Cave In
Final Transmission
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Dans la galaxie des groupes américains de rock les quatre de Boston ont toujours occupé une place à part. Articulée autour de la dualité Stephen Brodsky / Caleb Scofield, la musique de Cave In explore à la fois un hardcore lourd, caverneux, tellurique pourraient dire certains, et un rock spatial, lumineux. A Scofield le grunt, à Brodsky les hautes envolées.
Après s’être fait remarquer au sein de la scène post-hardcore à la fin des années 90 grâce aux albums Until Your Hearts Stops (1998, Hydra Head Records) et Jupiter (2000, Hydra Head Records), Cave In avait taquiné les sommets en signant avec RCA Records pour la sortie du très mainstream Antenna en 2002. L’album s’éloignait du côté hardcore, mais restait nerveux et nous pouvons le dire très bon. A cette période le groupe traversait enfin l’Atlantique, assurant des premières parties appréciées pour les Foo Fighters ou Muse. Mais trop encouragés par RCA à favoriser la branche brodskiste, le deal fut rompu et revoilà nos quatre de retour sur leur propre label qui les représente si parfaitement, le bien nommé Hydra Head Records.
Depuis 2002, deux albums seulement, les uns et les autres s’occupant de divers projets et avouant quand on leur posait la question qu’ils auraient voulu faire plus de musique ensemble mais qu’au final ils avaient souvent préféré se voir pour le plaisir d’être entre potes et en gros, faire des barbecues, aller à la pêche et faire du camping. Cave In ou l’art de relativiser son propre talent.
Sept ans après White Silence (2011, Hydra Head Records), le groupe se remettait enfin au travail en vue d’un nouvel album quand à l’issue d’une de ces sessions, en rentrant chez lui, Caleb Scofield s’est tué en voiture en heurtant un poste de péage. Extrêmement choqués par cette disparition brutale, les trois musiciens restant, Brodksy, McGrath et Conners ont décidé de reprendre toutes les bandes et de rassembler un album posthume en l’honneur de leur ami.
Final Transmission (2019, Hydra Head Records) qui sort ces jours-ci porte donc un fardeau terrible et la plus grande incertitude sur l’avenir du groupe.
Compte-tenu des conditions tragiques de production de l’album, l’ensemble est inégal aussi bien dans le son que dans la qualité intrinsèque des chansons.
En effet, les parties enregistrées par Scofield l’ont été dans le cadre de jams qui devaient servir uniquement au travail de composition. Dans le déroulement normal des choses tout le monde serait ensuite passé en studio. La vie en a décidé autrement. Ainsi, pour préserver la présence du bassiste sur le résultat final il a fallu directement exploiter les bandes de répétitions qui n’ont pas toutes été enregistrées dans les mêmes conditions, d’où ces différences de son que l’on détecte surtout sur le traitement de la batterie de John-Robert Conners.
Le morceau d’ouverture est directement issu d’un mémo vocal envoyé par Scofield après une des dernières répétitions. Une entrée en matière sobre, fragile et chargée d’émotion. Comme si le disparu revenait lui-même d’entre les morts pour nous consoler doucement.
La suite du programme nous laissait entrevoir leur retour en grande forme, à l’image d’"All Illusion" qui démontrait que même si les publications tardaient le groupe était en pleine maîtrise de son art. Du pur Cave In, des envolées spatiales au dessus du tumulte rythmique. Citons également "Night Crawler" et "Led To The Wolves" comme deux autres réussites, la première par son approche toute en progression et la seconde par son côté rugueux et asymétrique et sur laquelle on regrette que Scofield n’ait pas eu le temps de poser de ligne de chant.
Nous disions le disque inégal, il l’est d’abord par le déséquilibre des voix puisque Stephen Brodsky a du prendre en charge à la fois la finalisation de tous les textes (souvent à partir de notes laissées par Scofield) et de tous les chants, or un des signes distinctifs de Cave In reposait sur cette répartition des rôles. Nous avons donc un album au chant clair uniquement ce qui a pour conséquence d’alourdir le poids de l’absent.
Ce qui nous amène à aborder les chansons plus ou moins évocatrices de la situation. Au premier plan "Shake My Blood", une mise en abîme du drame vécu. Une très longue introduction très ancrée dans le style Cave In symbolisant le besoin d’accepter la disparition, l’arrivée du texte marquant la réaction, la volonté de ne pas se laisser sombrer et insistant sur le besoin de réagir. Parlons également de "Winter Window" qui évoque une veillée funèbre ou de "Strange Reflection" résonnant comme une sorte de descente aux enfers.
Cette inégalité de forme est tout à l’honneur du groupe qui a réussi malgré la peine et les obstacles techniques à nous livrer un album fidèle à leur esprit bien que moins rentre-dedans qu’attendu sans tout ce que Scofield aurait apporté.
Souhaitons aux trois membres restant de trouver l’envie de continuer. Eux qui semblaient ne pas avoir trop besoin de jouer ensemble pour être soudés donneront peut être une autre dimension à Cave In, en faisant le meilleur moyen de se rappeler leur défunt ami.