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On ne va pas se mentir. À l’aube de cette nouvelle année, alors que l’on a l’habitude de se souhaiter aux uns et aux autres nos voeux de bonheur, de santé et de réussite, il est difficile d’oublier le goût aigre que la plupart d’entre nous gardons en bouche. Par bien des côtés, on voudrait pouvoir oublier 2015, ses deux attentats meurtriers, ses crises migratoires, ses montées populistes et ses manifestations de haine. Refermer avec une pointe d’amertume un livre qu’il sera sans doute difficile de rouvrir avant un très long moment. Tourner la page. Et voilà que l’année qui vient nous cueille à froid avec une cruauté bien trop réelle. Il était impossible de ne pas entamer cette tribune sans rendre hommage aux deux grands messieurs qui nous ont quittés. Lemmy Kilmister, la figure emblématique de Motörhead, symbole, s’il en est, de la rock n’ roll attitude et du franc parler, père d’une musique coup de poing, jouée les potards au max et les cheveux au vent, gorgée de coke et de Whisky. On le croyait solide comme le rock, dur, inébranlable, et pourtant la réalité d’une vie d’excès l’a rattrapé. Autre figure, autre emblème de la pop culture, David Bowie s’est lui aussi éteint, laissant derrière lui un immense vide et un héritage proprement gigantesque. L’impressionnante collection d’hommages qui lui sont rendus depuis ce funeste 10 janvier montre à quel point le Thin White Duke rayonnait encore de toute son aura sur les artistes du monde entier, de tout âge et de tout genre. On ne saurait citer tous les chefs d’oeuvres dont il s’est rendu l’auteur sans risquer d’omettre l’inomettable, si j’ose m’exprimer ainsi, le dernier d’entre eux n’étant rien moins que son album épitaphe, le troublant Blackstar qui, paru 48 heures à peine avant le décès de Ziggy Stardust, brille déjà de sa sombre lueur comme une étoile éternelle. Le point commun entre Ian Fraser Kilmister et David Robert Jones ? Ils sont morts tous les deux d’un cancer, quelques jours à peine après avoir soufflé leurs ultimes bougies, le premier à 70 ans et le second à 69 ans, sans avoir jamais un seul instant renoncé à assouvir leur passion, le rock, qui était toute leur vie. En ces jours sombres pour la France, c’est cette image qu’il nous faudra retenir d’eux, celle de deux combattants qui ont lutté, chacun avec ses propres armes, pour faire profiter au monde de leur talent. Jusqu’au bout.

Mais trêve de fatalisme, car s’il serait facile de s’abandonner au pessimisme et au découragement, 2015 nous a malgré tout offert nombre de raisons de pouvoir nous réjouir et d’aborder l’avenir sous les meilleurs auspices. De l’avis général de la rédaction d’Albumrock - à quelques exceptions prêt - nous avions rarement connu une année musicale aussi riche et enthousiasmante. Il est un fait que ce traditionnel édito de janvier a pour vocation à décortiquer les résultats de nos tout aussi traditionnels Albumrock Awards, mais commençons, une fois n’est pas coutume, par une considération d’ordre général qui ne cesse de m’étonner au fil du temps : la distanciation prise dans leurs classements annuels par les rédactions spécialisées vis-à-vis du metal. Il n’est visiblement pas encore possible, en 2015, de mélanger les loups et les agneaux, de sorte que la genre métallique et ses succédanés (stoner et sludge notamment) se voient de facto exclu sans tambours ni trompette de tous les tops rédactionnels. On est autorisé à citer gaillardement des artistes aussi dissemblables que Lana Del Rey, Alabama Shakes, Jamie XX, Wilco ou encore Viet Cong dans une même liste et en exclure par exemple Marilyn Manson ou Iron Maiden, même si ces deux formations se sont rendues l’auteur de deux crus d’excellence. S’agit-il, comme c’est souvent le cas, d’une question de voix ? Même pas, les sieurs Brian Warner et Bruce Dickinson pouvant se targuer d’un organe des plus recommandables et faisant l’effort de livrer des compositions mélodieuses et entêtantes. Alors quoi ? Le fait est d’autant plus troublant que certains acteurs de la musique heavy ont droit à un traitement de faveur, on pensera notamment à Mike Patton et au tonitruant retour de son Faith No More, pourtant considéré à part entière comme appartenant au genre métallique. Question de moeurs recommandables, sans doute, n’empêche qu’il est regrettable qu’il soit encore impossible d’embrasser la grande famille du rock n’ roll dans son ensemble et que les élèves les plus turbulents de la classe soient systématiquement mis à l’index, même si nombre de rédactions (Rolling Stone et Pitchfork notamment) consentent à livrer leur propre classement metal. “We are Motörhead, and we play rock n’ roll”, avait l’habitude de brailler Lemmy à chaque fois qu’il montait sur scène. Lui et Bowie ne pourraient-ils pas cohabiter en toute harmonie au sein d’une même et grande famille ? Peut-être serait-il enfin temps de mettre fin au schisme, ce d’autant que, nous allons le voir, le millésime métallique de 2015 a été particulièrement goûteux.

