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Critique d'album

Sparks


Kimono My House


(01/05/1974 - - Glam Rock/Art Pop - Genre : Pop Rock)
Produit par

1- This Town Ain't Big Enough for Both of Us / 2- Amateur Hour / 3- Falling in Love with Myself Again / 4- Here in Heaven / 5- Thank God It's Not Christmas / 6- Hasta Mañana Monsieur / 7- Talent Is an Asset / 8- Complaints / 9- In My Family / 10- Equator
Note de /5
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Note de 4.0/5 pour cet album
"Sparks ? C’est ce duo composé de Marc Bolan et d’Adolf Hitler, non ? John Lennon"
Daniel, le 25/05/2024
( mots)

Académie des Petits Rockers – Etage 6 – Classe 66

- Aujourd’hui, cours de blagues…
- Youhou !
- De Woody Allen : l’avantage d’être intelligent, c’est qu’on peut faire l’imbécile alors que l’inverse est impossible.
- …
- Bon… De Groucho Marx : en-dehors du chien, le livre est le meilleur ami de l’homme. A l’intérieur, il fait trop noir pour lire.
- …
- D’accord, ça ne vous fait pas rire. Alors, il va falloir vous accrocher parce que c’est le genre d’humour qui anime Ron Mael depuis cinquante ans…
- Je peux sortir, Oncle Dan ?
- Non, mon petit Tobias ! Tu restes. Ce sera ta punition pour avoir blasphémé au cours de religion rock…

Mise en garde

Si le rock primal avait pour vocation de faire se trémousser de jolies demoiselles en jupette plissée et de faux mauvais garçons en blouson de cuir, le style, en devenant anglais, a rapidement embrassé des préoccupations plus "sombres", plus "sérieuses" ou plus introspectives.

Jusqu’à conduire à des parodies opératiques ampoulées comme Quadrophenia, The Lamb Lies Down On Broadway, Tales From Topographic Oceans ou Tarkus.

L’humour ne fait clairement pas bon ménage avec le rock.

Je ne parle pas de l’humour involontaire ou accidentel (1).

Je ne parle pas non plus de ces formidables pastiches assumés que sont The Rutles, The Phantom Of The Opera (le film), The Blues Brothers (le groupe et le film), Spinal Tap (le groupe et le film) ou The Strange Fruits.

Non, je parle de l’humour conscient et volontaire, qu’il soit pratiqué au premier ou à tout autre degré plus extrême. Si l’on met de côté The Ramones, Frank Zappa, Supertramp (parfois), Jim Steinman (pour Meat Loaf), Devo, Captain Beefheart, The Residents, 10cc, Napoleon XIV et Screamin’ Jay Hawkins (même si "Constipation Blues" n’est pas du rock), il reste peu de place pour le rire joyeux et la franche poilade. Le tour du propriétaire est vite fait.

Dans cette optique, Sparks reste une absolue exception culturelle.

Où l’on s’installe dans la Time Machine d’Oncle Dan pour s’en aller regarder la télévision durant cinq minutes

Pour situer l’enjeu, il faut programmer notre Time Machine sur 1963. Ron et Russell Mael sont ici capturés par une caméra de télévision alors qu’ils sont assis dans le public du Steve Allen Show. On les voit en train d’observer la démonstration d’un jeune allumé qui explique, sous le regard faussement médusé du présentateur en costume-cravate, comment faire de la musique en tapant sur un vélo.

Le jeune allumé est Frank Vincent Zappa. Et Ron (dont le visage est encore glabre) semble aux anges. Russel est plus occupé à courtiser sa jolie voisine blonde.

Tout est dit. Alors qu’aucune note n’a encore été jouée. Sparks est déjà un concept pleinement opérationnel.

Où l’on embarque pour l’Absurdie

Sparks n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais un groupe de rock. Comme ce ne sera jamais un groupe de disco ni de pop synthétique, ni de quoi que ce soit de musical. La musique n’est en fait qu’un support-prétexte pour diffuser un concept artistique avant-gardiste et foutraque, un peu hermétique, qui plane bien au-delà de toute préoccupation académique.

Issus d’une famille de migrants juifs installée dans la banlieue de Los Angeles en bordure du Pacifique, Russel Craig et Ronald David Mael ont été élevés par des parents férus d’art.

Fascinés par le graphisme et le cinéma, les frères aimeraient faire du cinéma (2). Mais Ron prend rapidement conscience (peut-être influencé par Zappa, d’ailleurs) que la musique est un outil plus commode et plus souple pour diffuser ses délirantes idées arty.

