Beach Fossils
Somersault
Produit par
Voilà une chronique qu'on aurait dû vous écrire beaucoup plus tôt, l'album en question étant sorti au début du mois de juin. Mais voilà, Alt J a publié son nouvel album en même temps, on est partis en vacances, on a voulu s'y mettre mais Arcade Fire a publié son petit dernier aussi et une chose en entraînant une autre, le dernier de Beach Fossils est passé à la trappe. C'est une erreur, cher lectorat, une grossière erreur de notre part, car cet album constitue la BO parfaite de cet été. Soit vous êtes des curieux et vous étiez tombé dessus avant les grosses chaleurs (et nous vous félicitons chaleureusement), soit vous attendiez notre sainte parole pour le découvrir et vous vous sentez fort marris. Laissez-nous donc tenter de réparer les pots cassés.
Nous vous parlons peu de Beach Fossils sur albumrock et c'est un tort. Ils font partie de l'écurie Captured Track, qui fut la figure de proue de l'indie des années 2010 grâce à signature musicale reconnaissable entre mille. Le pedigree des américains parle de lui-même: Wild nothing, Beach Fossils, Mac Demarco, DIIV, etc. "Ah mais c'est donc pour ça qu'ils ont tous le même son!" s'exclamera le lecteur perspicace. Eh oui, tous les premiers titres des groupes signés sur ce label alignent le combo reverb sur la voix à fond + guitares aériennes = ambiance cotonneuse (pour le dire pudiquement). Beach Fossils n'échappe pas à la règle : leur premier album éponyme, publié en 2010, cochait toutes les cases.
Depuis le groupe mené par Dustin Payseur a creusé son sillon avec What a pleasure (2011) et Clash the truth (2013). Dans chaque album on retrouve cette propension à tisser des ambiances lumineuses à grands renforts de reverb. Certains titres sont particulièrement réussis comme "Face It" sur What a pleasure, ou le petit bijou "Sleep apnea" sur Clash the truth. La progression était évidente sur ce dernier album, où le groupe osait quelques explorations sonores. Dans le même temps, les autres poulains de l'écurie Captured Tracks s'émancipaient en construisant leur identité musicale (allez jeter un oeil au petit dernier de DIIV, Is the Are?, pour vous en convaincre).
Il manquait ainsi à Beach Fossils une vraie prise de risque, un "saut périlleux" en somme (la traduction de ce "somersault"). C'est donc peu que de dire qu'on est agréablement surpris à la première écoute de ce nouvel album (on l'aurait peut-être moins été en googlant plus tôt le nom de l'album...). Cette fois, Dustin Payseur, force créative du groupe, a osé de nouveaux instruments, et c'est ébouriffant. Rien que dans ce "This Year" inaugural, tout est dit. Il y a toujours de la reverb autour des voix qui chantent les refrains en chœur, mais il y a aussi une vraie batterie, des violons qui gonflent la mélodie comme des voiles, une guitare claire qui ouvre le disque fièrement... Incroyable mais vrai, Beach Fossils sort des brumes du shoegaze et livre un album d'indie pop limpide. C'est bien simple, Pitchfork, la bible de l'indie, lui a attribué la note généreuse de 7.3.(Pitchfork est à la critique musicale ce qu'est au corps enseignant ce prof de philo bougon qui ne note jamais au-dessus de 12 par principe). Revenons à nos fossiles version 2017. Schématiquement on peut diviser l'album entre des morceaux typiques Beach Fossils et des titres sortant audacieusement de leur zone de confort.
Parmi les titres qui raviront les adeptes du groupe, "May 1st" tricote une jolie mélodie sur plusieurs tons, "Closer Everywhere" ose le solo et les clavecins, et "Down the line" est peut-être le morceau directement issu de leur discographie, avec sa ligne de basse déterminée. "Be Nothing" est un digne héritier du shoegaze, avec des guitares nerveuses qui apportent un coup de fouet bienvenue en fin d'album (ne vous fiez pas à son intro rêveuse). Chacun de ces titres déploie une ambiance complexe, plus riche que sur les précédents albums sans pour autant s'éloigner de leur signature musciale.
La prise de risque la plus nette est à chercher ailleurs, du côté de "Tangerine", "St Ivy", "Rise", ou "Social Jetlag". Cette fois l'exploration sonore est frappante: des instruments jamais utilisés jusqu'ici débarquent au milieu de la chanson (la clarinette de "St Ivy") ou bousculent leur usage conventionnel (les notes de piano égrenées en chapelet sur "Social Jetlag"). Idée révolutionnaire, une chanteuse (Rachel Goswell, de Slowdive, soit une sommité dans le petit monde du shoegaze) est invitée à entonner le refrain de Tangerine. C'est bien simple, on a envie qu'elle intègre le groupe illico tant sa voix se mêle parfaitement aux mélodies (mais du coup Slowdive serait privé de son talent et ça serait d'autant plus triste qu'on a adoré leur dernier album). Encore plus étonnant, on tombe en arrêt devant le spoken word de "Rise", interprété par le rappeur américain Cities Aviv, dans une ambiance désabusée magnifiée par un saxo improbable. Les guitares ne sont heureusement jamais très loin, comme lorsqu'elles répondent aux violons sur "St Ivy", peut-être l'un des plus beaux morceaux de pop de l'année.
Beach Fossils a laissé la lumière entrer dans sa musique et l'a rendue du même coup beaucoup plus accessible. L'album qui résulte de cette prise de risque offre des mélodies solaires et des textures riches. C'est la bande son idéale du dîner entre potes qui s'éternise, du voyage en voiture vers de nouveaux horizons. Finalement, le seul reproche qui vient à l'esprit est peut-être cette lumière surprenante, inattendue pour ce groupe. Leur son ouaté avait tellement constitué leur identité qu'on se prend parfois à regretter le cocon apaisant de leurs chants noyés dans la reverb ("The Horse" ou "Youth", sur l'album éponyme, en sont de bons exemples). Leur songwriting n'a pas non plus pris davantage d'ampleur: leur musicalité s'est ouverte au monde extérieur mais Dustin Payseur a passé moins de temps à travailler ses paroles que ses mélodies. Les réalités du monde en 2017 semblent bien loin de leur univers. Il faut lire attentivement entre les lignes de "St Ivy", la chanson la plus politisée, pour trouver une critique de l'élection de Trump ("Wanna believe in America/But it's somewhere I can't find").
Acceptons donc de prendre cet album pour ce qu'il est: un innocent objet pop, de très belle facture. Signe de la qualité de l'album, les écoutes successives n'épuisent pas les mélodies, bien au contraire. Beach Fossils réussit à définir enfin un son qui s'émancipe du lourd héritage de Captured Tracks, pour le plus grand ravissement de nos oreilles.
Allez, bonne fin de vacances!
Pour commencer: This Year, St Ivy et Down the Line.