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Critique d'album

Supertramp


Crime of the Century


(00/09/1974 - - - Genre : Pop Rock)
Produit par

1- School / 2- Bloody Well Right / 3- Hide in Your Shell / 4- Asylum / 5- Dreamer / 6- Rudy / 7- If Everyone Was Listening / 8- Crime of the Century
Note de 4.5/5
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Note de 4.5/5 pour cet album
"Certains ne deviennent jamais fous. Leur vie doit être bien ennuyeuse. Bukowski"
Daniel, le 04/05/2024
( mots)


Académie des Petits Rockers - Etage 6 / Classe 66 – Une matinée ordinaire

- Qu’est-ce qui vous fait marrer, les petits rockers ?
- Notre Directeur a confondu un plancton avec une capote anglaise, Oncle Dan (1) !
- Monsieur François est un peu surmené ces temps-ci. Il arrive à tout le monde de prendre un jour sa vessie pour une lanterne…
- C’est vrai, ça, Oncle Dan ?
- Vrai de vrai. Et c’est comme ça qu’on se brûle…
- C’est comique…
- Tu ne diras plus ça quand tu te seras brûlée, Suzy Q ! Beaucoup de rockers ont évoqué le fait que la société finit par nous aliéner et nous rendre fous à lier !
- The Wall, Oncle Dan !
- Bien vu, Lemmy ! Mais il y a eu mieux et bien avant Pink Floyd ! Qui a écrit et chanté : « Je ne suis pas plus fou qu’un autre ! C’est juste un petit jeu que je joue pour rigoler ? »
- …
- Allez hop ! A vos cahiers et à vos stylos !

Où l’on convoque Agatha Christie et son plus célèbre détective belge…

Inutile de multiplier les circonvolutions. Crime Of The Century est définitivement le meilleur album de Supertramp (2). C’est certainement le plus grand opus consacré à l’aliénation humaine (3) et probablement un des meilleurs albums de 1974. Toutes catégories confondues.

Crime Of The Century est élaboré dans la parfaite tradition britannique du "Whodunnit", cher à Agatha Christie et à Hercule Poirot. Un crime horrible est commis (le pire de mémoire séculaire). Il conduit à une épouvantable aliénation de l’être humain. L’enquête, très délicate, nous conduira d’une enfance difficile à un âge adulte désillusionné, en passant par un asile d’aliénés.

Les noms des coupables de ce crime du siècle ne seront révélés que dans la dernière phrase de la plage à la fois titulaire et conclusive. Une révélation absolue qu’il aurait peut-être mieux valu taire à jamais (et que je ne répéterai pas ici).

Où l’on préfèrera l’impressionnisme à l’encyclopédisme…

On ne dispute pas du génie créatif quand il s’exprime comme par miracle. Crime Of The Century sera, pour Supertramp, le seul moment d’équilibre presque parfait entre Rick Davies et Roger Hodgson. Les deux hommes cosigneront par ailleurs tous les morceaux avant d’en revendiquer la paternité exclusive lors d’échanges ultérieurs très confus et chargés d’agressivité.

Davies et Hodgson ont déjà édité deux (mauvais) albums. Cela fait plusieurs années qu’ils vivent au crochet d’un mécène hollandais (l’énigmatique Monsieur Sam à qui Crime Of the Century est discrètement dédié).

Monsieur Sam finance intégralement tous leurs délires (enregistrements décousus, pochettes horribles, concerts sans public). Au début des années ’70, c’est le seul être humain vivant à croire au génie de ses protégés (hormis eux-mêmes).

A l’issue d’une ultime tournée catastrophique, le Hollandais, ruiné et dépité, abandonne la partie. Orphelins de ce père étrange, Davies et Hodgson refusent de renoncer. Ils virent les faire-valoir qui les accompagnent et engagent trois pointures : l’Américain Bob C. Benberg (4) à la batterie, l’Anglais John Helliwell au saxophone et à la clarinette et l’Écossais Dougie Thomson à la basse.

A&M insiste pour que le quintet entre rapidement en répétition dans une ferme aménagée à l’écart du monde. A ce moment précis le groupe est au sommet d’une créativité bouillonnante, en partie due à l’immense frustration accumulée par ses deux leaders.

Il serait idiot de réserver une analyse encyclopédique à Crime Of the Century puisque l’écoute du disque, parfait dans le fond et dans la forme d’un bout à l’autre, est mille fois plus révélatrice qu’un dithyrambe interminable.

En revanche, il est amusant de procéder selon une méthode pointilliste.

A commencer par la pochette de Paul Wakefield (dont c’est le premier travail pour un groupe rock) qui résume l’humanité (ou l’inhumanité) à une simple paire de mains (celles du frère jumeau de Wakefield, maquillées pour paraître cadavériques). L’artwork évoque l’enfermement avec ces dix doigts désespérément crispés sur les barreaux en aluminium d’une cellule. Cette approche "claustrophobique" de l’univers est contrebalancée par une photo intérieure montrant les musiciens posant en caleçon avec leurs costumes et chapeaux sur les bras. Comme si l’ironie pouvait sauver le monde…

L’opus est truffé de petites particularités qui le rendent extrêmement attachant. La qualité et la complicité des musiciens éclaboussent tous les titres. Cette symbiose est parfaitement illustrée dans le très progressif "School". Le jeu combiné de la basse et le la batterie est un exercice d’art virtuose formidablement ouvragé. A ce niveau-là d’excellence, Supertramp est seul sur le toit de son monde. Parce que l’aspect progressif sert toujours la narration et jamais l’ego de l’instrumentiste.