Il est un fait qu’à Albumrock, nous n’avons pas attendu que les deux partis en présence réussissent à se réconcilier pour les faire cohabiter dans nos colonnes. Ainsi donc, ces mêmes Iron Maiden et Marilyn Manson squattent les deuxièmes places respectives des classements des rédacteurs et des lecteurs. Les premiers avec un Book of Souls en forme de retour au source qui, en plus d’avoir fait vibrer notre fibre nostalgique, a su faire preuve d’une justesse et d’une pertinence que l’on n’avait plus connues depuis des lustres chez la bande à Eddie, tandis que le second a complètement su se réinventer sous la houlette de Tyler Bates en injectant une bonne dose de blues à son metal indu poisseux. Dire qu’on ne les attendait pas à pareille fête relèverait de l’euphémisme tant on les croyait morts et enterrés depuis des lustres. Mais ce ne sont pas les seul métalleux à se positionner crânement dans nos choix ni dans les vôtres. Etienne vous avait vanté les nombreuses qualités de Ghost, et il semble que vous vous soyez laissé séduire. Leur Meliora cartonne en sixième position de vos suffrages, suivi à la culotte par un Mike Patton qui, en faisant revivre Faith No More, semble vous avoir plus que convaincus, même si à la rédaction Sol Invictus nous a plutôt laissés de marbre. En lieu et place, nous lui avons préféré le grand retour en forme des frenchies de Mass Hysteria, particulièrement en verve sur une Matière Noire sombre, percutante et savamment mise en orbite, réalisant sans doute le meilleur opus de la bande à Mouss Kelai qui a su particulièrement tirer profit de l’énergie atomique de son nouveau guitariste, Frédéric Duquesne. Last but not least, Kylesa se fraie enfin une toute petite place dans nos votes, une dixième place méritée tant leur Exhausting Fire se montre captivant de bout en bout, rivalisant de lourdeur et d’artifices psychédéliques pour faire passer nos tympans par tous les stades auditifs possibles.

Qu’on ne se méprenne pas : le metal n’est pas le seul gagnant de 2015, loin de là. Les deux classements de 2015 honorent des albums tout aussi éclectiques qu’invariablement remarquables, à une exception prêt. Si nous avons ri jaune de la troisième place de Muse qui, avec Drones, a largement tenté de se racheter une conduite, il nous faut néanmoins reconnaître au trio anglais une redoutable pertinence dès lors qu’il s’agit de pondre des tubes, cette fois-ci assaisonnés à la rotative lourde. Même si leur album n’évite pas quelques écueils de pomposité dans sa deuxième moitié, on est prêt à admettre que les “Psycho”, “Dead Inside” et “Reapers” savent créer leur petit effet, notamment lorsqu’ils se voient servis en live, exercice dans lequel excelle toujours le triumvirat Bellamy - Wolstenholme - Howard. Toujours est-il que sur ce coup là, vous êtes montrés bien plus indulgents que nous, et après tout, qui sommes-nous pour vous donner tort ?

