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Albumrockeurs, Albumrockeuses,

Ils sont de retour ! Après avoir été contraints de renoncer l’an dernier à notre sacro-saint classement des meilleurs albums de l’année faute de rédacteurs en nombre suffisant pour que les résultats puissent avoir un minimum de sens, voilà que nous faisons revivre les Albumrock Awards. Nous savons qu’il s’agit d’un rendez-vous que vous affectionnez beaucoup, et sa résurrection constitue pour nous une source de réjouissance à la mesure de notre tristesse d’avoir dû les mettre en jachère. Mais, et vous le constatez d’ailleurs semaine après semaine, Albumrock n’a pas encore retrouvé son rythme de croisière d’antan. Oui nous souhaiterions couvrir plus de nouveautés dans le domaine du rock, oui nous souhaiterions revenir aux dossiers thématique qui ont représenté notre marque de fabrique sur la décennie écoulée, oui nous souhaiterions traiter plus d’actus, de concert, d’interviews, et j’en passe. L’heure n’est pas encore à une telle fête, mais si le coeur vous en dit et si écrire sur le rock vous intéresse, nous vous enjoignons chaleureusement à rejoindre nos rangs, pour que puisse vivre cette belle passion tant malmenée dernièrement.

Car oui, en cette fin de décennie 2010, le rock est malmené. Plus encore: vilipendé, dénigré, ignoré, traité par le mépris. Ce qui n’était qu’une conjecture de la part de votre serviteur il y a maintenant environ deux ans (et Dieu sait qu’on m’en a fait le reproche, notamment lorsque je n’avais pas hésité à étriller l’odieux Tranquility Base Hotel and Casino des Arctic Monkeys) est désormais une réalité dans laquelle à peu près tous les grands médias se reconnaissent. Si 2019 a certes vu éclore une timide réaction des rockeurs en comparaison d’une année 2018 proprement calamiteuse, ce que l’histoire retiendra surtout des douze derniers mois écoulés, c’est le triomphe de la pop tout azimut, symbolisée par le plébiscite porté à Billie Eilish lors des récents Grammy Awards. Cinq récompenses majeures, auxquelles s’ajoutent les deux prix remportés par son frère producteur pour le même When We Fall Asleep, Where Do We Go?. Du jamais vu. Un succès par ailleurs amplement mérité tant la jeune californienne est parvenue à bousculer les codes de ce genre ultra-calibré et à en repousser les frontières sans trahir sa personnalité, livrant un disque assez saisissant à l’écoute, remarquablement produit, aussi intriguant dans son ambiance qu’addictif sur la durée. Mais au-delà de ce seul cas symbolique, les derniers Grammys ont malheureusement confirmé le déclin inexorable du rock. Malgré toute l’estime que l’on peut porter à un groupe tel que Cage The Elephants, croyez-vous vraiment que des disques comme Tell Me I’m Pretty (2017) et Social Clues (2020) auraient pu rafler la mise du meilleur album rock de l’année si la concurrence s’était révélée à la hauteur ? Cette défection s’en trouve à un tel stade qu’il faut désormais deux ou trois tenants de la scène hard / metal pour venir renforcer les rangs du rock chaque année aux Grammys, ce qui n’était absolument pas le cas quelques dix années plus tôt. En 2020, ce sont Rival Sons et I Prevail qui ont joué ce rôle, sans compter Bring Me The Horizon tant il est vrai que le tout dernier AMO a largement tourné le dos à son état métallique d’origine. Du côté du rock “mainstream”, c’est le désert ou presque, et la nomination des Cranberries pour leur ultime adieu à Dolores O’Riordan a plus valeur d’hommage tragique que de réelle qualification dans les règles. Si l’on s’en tient à cette constatation, il n’y a pas à tourner autour du pot : le rock est KO debout, et il va peiner à se redresser.