La subtilité du groupe est telle qu’il faut plusieurs écoutes pour percevoir les arabesques derrière une simplicité qui n’est qu’un faux semblant.

Le travail des voix est également remarquable : les chœurs puissants de "Hide In Your Shell" (5) sont étudiés pour une reproduction quadriphonique en concert. L’effet, inattendu, était simplement "stupéfiant" (6).  

Les compositions orchestrales défient régulièrement le bon sens. Le grand final de la plage titulaire conduit très loin l’auditeur / spectateur. Sans jamais entrer en démonstration. A chaque instant, il y a plusieurs niveaux de lectures depuis le simple fond sonore jusqu’à l’écoute attentive au casque. Le piano en solo semble réciter une caricature de gamme qui fait écho aux notes d’harmonica qui ont débuté l’opus 44 minutes plus tôt. Puis le propos enfle jusqu’à se faire symphonique. Coda.

Et puis, nous avons tous et toutes en nous un peu de ce "Rudy" qui ne sait plus vraiment où se dessine la frontière entre équilibre et insanité. Ce n’est pas un hasard si Crime Of the Century a été enregistré en Angleterre en 1974, une année d’absolue désillusion économique qui a vu la classe ouvrière passer du souvenir du Swinging London à la misère humaine.

Même la ritournelle apparemment anodine de "Dreamer" cache un propos sinistre qui rappelle que nos plus beaux rêves n’ont aucun intérêt dans un monde qui ne nous permet pas de les concrétiser.

Comme nous aspirons inutilement à être entendus (à défaut d’être écoutés) quand nous quittons les coquilles de "Hide In You Shell" pour placer quelques répliques sur la scène du petit théâtre de nos vies qui est évoqué dans "If Everyone Was Listening".

Ce qui est désespérant dans Crime Of the Century, c’est que l’œuvre ne laisse strictement aucune place à l’espoir. A aucun moment, un clown n’entre en scène pour dire qu’il ne faut pas prendre tout ça vraiment au sérieux.

Il nous reste simplement l’image de cinq clochards en caleçon qui contemplent l’espace infini…

Au même instant, Tobe Hooper sort Texas Chainsaw Massacre, une réponse alternative (et plus "tranchée") à la phobie de l’aliénation.

Retour dans la Classe 66…

- …
- Aucun commentaire, les petits rockers ? Oui, Amadeus…
- C’est quoi un plancton, Oncle Dan ?
- Tu sors, Amadeus ! Tu sors !


(1) Je n’aurais pas pu inventer une histoire pareille. La confusion est intervenue lors d’un débat au sujet du dernier album de Leprous. La pochette (magnifique) reproduit une photo de Rhabdonella Spiralis, un plancton bien connu des amateurs de milieux marins que Monsieur François, le Dumbledore de l’Académie des Petits Rockers, a confondu avec un préservatif, ce qui a plongé l’établissement dans la plus grande confusion.

(2) Les deux premiers albums du groupe (Supertramp et Indelibly Stamped) sont des daubes. Crisis? What Crisis?  est essentiellement bâti sur les chutes de COTC. Even In the Quietest Moments… alterne les moments immenses et un insupportable prêchi-prêcha métaphysique. Breakfast In America n’est qu’une jolie collection de titres popisants un peu ironiques. Et Famous Last Words… - l’album bâclé de trop - recycle à nouveau quelques invendus de COTC.

(3) Dans l’introduction de la chronique, le petit Lemmy a bien raison de citer The Wall de Pink Floyd (voire du seul Roger Waters). L’intrigue est assez similaire même si la conclusion est très différente. Ceci dit, il manque à Roger Waters cette dose d’auto-dérision qui rend presque légers les titres les plus sombres de Supertramp.

(4) Californien d’origine, Bob C. Benberg s’appelait en réalité Robert Siebenberg. Il a américanisé son nom (sans le dénaturer vraiment) parce qu’il en avait soupé des remarques antisémites quand il se présentait aux services de l’immigration lors de ses tournées.  

(5) Pour l’anecdote de type gay savoir, Scott Gorham de Thin Lizzy figure parmi les choristes.

(6) Un moment très à la mode (jusqu’à en inspirer The Who), la quadriphonie ne résistera pas à la fin des années ’70. Les "sonoristes" actuels s’accordent à penser que c’était une mauvaise idée parce que, chez les humains, les sons venant de l’arrière distraient l’écoute de ce qui se trouve diffusé en façade.


 

Commentaires
FrancoisAR, le 07/05/2024 à 08:00
C'est vrai que je suis surmené ...