant survécu aux majors.

AR : Oui mais c'est le cas !

DL : Tout a fait. Elektra 0, Nada Surf 1.

AR : Comment se crée un morceau chez Nada Surf ?

DL : En général, c'est quelque chose qui démarre de chez Matthew ou de chez moi. De plus en plus de Matthew d'ailleurs car j'écris et je chante de moins en moins. Après la chanson est ramenée dans le groupe et là on en fait quelque chose ... ou pas. Car des fois il y a des chansons qui ne veulent pas se laisser faire. C'était le cas d'"Amateur" encore une fois, où on voyait bien quand Matthew la jouait seule que c'était une belle chanson. Mais en groupe on n'y arrivait pas. Par contre y'a des chansons où cela se passe en deux secondes. Par exemple "Killian's red" sur Let Go. Je crois que depuis le moment où Matthew nous a joué son riff et ses paroles jusqu'à la finalisation du morceau, il s'est passé dix minutes. C'était incroyable. Mais sur ce nouvel album y'a eu quelque chose de différent. On a enregistré d'abord, ensuite il a fallu qu'on prenne plus ou moins 6 mois d'arrêt total. Donc les pistes étaient déjà enregistrées mais les paroles n'étaient pas fini, ni les mélodies, qui pouvaient encore être changées. Donc j'ai bossé informatiquement sur les pistes et les ai envoyé à New York, et Matthew s'est mis à bosser dessus. Mais il était plus dans le même esprit que quand il les avait commencées. Donc y'a plusieurs chansons où au lieu d'avoir un 3e couplet normal, il y'a quelque chose d'autre avec une mélodie différente avec plus de recul. Et c'est quelque chose de vraiment intéressant.

AR: Ce nouvel album sonne plus rock ...

DL : Bah voilà, c'est chacun sa merde. Je te jures, tous les jours on a des gens qui nous disent :"Il est moins rock, plus pop". Et une interview après c'est : "Je trouve qu'il est plus rock". Mais c'est vrai. Je pense qu'il est plus rock, je pense aussi qu'il est plus mélodique parce qu'on a de moins en moins peur de mettre nos voix à fond et de faire des harmonies. Et certains à cause de ça trouvent que c'est plus pop. Mais je suis d'accord avec toi, je pense qu'il est plus rock.

AR : Est-ce que les morceaux doux sont indispensables pour calmer le jeu ?

DL : Ah non. On avait 24-25 chansons qu'on a enregistrées et les 11 qu'on a sur l'album, ce sont celles qui sont sorties du lot en premier. Comme je disais, les chansons ne se laissent pas faire, et des fois on a beau essayer, ça ne va pas. Et on en a plein comme ça. Donc l'album se fait vraiment d'une manière très naturelle, très spontanée. Les morceaux qui finalement s'achèvent le mieux eux-mêmes sont ceux qu'on choisi. Donc l'album est comme ces douze chansons. Sinon on a plein de morceaux rapides donc, je sais pas, le prochain album pourrait très bien sonner comme Queen of the Stone Age, ou plutôt comme les Stooges.

AR : Justement dans les groupes actuels, y'en a-t-il qui peuvent encore vous influencer ?

DL : Non c'est bizarre, je ne sais pas. C'est très difficile pour nous d'avoir des influences comme ça que je pourrais te citer. Je ne sais même pas ce qui nous influence.

AR : Vous n'écoutez pas de musique pendant la création de l'album ?

DL : Ah si on écoute plein de trucs. Par exemple, ce que je disais tout à l'heure de cette autre dimension que Matthew a ajouté quand il s'est remis à travailler sur les chansons. Y'a une influence qui n'est pas facile à repérer, mais qui a à voir avec le rap. Dans le timing, dans le "flow". Parce que Matthew il a pété un plomb et il s'est mis à écouter que du rap, un peu en réaction à "trop de rock". Mais bon en général c'est très difficile de trouver une influence directe. On adore tellement de trucs de Leonard Cohen à Queen of the Stone Age. Y'a de tout dedans. "Blankest Year" est une sorte de clin d'Oeil à Iggy Pop, mais c'est volontaire.