Ron déteste le folk-rock psychédélique lysergique qui pourrit la vie de la West Coast. Il préfère les délires des groupes anglais et estime que le style glam-rock, très populaire en Europe, pourrait être un mode d’expression amusant. Alors, en 1973, après avoir enregistré deux albums incompris et invendables dans sa contrée, la fratrie traverse l’Atlantique et se réfugie à Londres.

Le nom "Sparks" est choisi pour sa ressemblance avec "Marx". La première idée de Ron était par ailleurs "Sparks Brothers" pour rendre hommage à la bande à Groucho.

Les frères signent aussitôt avec Island puis, par le biais de petites annonces, recrutent un batteur, un bassiste et un guitariste locaux. Pour faire nombre. Parce qu’ils n’interviendront jamais dans le processus créatif de Sparks et qu’ils seront rapidement virés.

Où (à peu près) personne ne comprend rien

Ron est un compositeur infatigable. Il écrit titre sur titre. Les mélodies, inspirées des ritournelles glam à la mode, sont irrésistibles. En revanche, les lyrics, conçus entièrement au second degré, sont totalement hermétiques pour la plupart des humains qui conservent une approche superficielle de cette forme d’expression.

Tout le monde sait que, pour être efficace (la fameuse Vis Comica), une "bonne blague" doit idéalement être comprise rapidement par le plus grand nombre. S’il faut organiser une conférence pour expliquer une plaisanterie à deux balles, plus personne ne rit. Du moins spontanément.

Mais Ron s’en fout. Son humour est à prendre ou à laisser (3).

Le titre de l’album – Kimono My House – est déjà un jeu de mots pourri, construit au départ de "Come On-A My House", un tube de 1951 interprété par Rosemary Clooney. La chanson, plutôt conformiste, conte une invitation à entrer dans un logis où, selon une tradition typiquement arménienne, la table est couverte de friandises, de pâtisseries, de fruits secs et de petits mets appétissants.  

Poursuivons ! La pochette est la contrefaçon d’une affiche de propagande des années ’40 qui représentait deux geishas en costume traditionnel, épouvantées par la vue d’une photo de Winston Churchill (dont les initiales inspiraient un lieu d’aisance un peu puant).

"Come On-A" devient "Kimono". On est déjà loin, là…

Les deux pauvres filles (4) croquées sur la photo sont membres du Red Buddha Theater, un collectif japonais de musique expérimentale, en tournée à Londres. Elles ont été recrutées au hasard sans que personne ne leur explique la finalité du shooting. Plus tard, elles expliqueront qu’elles ne savaient pas comment revêtir un kimono traditionnel ni réaliser un chignon de geisha. Et ça se voit.

Les plus observateurs remarqueront également que la pochette ne comporte ni titre ni nom de groupe. Une exigence stylistique du duo.

Où l’on écoute un peu de musique

Ron absorbe la couleur et l'esprit de son temps pour composer dix pièces qui proposent une approche archétypale d’un art-rock joyeusement fouteur de gueule mais habilement déguisé en glam commercial (pour ne pas dire un peu "putassier").

Et ça va fonctionner. En démarrant sur un malentendu. La tonalité (en La) du premier titre ("This Town Ain’t Big Enough For The Both Of Us") est trop haute pour la voix de Russell. Mais Ron n’est pas assez doué musicalement (ou il se montre trop paresseux) pour transposer le titre sur ses claviers dans une autre tonalité. S’il avait été guitariste, il aurait suffi d’un capodastre et l’histoire du rock aurait été "différente"…

Ron pousse alors son frère à emprunter cette voix de tête en falsetto qui deviendra la marque de fabrique indélébile de Sparks.

En radio, "This Town…" est impossible à désannoncer sans trébucher (5). Le single, dont la ligne de basse en cavalcade est très « empruntée » à Chris Squire de Yes, devient un hit instantané. Il culmine à la seconde place des charts en Angleterre derrière une innommable roucoulade des Rubettes.

Le titre s’inspire d’un film de 1932, The Western Code. Tim McCoy, acteur cow-boy de série B, plus connu comme "égérie" des céréales Wheaties (les préférées de Tyger Woods), y prononce sentencieusement cette réplique absolument culte ("Cette ville n’est pas assez grande pour nous deux") qui sera subtilement détournée par Ron pour marquer la fin de chaque strophe de sa composition.

Il y aura toujours plus de jolies filles en ville / Mais il n’y en aura jamais assez pour tout le monde / Ton cœur bat / Ton rythme cardiaque s’affole / Cette ville n’est pas assez grande pour nous deux / Mais ce n’est pas moi qui vais la quitter…

Difficile de concevoir un hit single plus improbable… A son écoute, Elton John (qui connaissait bien le producteur de l’album) prophétisa que le titre allait être un échec commercial retentissant.

