Palmarès de la rédactionPalmarès des visiteurs
Albumrockeurs, Albumrockeuses,

L’heure est grave.

Voilà une amorce bien inhabituelle en cette période de début d’année où il est habituellement coutume de se souhaiter le meilleur, santé, amour, bonheur, réussite et tout le tintouin. Or en ce premier mois de 2018, des voeux tous particuliers pourraient être formulés au rock n’ roll après une année proprement calamiteuse, sentiment allègrement partagé par l’ensemble de la rédaction. Et pas que. L’édito de Consequence of Sound tire exactement le même constat, chiffres à l’appui : le rock vient de se faire détrôner par le hip-hop comme musique la plus consommée. Jamais ce courant culturel n’a été aussi peu présent dans les médias généralistes, jamais il n’a été aussi rare à la radio, quand il n’y est pas tout bonnement aux abonnés absents. On parle ici du rock au sens large qui englobe également la pop rock, l’indie, l’alternatif, la folk, bref, toutes les branches - à quelques exceptions prêt - sont touchées par ce marasme. Une autre personne à reconnaître ce triste état de fait n’est autre que Steven Wilson, comme il s’en désole sur sa page Facebook tout en prenant soin de préciser que le constat ne s’applique heureusement pas à lui qui, avec To The Bone , vient de connaître son plus gros succès public depuis ses débuts dans la musique, il y a vingt-cinq ans maintenant.

Steven Wilson, parlons-en puisqu’il termine une nouvelle fois en tête des Albumrock Awards si l’on se fie au vote des lecteurs. Et sachez que c’est une victoire large, nette et sans bavure : le petit génie du prog moderne a enfoncé tous ses concurrents en récoltant une large majorité de vos suffrages, réitérant son exploit réalisé il y a deux ans avec Hand.Cannot.Erase. L’anglais confirme donc son talent, sa pertinence et sa constance même s’il se frotte ici à une musique plus mainstream, plus pop, débarrassée de sa complexité et d’une partie de son pathos. Un tel succès devrait réjouir l’auteur de ces lignes, grand admirateur de Wilson devant l’Eternel. Or il faut bien se rendre à l’évidence : malgré les indéniables qualités de To The Bone , il n’aura échappé à personne qu’il s’agit là de l’un de ses disques les moins réussis, à mille lieues de Hand.Cannot.Erase. , de The Raven That Refused To Sing et même de Grace For Drowning .