Et ce ne sont clairement pas ses rois passés qui vont contribuer à redorer son blason. Nous commencerons d’ailleurs cette analyse des Albumrock Awards en appréciant la réception des derniers émoluments des rock star phare des années 2000-2010. Si l’on s’en tient aux artistes ayant pignon sur rue, un seul trouve un tant soit peu grâce à vos yeux : Jack White, avec la renaissance de ses Raconteurs. Pour autant, ne soyons pas dupes : vous autres lecteurs le placez à une bien piètre huitième position de vos suffrages. Il est bien loin, le temps où cette association avec Brendan Benson et la section rythmique des Greenhornes déchaînait les passions presque à l’égal des White Stripes. Aujourd’hui, les Raconteurs ne sont plus qu’une lointaine réminiscence des stars qu’ils étaient alors, et si nous n’avons pas (encore) critiqué Help Us Stranger dans nos pages, c’est sans doute parce que l’album nous a laissés de marbre. Plus ou moins comme vous, d’ailleurs. Pour le reste, les votes divergent de façon abyssale sur un acteur majeur de ces dix dernières années, car c’est Foals qui prend la tête du classement des rédacteurs d’Albumrock tandis que le groupe n’est même pas cité par les lecteurs. On gage qu’Everything Not Saved Will Be Lost souffre d’avoir été scindé en deux parties, ce qui a conduit à un certain éclatement des votes, sauf dans nos rangs ou la seconde partie a été jugée nettement moins réussie que la première et donc indigne d’intérêt pour les Awards. On gage aussi que de réels amateurs des Poulains ont élu domicile à la rédaction, l’effet fanboy / fangirl ayant joué à fond. Un plébiscite en demi-teinte, donc. Il n’empêche : Foals, sans égaler la qualité de ses succès passés, n’a pas démérité et confirme sur la durée son statut de valeur sûre par le prisme d’une discographie difficilement attaquable et de prestations live de hautes volées. Le rock est mort, clame-t-on partout ? À tout le moins s’érigent-ils au rang d’exception, même s’il leur manque sans doute un petit quelque chose pour emboîter le pas de Coldplay ou de Muse par exemple. Mais il faudra plus qu’une exception au rock pour redresser la barre.

Hors chapelles spécialisées, peu de disques estampillés rock “au sens large” recueillent vos suffrages. L’autre cas particulier concerne le talentueux Nick Cave qui, avec Ghosteen, poursuit sa catharsis après avoir perdu son fils adolescent tué dans un dramatique accident. Skeleton Tree bouleversait en son heure, Ghosteen se montre à l’avenant. Paru sans crier gare fin 2019, l’album n’a eu aucun mal à se hisser au troisième rang de vos votes. Autre grand gagnant de ces Awards côté lectorat, King Gizzard and The Lizard Wizard parvient enfin à décrocher une belle place après avoir des années durant souffert de son extraordinaire productivité. Avec deux albums pourtant accouchés en 2019, la formation australienne recueille quelques lauriers grâce au très réussi Infest the Rats' Nest , mais peut-on encore parler de rock mainstream alors que le disque flirte ici allègrement avec le heavy metal ? On vous laisse juge, mais on gage que cette couleur a certainement joué dans votre choix au détriment de Fishing For Fishies, autre galette estampillée Stu McKenzie and co parue plus tôt l’an passé. Quinze albums en sept ans : qui dit mieux ? Ne passons pas non plus sous silence la timide neuvième place du Boss, car avec Western Stars, Bruce Springsteen nous montre qu’il en a encore sous la pédale, quand bien même la majeure partie de sa carrière se situe bien loin derrière lui. Côté rédaction, les Pixies arrachent d’extrême justesse une timide dixième place avec un Beneath The Eyrie qui marque une progression certaine depuis la reformation des Lutins sans Kim Deal mais qui, hélas, peine à faire oublier leurs quatre disques majeurs parus à la charnière 80’s-90’s. Clairement, il ne faudra pas non plus compter sur eux pour relever le rock n’ roll de ses cendres. On retiendra surtout de par chez nous le très bel accueil fait au Fever de Balthazar, dernier succédané de la scène belge encore un tant soit peu vivace et enthousiasmant : l’album décroche une cinquième place dans nos rangs, jolie perf.