Moyennant ce léger différend, l’année 2015 nous a réservé de fort jolies choses, mais a surtout couronné les nouvelles têtes que nous appelions de tous nos souhaits, fatigués que nous étions de toujours voir les vieilles gloires des années 90 et 2000 voler la vedette à leurs jeunes descendants. Je m’étais un peu avancé dans mon édito d’août en déclarant ouvertes les hostilités entre Tame Impala et Foals. A l’arrivée, les poulains d’Oxford l’emportent assez largement à la rédaction et décrochent même la timbale, récoltant également un excellent score de par chez vous même si vous avez offert la victoire à Currents d’une courte tête. Un partout, la balle au centre, pourrait-on dire, d’autant que dans les classements de nos collègues critiques, l’album de Kevin Parker enfonce largement celui de Yannis Philippakis. Mais c’est sans doute un tort que d’opposer ces deux disques et ces deux groupes finalement assez dissemblables, sauf à ré-asséner une sacro-sainte évidence : en terme de rock mainstream et de pop, on n’avait plus vu de telles réussites depuis bien longtemps. L’accueil enflammé que nous avions réservé à chaud à What Went Down ne s’est nullement tari, confirmant par là même que ce quatrième album surpasse ses trois prédécesseurs qui, pourtant, ne déméritent nullement. Le math rock cérébral des Poulains semble désormais parvenu à sa pleine maturité, et même si le phénomène Foals ne mûrit pour le moment que de l’autre côté de la Manche, on a bon espoir que les français se laisseront bientôt convaincre. L’autre coup de maître, nous le devons à ce diable de Kevin Parker, homme à tout faire de Tame Impala qui, avec sa troisième réalisation nettement plus pop, a réussi à fédérer là où Lonerism demeurait une vague curiosité pour initiés. Malgré une troisième place pouvant passer pour un peu décevante, il pourra se consoler d’avoir marqué de nombreux points auprès d’un public qui ne le connaissait pas, ce qui ne peut augurer que le meilleur pour la suite. Rendez-vous en 2018 ? Nous, en tout cas, on sera là. Enfin, n’oublions pas, dans la même veine pop psyché, de citer Beach House qui a su se hisser jusqu’à la 7ième marche de notre classement, un résultat mérité tant leur Depression Cherry a su se montrer convainquant, couronnant les efforts répétés d’Alex Scally et de Victoria Legrand pour tutoyer les géants. Thank You Lucky Stars lui a fait suite quelques mois plus tard, mais le bien était déjà fait, et ce savoureux bonus n’était pas de taille à lutter contre le spleen onirique de son grand frère.

Mais s’il y a bien un point fort à retenir de 2015, c’est l’excellence dont à su faire preuve le rock progressif. C’est bien simple : jamais ce courant n’avait autant attiré vos suffrages. Et c’est bien évidemment le seigneur de ce domaine qui a récolté le maximum de louanges : en finissant à la première place de votre top (et à la quatrième du nôtre, tout de même), Steven Wilson arrive enfin à se faire une vraie place au soleil. Lui qui fut considéré comme un vague illuminé, voire comme un pestiféré, pendant des décennies, obtient enfin gain de cause auprès des masses, adoubant à sa suite tout une suite de fidèles regorgeant de talents et qui ne demandent qu’à vous séduire. Il faut dire que Hand. Cannot. Erase. a mis la barre particulièrement haut, réussissant l’exploit de demeurer intransigeant vis-à-vis de son héritage progressif mais demeurant néanmoins d’une ahurissante accessibilité. Au point que, oui, ça y est, on voit poindre Wilson dans les classements rock mainstream, certes à un rang encore modeste, mais tout de même. Mieux vaut une place d’honneur que l’anonymat, et n’oubliez pas que si ce quatrième album studio se montre au-delà de tout reproche, il en va de même pour l’ensemble de la discographie du sieur Wilson, en solo, via Porcupine Tree ou même au détour de ses innombrables projets parallèles, que peu d’artistes peuvent se vanter ne serait-ce que d’effleurer du doigt. Mais l’infatigable anglais n’est pas le seul à avoir ému, puisque vous avez sélectionné Riverside dans votre palmarès tandis que nous leur avons préféré Gazpacho. Deux albums de choix, là encore, issus de deux groupes déjà bien installés dans leur domaine mais qui, par la force des choses, commencent à passionner au-delà de leur microcosme. Love, Fear & The Time Machine montre à quel point les polonais, emmenés par le pléiomorphe Mariusz Duda, maîtrisent les allants pop de leur rock progressif d’une confondante modernité, tandis que Molok achève d’entériner la bande norvégienne de Ian Enrik Ohme comme les cadors de leur chapelle, drapé dans leur rock héroïque et enflammé qui vous emportera dans son monde sombre et envoûtant.