Dès lors, le spectre de la victoire par défaut plane sur le palmarès de l’année passée, et son caractère franc et incontestable enfonce encore le clou : 2017 n’aura pas été à la hauteur de nos espérances. Regardons les groupes plébiscités par vos soins : Queens Of The Stone Age, Royal Blood, Foo Fighters, Mastodon. Le quintette de tête est occupé par des acteurs installés, désormais incontournables, qui ont livré par le passé des oeuvres fortes, fédératrices, bref, en un mot comme en cent, des valeurs sûres. Sauf que ni Villains , ni How Did We Get So Dark? , ni Concrete And Gold , ni Emperor Of Sand ne pourraient ne serait-ce qu’une seconde se frotter aux magnum opus respectifs de leurs géniteurs. Il semble que les votes se soient portés sur le rock brut, les riffs, la gouaille, du moins autant que possible, à défaut de véritables coups de coeur. Mais nul ne niera que Josh Homme, Dave Grohl et la carré d’Atlanta frôlent déjà la date de péremption, culminant tous trois à plus ou moins vingt années de carrière. Qu’ils sont loins, les Colour and The Shape , Songs For The Deaf et autres Hunter . C’est plus grave encore pour Royal Blood chez qui l’on pouvait placer de grands espoirs après un premier disque tonitruant qui nous permettait d’espérer en des lendemains qui chantent. Las : le duo de Brighton, sans démériter totalement, ne parvient pas à transformer l’essai de son roboratif éponyme. Que l’on ne se méprenne pas : les disques cités ne sont pas mauvais, loin s’en faut, mais tellement loin de déchaîner les passions… Le reste de votre classement fait la part belle à une autre valeur sûre de la scène rock sur son versant alternatif, et nul doute que nous aurions chroniqué avec plaisir Sleep Well Beast s’il restait encore quelque fan de The National à la rédaction. De l’avis général, ce disque semble faire honneur aux américains, et sa place dans ce top ne parait nullement usurpée. La grosse surprise vient de Liam Gallagher : qui aurait misé un seul centime sur le cadet des Oasis Brothers ? On avait tous été douchés par la qualité en berne de Beady Eye, et l’on doutait que Liam pût redresser seul la barre : on avait tort, assurément. Mais enfin, soyons sérieux une minute : tout aussi attachant que se révèle As You Were , se serait-on attendu à le voir apparaître dans nos Awards ? Non, bien sûr. Liam Gallagher constitue d’ailleurs l’unique point de ralliement entre le classement des lecteurs et celui des rédacteurs, un exploit stupéfiant, d’autant qu’il devait également se frotter à son bougon de frère. Le combat, pour vous comme pour nous, aura tourné court tant Noel, malgré un disque atypique et prenant un risque psychédélique substantiel, ne nous aura pas laissé un souvenir impérissable. La rédaction d’Albumrock, quant à elle, est allée piocher dans des albums assez différents des vôtres, exception faite de Liam Gallagher donc, Steven Wilson - il est premier chez vous, dernier chez nous - et Anathema, peu souvent cité par vos soins mais ayant enchanté en particulier Clément et votre serviteur, et il n’en fallait pas plus que The Optimist remporte la seconde place de notre listing. Un succès qui n’est pas immérité : le disque a déjà récolté le prix du meilleur album de l’année aux Prog Awards 2017, malgré une rude concurrence - bon nombre de participants ayant pondu leur oeuvre l’année d’avant. Il est vrai que ce road trip lynchien se laisse goûter avec un plaisir certain et permet aux liverpuldiens de renouer avec le triomphe assuré en son temps à Weather Systems . Anathema se fait néanmoins coiffer au poteau par le groupe qui a probablement réalisé le come-back le plus tonitruant de ces dix dernières années : avec leur quatrième album, Slowdive mettent fin à vingt-deux ans de silence de la plus belle manière qui soit, redonnant à leur shoegaze rêveur et sensible tout le lustre qu’il affichait dans les 90’s. Les autres antiques tentatives anglaises de retour ont été moins brillantes : ni Ride, ni The Jesus and Mary Chains n’ont réussi à titiller leur légende, même si l’on pouvait s’y attendre. Autre disque à avoir retenu notre attention, A Deeper Understanding de The War On Drugs, là aussi très attendu, parvient à faire “moins pire” que les autres ténors du rock, raison pour laquelle nous avons une fois de plus salué la pop enivrante et chiadée d’Adam Granduciel, sans excès d’enthousiasme cependant : nul ne contestera la nette supériorité de Lost In Dream sur son petit frère. Mais faute de grives…

Le rock progressif garde encore et toujours une place de choix dans vos suffrages, et malgré une année 2017 assez pauvre dans le domaine - tellement éloignée de l’époustouflante année 2016 -, certains joyaux parviennent à émerger. Si vous avez tenu à saluer le petit dernier de Pain Of Salvation, recyclant avec un certain bonheur le heavy progressif de la vieille garde suédoise, nous avons de notre côté mis en lumière les plus jeunes Leprous et leur troublant Malina , les norvégiens tutoyant désormais davantage la pop que le metal sans pour autant se départir de leur goût pour la syncope. Mais nous lui avons préféré l’épatant Reflecting Of A Floating World d’Elder, le petit dernier du groupe de stoner prog de Boston nous ayant véritablement emballés par la classe de ses textures, l’acuité de son songwriting et la puissance de sa délivrance. L’essayer, c’est sans nul doute l’adopter. Par contre, un disque que nous ne nous attendions pas à retrouver dans notre top, c’est Wolf Alice : personne ne l’a plébiscité, mais un peu tout le monde l’a cité, et c’est donc ce côté rassembleur - et certainement aussi son éclectisme de bon aloi - qui a servi le groupe d’Ellie Roswell qui, avec Visions Of A Life , ne met pas encore tout le monde d’accord mais franchit indéniablement un cap. Tout le contraire de Temples qui, en travestissant totalement son rock psyché en y injectant une folle dose de pop, a réussi à cliver nos rangs, s’imposant tranquillement auprès de certains tout en ulcérant une bonne partie de ceux qui n’ont pas voté pour eux.