AR : Vous restez très fidèle à votre trio guitare/basse/batterie ...

DL : Y'a quelque chose de génial ... mais c'est aussi politique car on peut pas avoir deux camps quand on est trois. Quand on prend une décision, c'est unanime. Si on est deux à avoir une idée, on en parle au troisième et la dernière décision doit être unanime. Il n'y a jamais de reproche sur le choix qui a été fait même s'il est mauvais parce qu'il est le choix de tous. Mais dans un groupe de 5 personnes, tu tombes facilement dans un truc où il y en a deux d'un côté et deux de l'autre. Là vraiment on est toujours ensemble tous les trois. Il peut y avoir des différences d'opinion mais on fini toujours par être d'accord. Et musicalement c'est pareil. Chacun, de nous à un rôle décisif et on ne peut pas se permettre de faire n'importe quoi. De cette façon c'est aussi plus dynamique sur scène. Bon des fois sur cd on rajoute des pistes, des sons et sur scène on peut demander à quelqu'un de venir jouer avec nous, mais c'est un peu un luxe. Mais ça ne pourrait être autrement que nous trois.

AR : Always Love est un très gros tube, plus que l'était "The Way you wear your head", l'avez vous ressentit pendant l'enregistrement ?

DL : Ah ouais c'est vrai "The Way you wear your head" était un single ici. Non tu ne sais jamais. Nous on a des goûts très bizarres. Si c'était moi qui faisais le top ten la radio serait différente. Pour nous chaque chanson est un peu un tube, sinon elle ne serait pas sur l'album. Sinon c'est assez évident qu'elle est très accessible, en plus c'est un message très beau. C'est vrai que celle là est très évidente. "Gros tube", ça serait génial.

AR : Que signifie vraiment "The Weight is a gift" ?

DL : Je sais pas si y'a une expression en français qui s'en approche. Y'en à une en anglais qui dit :" Ce qui ne te tue pas, te rend plus fort". Tu deviens plus fort avec les expériences, c'est un peu comme un vaccin, quand on te donne un peu la maladie. Quand t'es mômes tout le monde s'occupe de toi et arrive un jour non seulement tu t'occupes de toi même mais aussi des autres. Et il y'a plus de certitude de se retrouver dans des situations difficiles. Et c'est à toi de décider comment tu vas gérer ces choses là. Et si tu le faits bien, tu seras plus fort. C'est une référence plus ou moins directe à quelque chose comme ça. Nada Surf ça veut dire aussi plus ou moins ça. Surfer sur le vide, se démerder. C'est un thème qui nous obsède.

AR : Vous êtes très proche de votre public avant et après vos concerts, vous ne connaissez pas le stress ?

DL : On est humain. Des fois on s'amuse en back stage, mais souvent en back stage il n'y a rien. 48 bières des cacahuètes et puis voilà. Moi j'adore aller au concert, j'adore sortir. Je veux en profiter quoi. Si je peux aller voir des groupes, parler avec des gens... En fait on est très "anti-rock". Je supporte pas toutes ces attitudes où t'as le roady qui fait ça, le tour manager qui s'occupe de tout,et toi tu sais même pas dans quelle ville tu vas aller parce que t'es une rock star. On a grandit en écoutant du punk rock, et la base de ça c'est que tout le monde peut le faire. Aucun de nous n'est Jimy Hendrix ... je ne suis pas Jaco Pastorius. Je joue de la basse et n'importe qui peut le faire. On est peut-être chacun un petit peu taré à notre manière mais on adore le contact avec les gens et pour moi c'est juste évident. En plus c'est bon pour la santé mentale. Et quand tu traites les gens avec du respect, eux ils font pareil. Je me souviens à l'époque de "Popular" je voulais aller prendre un verre après le concert. Mon tour manager me disait: "mais tu es taré, tu peux pas sortir ! Y'a 1200 personnes dehors, des fans hystériques". "Comment ça hystérique ?". J'y suis allé et il voulait appeler des mecs de la sécu mais je n'allais pas sortir avec deux gorilles. Là, les gens se serait mis à flipper.



par Lilian

Merci à Nada Surf et
à Cédrik de V2 Music