Pour défendre ce premier effort anglais, il reste aux frères à composer une "imagerie" mémorable pour passer à la télévision. Le duo adopte alors un look contrasté des plus improbables. Russel se transforme en tombeur glam angélique (à mi-chemin entre un Marc Bolan et un Robert Plant en majesté, pour situer) tandis que Ron adopte le profil d’un inquiétant comptable de camp de concentration (6). Cette opposition stylistique inspirera à John Lennon la phrase qui figure en chapeau de la chronique.

La légende raconte que le lendemain de l’apparition de Sparks à la télévision, vingt mille exemplaires du single trouvent acquéreurs en Angleterre…

Mené systématiquement pied au plancher, le reste de l’album est qualitativement à l’avenant. Tout le monde en prend joyeusement pour son grade depuis le cercle familial ("In My Family", "Thank God, It’s Not Christmas") jusqu’à Albert Einstein ("Talent Is An Asset"), en n’oubliant pas Ron lui-même ("Falling In Love With Myself"), ni Roméo et Juliette ("Here In Heaven"), ni les séducteurs imbéciles incapables de soutenir une conversation sensée ("Hasta Manana, Monsieur" où l’on trouve le titre de l’album).

Musicalement, l’opus emprunte tous les tics et les manières du glam-rock. Ron a élaboré une œuvre à la fois abordable si l’on s’en tient à une écoute superficielle et extrêmement perverse (ou adorablement déviante) si l’on prend la peine de s’y plonger vraiment.

Évidemment, l’ensemble a vieilli (au même titre que la plupart des albums qui lui étaient contemporains) mais l’humour acide (ou très acidulé) sauve définitivement la mise d’une œuvre qui restera le plus grand succès commercial de Sparks.

Le second degré est un gage d’éternité parce que la "dénonciation" pertinente des petits et grands travers humains donne aux œuvre un parfum d’éternité.

Kimono, ma maison, mon amour / Je comprends que tu n’aies pas laissé le moindre mot d’explication / Je suppose que j’avais tort puisque tu t’es enfuie / En nous abandonnant, mon guide Michelin et moi / Dans ce lit étranger désormais à moitié vide…

Académie des Petits Rockers – Etage 6 – Classe 66

- Bon, en résumé, vous n’avez rien compris…
- Rien, Oncle Dan !
- Vous préférez probablement les blagues à Toto…
- Oh oui, Oncle Dan ! On veut une bonne blague à Toto !
- D’accord. C’est l’histoire des Toto de la classe 66 qui se prennent une heure de colle parce qu’ils n’ont pas potassé leur leçon sur le second degré !
- Fuck !
- Et ce sera deux heures de colle pour Magneto…
 

(1) Raison pour laquelle je n’ai pas cité Manowar ("Woman, Be My Slave"), Motorhead ("Killed By Death"), Led Zeppelin ("Whole Lotta Love"), Krokus ("Mister 69"), Iron Maiden ("Alexander The Great"), Thor (l’ensemble de son œuvre), Anvil (tout son catalogue), Greta Van Fleet (sa garde-robe), Mötley Crüe, Scorpions ("Still Lovin’ You") Venom, U2 ou Ghost. Pour n’évoquer que le meilleur du pire.

(2) Les frères sont très avares d’informations les concernant. Quand ils se livrent, c’est généralement pour raconter des conneries. Ils ont, par exemple, expliqué à une journaliste belge qu’ils étaient des enfants jumeaux de Doris Day. Cela dit, leur principale frustration est amplement documentée : ils auraient adoré voir se concrétiser leur projet de film (Confusion) avec Jacques Tati avec qui Ron et Russell partageaient l’art de l’acte manqué fertile. Personne n’a voulu financer le long métrage puis Monsieur Hulot est parti pour toujours en vacances.

(3) Avec le temps, j’ai appris à me réjouir de rencontrer occasionnellement des fans de Sparks parce que ceux et celles qui "ont la référence" ont souvent des esprits tordus comme le mien. Ça crée des liens précieux et nous avons tous besoin de "cousinages" intellectuels.

(4) A droite avec l’éventail, on trouve Michi Hirota (guère à son avantage) qui chantera ultérieurement avec David Bowie.

(5) C’était – et c’est toujours - un "Pont aux ânes" pour les DJ non-anglophones.
 
(6) On pardonne plus facilement ce genre d’humour décalé à ceux qui, du fait de leurs origines familiales, savent de quoi il est vraiment question. 

Commentaires
MathildeAR, le 26/05/2024 à 09:04
Parfait album, difficile à décrire, il faut effectivement presque le narrer, et tu l'as bien fait, il fallait bien de la fantaisie pour rédiger cette chronique !