Penchons-nous maintenant sur les points de convergence entre lecteurs et rédacteurs. Il est un fait que les grands gagnants des Albumrock Awards 2019 sont à rechercher dans le domaine du hard / metal et/ou du rock progressif, deux secteurs en pleine santé, on ne peut plus prolifiques et par ailleurs très prisés de la rédaction et, par effet ricochet tout à fait légitime, de notre lectorat. À tout seigneur tout honneur, Tool raffle tout, ou presque. Premier choix des lecteurs, deuxième des rédacteurs, Fear Inoculum suscite une unanimité presque parfaite, mais il faut dire que l’album le mérite amplement, à supposer que l’on ne soit pas allergique / réfractaire au metal psyché si particulier des américains. Attendu treize années durant, le mastodonte de la bande à Adam Jones, servi par une maestria technique et une production époustouflantes, réussit le pari de se poser comme son disque le plus réussi mais aussi le plus accessible. Autant dire que son triomphe ne faisait pas le moindre doute. Autre point de convergence, Rival Sons confirme son statut de groupe leader - au moins en termes qualitatifs - de la scène hard rock. Varié, inspiré, remarquablement interprété, Feral Roots n’est sans doute pas loin de constituer le pinacle de la bande à Jay Buchanan, point d’orgue d’une discographie épatante, autant ancrée dans le passé que vibrante de modernité, aussi roots qu’actuelle, servie par des musiciens à l’intégrité et au talent sans faille. Inutile de dire que leurs troisième et cinquième places n’apparaissent nullement usurpées. Arrivent ensuite ces diables de Dream Theater qui, en gravissant les sixième et dixième échelons, parviennent enfin à réunir suffisamment de votes pour pouvoir être cités aux Albumrock Awards. Il leur aura fallu pour cela attendre leur quatorzième album ! Et pour cause : Distance Over Time se révèle une totale réussite mais surtout un disque varié qui a su mettre tout le monde d’accord, bien loin du parti pris opéra rock de The Astonishing qui a pu en ulcérer plus d’un. Les vétérans de la scène metal prog sont encore là et bien là, et ils ne semblent pas prêts de prendre leur retraite malgré la défection de leur batteur vedette Mike Portnoy, parti fricoter avec de sérieux concurrents du nom de Sons of Apollo. Réponse du berger à la bergère en 2020 ? Nous le saurons très bientôt.

Parmi les autres vainqueurs de 2019, on retiendra quelques jolis groupes qui, s’ils n’ont pas livré leur meilleur album cette année, prouvent que leur vitalité et leur créativité ne sont pas mortes. C’est le cas d’Opeth, même si In Cauda Venenum n’a pas autant convaincu que The Sorceress ou Pale Communion : au moins Mikael Ackerfeldt se remet-il en question et n’hésite-t-il pas à explorer de nouveaux territoires en chantant en suédois (toujours sans grawler, au grand dam des adorateurs du versant death metal du groupe) et en se parant d’une couleur un peu plus expérimentale. Dans cette même veine, on peut citer les norvégiens de Leprous qui, pour le coup, n’ont pas hésité à prendre des risques en se fermant à quasiment toutes leurs influences métalliques sur le fort réussi Pitfalls, sixième choix des lecteurs : à la lumière de cette reconnaissance (partagée un peu partout dans les sphères progressistes), on gage qu’Einar Solberg poussera encore ses acolytes à se surpasser davantage sur leur prochaine livraison. De bon augure, sans aucun doute. Citons également Big Big Train, moins époustouflant que sur le brillant Folklore mais renforçant néanmoins son statut de leader de la branche prog rock pur et dur avec Grand Tour (critique à venir bientôt sur Albumrock, promis !), ainsi que Frank Carter and the Rattlesnake, pour le coup seul acteur un peu discordant de ces Awards puisqu’officiant dans une veine punk ici nettement plus mainstream, efficace, avec un disque joliment produit et calibré pour le plaisir des masses (on parle de End Of Suffering, of course). Sans doute un petit manque de personnalité, mais le bonhomme ne demande qu’à mûrir. Et qui sait ? Après tout, il y a moult places à prendre sur la scène. Le disque raffle la septième place des Awards côté rédaction. Derniers vainqueurs et non des moindres, les vétérans de Diamond Head n’ont toujours pas passé l’arme à gauche, au contraire : The Coffin Train prouve que l’on peut encore faire de bien belles soupes (au sens noble du terme) dans les vieux pots. Les pionniers de NWOBHM arrachent une petite citation en dixième position du classement des rédacteurs.

Pour autant, malgré le pessimisme général qui baigne ce débriefing, on finira sur une note vachement revigorante. Car avec Last Train, la France peut se targuer de compter dans ses rangs un groupe d’une valeur inouïe. Deuxième choix du lectorat et quatrième de la rédaction, The Big Picture confirme l’irrésistible ascension des jeunes mulhousiens qui voit leur rock fougueux évoluer vers plus de variété, de personnalité et d’émotion. C’est sans doute l’image que l’on préférera retenir en refermant la page de cette deuxième décennie estampillée 2000 : même dans les moments les plus sombres, il est toujours certains hérauts pour brandir haut et fort les valeurs de leur musique, tels des phares dans les ténèbres. À nous-autres rédacteurs de vous guider vers ces lumières éclatantes, en attendant des jours meilleurs.

Keep on rockin' dudes!

Nicolas