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Quoique la tradition veuille que l’édito des Awards soit rédigé par le rédacteur en chef, j’ai souhaité laisser à Nicolas la possibilité de s’y adonner cette année encore. D’une part parce que je l’ai remplacé en cours d’année (mais soyez rassurés, il demeure rédacteur à part entière), d’autre part parce que cet amoureux pointu du rock au sens large à la plume assurée est habituellement très pessimiste sur l’état de la scène. Or, je le savais comblé par la production de l’année 2020 – comme nous le fûmes tous – et que son enthousiasme devait être partagé. De mon côté, je me contenterai de quelques mots.

Je ne ferai pas de diatribe sur la situation politico-sanitaire, même si du point de vue de la musique et du spectacle vivant, les conséquences sont substantielles : mépris des pouvoirs publics, fermeture des salles et annulation des festivals, changement dans les modes de création et, de façon plus positive, dynamique productrice autour de cette thématique (voire grâce au confinement). Pour le site également, cet épisode a marqué une hausse de productivité, notamment lors du premier confinement, durant lequel certains d’entre nous avaient plus de temps pour participer à la vie du webzine : en témoignent les nombreux dossiers (classements personnels, anniversaire de l’année 1970 …) et chroniques qui sont parus cette année.

Cette dynamique vient aussi du nouveau printemps qu’a connu Albumrock. En effet, nous avons accueilli cinq nouveaux rédacteurs particulièrement actifs et compétents, qui viennent doper l’activité et apporter une dose d’éclectisme, de bonnes idées, et un enthousiasme sans borne. Sans en dire trop, cette année 2021, qui marque les vingt ans du site, réservera son lot de surprises. Ainsi, c’est plus de 100 nouveautés qui ont été chroniquées pur l’année 2020, sans compter les multiples critiques d’opus dont la sortie est plus ou moins éloignée dans les limbes du temps.

2020 fut un excellent cru, avec une production quantitativement et qualitativement impressionnante, de nombreux groupes ont accouché de leur meilleure album, bref, cinquante ans après les débuts de la plus faste des décennies pour le genre qui nous tient à cœur, le rock n’a pas à rougir de son état. Et sa richesse n’a plus à être démontrée tant les styles sont démesurément variés : il semble que nul autre genre musical puisse se targuer de cette même densité. C’est également d’un point de vue géographique que cette vitalité est sensible : si les deux monstres anglo-saxons dominent encore largement (un peu moins de 60% des albums chroniqués en 2020), 15 pays ont été couverts par nos soins, et certains ont une place non-négligeable (presque 10% pour la France, 15% pour l’aire scandinave avec une nette dominante suédoise). Cela témoigne aussi bien de la dimension internationale du rock que de notre volonté de sortir des frontières habituelles : promesse est faite de maintenir cette ouverture pourvue que la qualité y soit.

François

Albumrockeurs, Albumrockeuses,

Il y aurait tant à dire sur cette année 2020 si riche en événements peu réjouissants pour l’ensemble de la planète qu’il serait de bon ton de ne pas trop s’attarder dessus en ces pages. Déjà que les soi-disant sommités scientifiques n’ont cessé de débiter les pires âneries à longueurs de semaines passablement éreintantes sur le plan médiatique que l’on préfère vous faire grâce de notre analyse qui ne volerait sans doute pas plus haut qu’une interview promo de Didier Raoult sur BFMTV. Alors oui, la pandémie de Covid-19 a profondément marqué la planète dans tous les secteurs, et particulièrement celui des spectacles - et donc celui du rock. Oui, nombre d’albums ont vu leur sortie repoussée (un sacré bazar pour la tenue de notre calendrier, au passage), oui, les tournées ont toutes été annulées, oui, les salles de spectacle ont été fermées et les festivals mis en stand by. A l’heure où cet édito est écrit, on ne sait d’ailleurs toujours pas quand nous aurons la possibilité de retrouver nos groupes favoris sur scène. Mais arrêtons-nous là avant de nous lancer dans des diatribes stériles puisque s’il y bien une chose que l’humanité a apprise à ses dépens au cours des derniers mois, c’est qu’elle ne contrôlait rien et qu’il fallait parfois savoir se résigner, prendre son mal en patience, espérer et garder le sourire, sans se laisser aller à plonger la tête dans la piscine saumâtre du journalisme qui a fait du mot “inquiétude” son leitmotiv le plus navrant. Pour autant, ce contexte sanitaire exceptionnel - du moins on l’espère - ne saurait être passé complètement sous silence au motif qu’il a eu une incidence forte sur les productions discographiques de l’année passée, en tout cas celles parues au second semestre, ces fameux “albums de confinement” qui ont commencé à poindre avec la rentrée et qui fleuriront encore sans doute largement en 2021, car ces disques-là, marqués au fer rouge par une époque passablement tourmentée, ne manqueront sans doute pas de nous transporter dans les plus hautes sphères musicales. À quelque chose malheur est bon, comme le dit le proverbe.