C’est sans doute l’une des leçons qu’il faudra retenir de cette “war on pop” que j’évoquais dans mon édito de rentrée : la tiédeur mainstream n’aura pas permis au rock de reprendre le dessus sur la pop et le hip hop. Les tentatives successives d’Arcade Fire, Linkin Park, The XX et on en oublie - qu’est-ce qu’il y en a eu, cette année ! - d’aller faire du gringue à l’auditeur lambda se sont concrétisées par de cinglants échecs. Sans doute Josh Homme lui-même pourrait-il tirer le même constat, à un degré moindre cependant. Là où Temples se démarque, c’est justement en osant la transformation complète, qu’elle plaise ou non à tout le monde, sans se départir de son acuité d’écriture. Sans doute le rock, s’il ne veut pas perdre de son attrait, aura bon ton de ne pas tout sacrifier de ses particularismes sonores et stylistiques, aussi rebutants puissent-ils parfois être pour certains, afin de survivre à cette décennie. Mais indépendamment de ça, nombre d’acteurs installés très attendus cette année se sont plantés à plus ou moins grande échelle. At The Drive-In, Gorillaz, The Black Angels, Body Count, Alt-J, Kasabian, Nine Inch Nails ou même Weezer se sont contentés de faire le job, parmi d’autres prétendants présumés à une place d’honneur voire même plus à ce palmarès. Seuls The Horrors, encensés en ces pages et d’ailleurs un peu partout dans la rockosphère, n’auront finalement pas su transformer leurs attraits en arguments affectifs. De votre côté, les ultimes places sont remportées à l’arrache par Mac Demarco et Ty Segall, des artistes bien dans leur temps, solides, besogneux, décidés à s’accrocher pour s’imposer contre vents et marées. On verra notamment si le second franchira une étape l’an prochain avec l’un ou l’autre des albums auxquels on peut s’attendre chaque année avec lui, le premier étant d’ores et déjà attendu pour la fin du mois. Segall se montre représentatif d’une certaine tendance par certains côtés assez emballante dans le rock des late 10’s : cette propension qu’ont certains groupes à se livrer à une impressionnante surenchère quantitative. En témoigne en particulier les truculents King Gizzard and the Lizzard Gizzard qui ont réussi leur pari fou d’avoir délivré 5 albums en 2017. De fait vos votes se sont-ils répartis entre deux ou trois d’entre eux, et de fait le septet de Melbourne aurait à coup sûr intégré le palmarès de cette année s’il s’était contenté d’un régime plus maigre. Il n’en demeure pas moins que la performance est à saluer.

Ainsi donc, face à cette triste année pour le rock, faut-il se morfondre, baisser les bras et s’abandonner au marasme ? Probablement pas. Mais il nous faudra prendre pour acquis cette évidence : le rock est en train de se faire évacuer de la musique populaire, et personne, parmi ses ambassadeurs les plus en vue, ne semble capable d’inverser cette désolante tendance. On doute déjà que Jack White, seul grand nom à avoir annoncer quelque émolument en ce début d’année, puisse à lui seul renverser la marée nouvelle. Auquel cas il ne nous reste plus qu’à guetter la relève, même si celle-ci semble se faire attendre. Pourquoi ne pas aller nous frotter d’emblée au punk sombre de Shame ou au rock rugueux 90’s de Starcrawler, parmi deux acteurs qui semblent prendre leurs marques en ce début d’année ? Il est temps que place soit laissée aux jeunes. Et bien sûr on ne pourra que surveiller les chapelles qui, nous n’en doutons pas, ne manquerons pas de nous réserver des pépites comme chaque année. Ne pas trop attendre de 2018 pour pouvoir l’apprécier pleinement, c’est sans doute la résolution la plus sage qu’il nous faudra prendre. Haut les coeurs et à vos casques, il va nous falloir délaisser les cadors et creuser un peu pour trouver notre pitance auditive, et pas de place pour la tiédeur. Si l’on doute que les critiques interchangeables de Rock N’ Folk - qui notent systématiquement tous leurs disques entre 3 et 4 - puissent vous inciter d’une quelconque manière à vous presser de découvrir de soi-disantes perles que l’on ramasserait soi-disant à la pelle - entre nous, cela fait belle lurette que l’on serait millionnaire, n’est-ce pas ? -, nous allons tâcher, de notre côté, de vous faire partager nos coups de coeur et nos coups de gueule, honnêtement et sans ambage, et surtout avec la passion qui nous anime. Rock on ! Les temps sont durs, mais qu’il est bon de les vivre, même sans savoir de quoi demain sera fait.

Nicolas