Les jeux sont donc faits. Mais déjà l’année 2016 se profile, et avec elle de bien jolies choses que nous nous promettons de surveiller tout particulièrement. Comme le retour des anglaises de Savages qui, après leur épatant premier opus, vont devoir confirmer tout le bien que l’on pense d’elles, ou encore de Nada Surf dont les albums sont toujours très appréciés à la rédaction. Mais ce n’est pas tout : The Coral fera son grand come back, de même que Suede, Kula Shaker, Primal Scream et Bloc Party (avec sa section rythmique toute neuve), et le White Album de Weezer devra faire au moins aussi bien que le truculent Everything Will Be Alright In The End. Vous préférez le rock un peu plus lourd ? Qu’à cela ne tienne, 2016 devrait vous gâter avec les sorties attendues, tenez vous bien, de Witchcraft, Wolfmother, Birth Of Joy, Mars Red Sky et surtout Black Mountain dont on attend monts et merveilles après le décevant Wilderness Heart. Et si c’est le metal qui vous branche, vous aurez également de quoi vous contenter, entre un Black Tusk qui promet une réalisation décoiffante, mais aussi les rois Black Sabbath avec un ultime EP, la moitié du Big Four (Megadeth et Anthrax), Dream Theater, Voivod, Killswitch Engage, Diamond Head et surtout les frenchies de Gojira qui vont peut-être enfin s’installer sur le toit du monde.

Qui dit français, dit Sélection Albumrock, notre grand rendez-vous mensuel ressuscité grâce à l’énergie conjointe d’Erwan, de Fanny et de Raphaëlle - avec un petit coup de pouce d’Etienne et la bénédiction de votre serviteur et de Matt, notre fondateur et webmaster adoré. Nous sommes absolument ravis de pouvoir à nouveau renouer avec la vocation initiale de notre webzine qui est de vous faire découvrir de nouveaux talents et d’offrir dans nos colonnes une tribune permettant aux jeunes groupes méritants de se faire connaître. Mais nous ne nous arrêterons pas à cette vraie-fausse nouveauté. Outre nos habituels dossiers sur lesquels nous faisons chauffer nos plumes en ce moment même, nous essaierons de vous proposer plusieurs nouveautés durant les prochaines semaines. Vous avez déjà pu découvrir les charts (qui vont revenir, patience !) et la playlist, et vous verrez que tout un tas de petits ajouts tour à tour amusants, instructifs et décalés fleuriront sur notre home qui, pour le coup, sera très probablement toilettée afin qu’elle puisse vous correspondre encore davantage. Et si vous n’avez pas de compte Facebook, Twitter et Instagram, il est temps de vous y mettre ! Notre présence sur les réseaux sociaux va s’intensifier par l’entremise de Fanny qui a déjà commencé à vous proposer des rendez-vous réguliers. Quizzs, sondages, citations célèbres et jeux concours - dont ce sera là aussi le grand retour - se préparent à fleurir en plus de nos clips bi-hebdomadaires, et vous pourrez également rester au courant des dernières actus via Twitter tandis que nous teaserons nos publications et nos live reports de concerts et de festivals via Instagram. On me chuchote même en coulisses qu’une application Albumrock pour mobiles et tablettes serait en préparation, mais chut, je ne vous ai rien dit.

Vous le constatez, nous ne chômons pas, et nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour encore et toujours vous faire vivre la passion qui nous anime, le Rock avec un grand R qui, bien qu’il vienne de perdre deux de ses pères, est loin d’avoir rendu l’âme.

Bonne année à toutes et à tous, et longue vie à Albumrock.

Nicolas