Ne tournons pas autour du pot : en termes de rock, l’année 2020 s’est révélée on ne peut plus réjouissante. Rarement on n’avait pu écouter des albums d’une telle classe, en si grande quantité et dans une temporalité aussi brève. Le coronavirus expliquerait donc à lui seul ce curieux phénomène ? À moins qu’il s’agisse d’un alignement des astres tout à fait incongru ? Ou bien l’heure du réveil du rock aurait-elle enfin sonné après une décennies 2010 in fine déclinante ? Il est sans doute encore trop tôt pour le dire quand on voit que la pétulante Miley Cyrus a réussi à catapulter son Plastic Hearts en tête du Billboard Top Rock Album Charts, c’est dire à quel point nous sommes tombés bas. Pour autant, il sera sans doute intéressant de voir à quelle sauce le rock nous sera servi au cours des prochains mois et si le marasme ambiant aura su éveiller chez les auditeurs lambda des envies d’une musique un peu moins easy listening et radio friendly. Mais revenons à 2020 et insistons sur un point : ce cru particulièrement goûteux a su concerner tous les pans du rock, vieilles carnes comme jeunes pousses, acteurs populaires fédérateurs comme prophètes enseignant dans leur seule chapelle. En témoigne un classement des Albumrock Awards tout à fait éclectique qui ne peut que nous enthousiasmer, nous qui nous targuons, parfois contre vents et marées, de défendre le rock dans son acceptation la plus large, des ados de la black belt anglaise traquant les filles et les stouts à grands coupes de harangues révoltées aux vénérables briscards nordistes passés maîtres dans leur art de la transcendance par riffs et digressions érudites interposés, avec tous les intermédiaires possibles.

Les premières réjouissances de l’année passée nous viennent d’Angleterre, et encore une fois la patrie du rock n’ roll a su tenir son rang. Qu’elles se nomment Doves ou Fontaines D.C., elles ont le mérite de (re)mettre en lumière ce que les british savent faire de mieux : du rock vrai, viscéral, mais aussi humain, mélodique et habité, du genre à soulever les stades et à dévaster les charts. Toutes proportions gardées bien sûr, on ne peut que louer le come-back tonitruant de Jimi Goodwin et sa bande : après plus de dix ans d’absence, ils reviennent dans une forme olympique, à mi-chemin entre un Coldplay authentiquement sincère et un Elbow plus rentre-dedans. C’est simple : The Universal Want a mis à genoux toute la rédaction, et quasi tous les rédacteurs ont cité le disque dans leurs classements. À la clé, une première place bien méritée chez nous. Du côté de Fontaines D.C., l’auteur de ces lignes ne peut s’empêcher de sourire tant il avait prophétisé - avec justesse, hé hé - que A Hero’s Death finirait en bonne place aux Albumrock Awards. 3e de vos votes, 5e des nôtres, le second essai des post-punkers emmenés par le troublant Grian Chatten fait montre d’une belle maturité, ce qui ne présage que le meilleur pour les années à venir. Ils sont si jeunes ! Mais la Perfide Albion sait se distinguer dans tous les registres, que ce soit le punk rugueux et foutraque d’Idles (Ultra Mono, n°9 des lecteurs) ou, un peu plus significativement, le prog rock sophistiqué et habité de Pure Reason Revolution (4e et 6e, respectivement), nous avons ici affaire à des formations de tout premier ordre dont on risque encore d’entendre parler longtemps.

Restons en Angleterre et penchons-nous maintenant sur des genres un peu plus typés. L’arrivée de François à la rédaction nous a ouverts - et vous aussi, par la même occasion - à un revival proto metal 70’s - NWOBHM qui a le vent en poupe, suivant en cela, et avec une bonne décennie de retard, la remise au goût du jour du hard rock. A ce petit jeu, Wytch Hazel se révèle sans doute l’acteur le plus talentueux qui soit, sans compter que le groupe ne cesse de monter en puissance. III: Pentecost, fort d’un net bond qualitatif en termes de composition et de production, n’a eu aucun mal à se hisser à la deuxième place chez nous. Bien plus loin, le metal prog très puissant et technique de Haken parvient enfin à se voir cité dans ces pages (n°8 chez nous), ce qui ne peut que nous mettre en joie, d’autant que Virus - quel titre d’album pour 2020 ! - se pose comme une cinglante réussite. Au bout de dix ans d’activités, la bande à Richard Henshall parvient enfin à prendre son plein envol : Dream Theater n’a qu’à bien se tenir !

Avant de traverser l’Atlantique et de retrouver quelques têtes de gondole, allons faire un petit tour par les pays scandinaves. Et si le renouveau du rock venait de là-bas ? À voir le palmarès de cette année, on peut sérieusement se poser la question, en tout cas dès lors que l’on sort des sentiers battus. Qu’ils officient dans le hard rock (Night, Hällas), le rock progressif (typé 70’s pour Wobbler ou 80’s pour Gazpacho) ou le power black metal (Kvelertak), suédois et norvégiens épatent. Ces cinq formations ont sorti cette année des disques splendides, salués au choix dans notre classement ou le vôtre. On ira même jusqu’à avancer que Fireworker (de Jan-Henrik Ohme and co), Dwellers of the Deep (de la bande à Lars Fredrik Frøislie) et Splid (de la triplette Vidar Landa - Bjarte Lund Rolland - Maciek Ofstad) surpassent tout ce que ces foutus vikings avaient réalisé jusqu’alors. Vous n’en êtes pas convaincu ? On vous invite à aller le vérifier, et gageons que vous ne serez pas déçu. Last but not least, la Pologne - certes pas scandinave, mais à tout le moins voisine - s’invite dans ce palmarès par le biais de Mariusz Duda dont le dernier Lunatic Soul vous a enchantés, et c’est un euphémisme : la fusion prog-folklorique de Through Shaded Woods récolte la deuxième place de vos suffrages. Non, le paysage rock ne se résume pas qu’à une guerre entre Boris Johnson et Donald Trump, euh, pardon, hum hum, entre Londres et Washington. L'Europe continentale a plus que jamais son mot à dire !

Allez, cette fois-ci on part dans une Amérique bien troublée, laminée par la crise sanitaire, assommée par la crise économique et déboussolée par une crise identitaire de plus en plus crispante et clivante. Un terreau fertile pour de beaux disques, sans vouloir se réjouir du malheur des autres, bien sûr, et à charge au nouveau locataire de la Maison Blanche d’apaiser tout ce petit monde. Point de ralliement entre lecteurs et rédacteurs, All Them Witches, les prolifiques sorciers de Nashville, ont encore une fois frappé fort avec un opus de stoner psyché assez saisissant : Nothing As The Ideal sublime l’œuvre du trio et se hisse en 6e et 4e place, belle réussite. Place ensuite à la curiosité Muzz, le supergroupe de Paul Banks (Interpol) et le touche-à-tout John Kaufmann (vue chez The National et The War On Drugs) qui n’a visiblement rien d’une récréation et qui se place comme un projet appelé à un bel avenir. En tout cas, son premier opus a su titiller la rédaction et accrocher une 9e place très honorable. Côté célébrités, si Maynard James Keenan a eu l’occasion de briller les années précédentes avec les résurrections de Tool et A Perfect Circle, il n’a pas pour autant mis au placard son singulier Puscifer. La preuve : alors que nous l’avions passé sous silence, vous avez insisté pour que nous chroniquions Existential Reckoning, et ce fut chose faite ! Une petite dixième place de par chez vous pour un rock indu bien barré qui ne démérite nullement.

Terminons avec deux poids lourds. D’abord Pearl jam, que l’on n’avait plus vu à un tel niveau depuis… depuis quand déjà ? Vitalogy ? On exagère à peine. Gigaton, en tout cas, se révèle une réussite assez magistrale pour ces vétérans du grunge qui, à l’évidence, sont loin d’avoir dit leur dernier mot - et c’est tant mieux. Troisième choix des lecteurs, c’était inespéré, clairement. Mais la palme du triomphe US revient sans conteste à Deftones. C’est bien simple, Ohms a mis tout le monde K.O. tant ce retour aux sources a su étourdir par la profondeur de ses sonorités - c’est LA production de l’année, et de loin - et la justesse de ses compositions, entre ire sulfurique et cajoleries rêveuses. L’étiquette nü metal s’est définitivement décollée du gang de Sacramento, et on ne peut qu’applaudir à une première place bien méritée de par chez vous.

Ah oui, n’oublions pas la France ! Même si Lazuli est loin de jouir de l’aura et de la renommée exponentielle de Last Train, l’Hexagone peut s'enorgueillir de ce fer de lance d’une scène progressive aussi riche que méritante (un petit numéro 11 chez nous, mais c’est déjà énorme). Et puisqu’il s’agit là de mon dernier édito en tant qu’ancien rédacteur en chef d’Albumrock - la petite larme est de rigueur ! Rassurez-vous, loin de moi l’idée de partir -, j’en profite pour accompagner François de tous mes vœux, lui qui a repris le flambeau avec brio depuis maintenant quelques mois. Et ça tombe bien puisqu’il vient également de publier un superbe manifeste aux éditions Camion Blanc, Rock Progressif Français, une histoire discographique : je ne peux que vous encourager à vous le procurer ! Et vous appeler, encore et toujours, à venir gonfler nos rangs si d’aventure vous trouvez que nous n’en faisons pas encore assez, que trop de disques passent entre les mailles de nos filets, que vous genres de prédilections ne sont pas assez représentés sur le site : venez nous rejoindre ! Nous serons ravis de vous accueillir à l’heure où Albumrock fête ses vingt ans d’existence, une longévité dont nous ne sommes pas peu fiers même si nous savons que c’est avant tout à vous que nous la devons. Il y aura bien des surprises en 2021, alors stay tuned and listen to rock n’ roll, plus que jamais en ces temps difficiles pour tous.

Nicolas