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Critique d'album

Depeche Mode


Memento Mori


(24/03/2023 - - Electro pop - new wave - Genre : Autres)
Produit par

1- My Cosmos Is Mine / 2- Wagging Tongue / 3- Ghosts Again / 4- Don't Say You Love Me / 5- My Favourite Stranger / 6- Soul with Me / 7- Caroline's Monkey / 8- Before We Drown / 9- People Are Good / 10- Always You / 11- Never Let Me Go / 12- Speak To Me
Note de 4/5
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Note de 3.5/5 pour cet album
"Comme je souhaiterais que tu sois là ! – Waters / Gilmour"
Daniel, le 27/03/2023
( mots)

Mise en abyme

A la fin des années soixante-dix, les petits hard-rockers en jean bleu, cuir noir et bracelets cloutés savaient qu’ils détenaient la vérité musicale éternelle. Comme la plupart des empires bâtis pour durer mille ans, celui de la guitare saturée et de la batterie virile a été balayé. D’un revers de claviers synthétiques. Depeche Mode et ses pairs ont envahi les ondes et les rayons des disquaires, pourrissant les années quatre-vingt des hordes chevelues. Qu’est-ce que nous avons détesté ces blondinets minets sapés comme des gravures de mode pour fillettes ! Nous les appelions les lesbiens.

Depuis, les cheveux sont tombés. Il y a du jean bleu et du cuir noir jusque dans les garde-robes des tiktokeuses prépubères. Il ne se trouve plus de bracelets cloutés que dans les donjons sadomasochistes ou les cabinets de curiosité.

Et Depeche Mode est toujours là. A deux. En noir et blanc. Vaguement morbide. Comme un film expressionniste de Fritz Lang. Toujours mis en scène par le redoutable esthète hollandais Anton Corbijn. Avec des cannes à tête de mort (1). Comme celle de Rob Halford. Ou de Screamin’ Jay Hawkins.

Ironie ? Parjure ? Sincérité ?

Retour aux affaires

Dave Gahan et Martin Gore peuvent raconter ce qu’ils veulent en interview, leur nouvel opus, hommage émouvant à Andrew John Fletcher, questionne essentiellement la douleur du deuil et ce désespoir insondable qui envahit l’Humain quand il est confronté à l’absence.

C’est une dissection aortique fatale qui donne le ton à Memento Mori et qui fait de ce quinzième album de Depeche Mode son plus remarquable opus du XXIème siècle.

Comme le répète Martin Gore, sur un ton de mantra, il faut avancer pour ne pas se laisser consumer. Par le chagrin. Par l’absence. Par la mort. Mais le chagrin, l’absence et la mort nous consument qu’on le veuille ou non.

Alors, on danse, comme dirait l’autre…

Mais ce n’est pas parce que le propos est triste que l’œuvre est déprimante. Il y a des accents de vie dans le disque. Et même quelques instants solaires. Au cœur de l’obscurité. Ou au cœur d’un clair-obscur, si l’on préfère.

Au même titre que l’âme torturée d’Acid Barrett a hanté les studios durant l’enregistrement de Wish You Were Here de Pink Floyd (2), le spectre tout neuf de Fletcher est perceptible dans chaque mesure de Memento Mori.

L’album est conçu comme une œuvre entre parenthèses. Et, objectivement, les signes de ponctuation (la parenthèse ouvrante et la parenthèse fermante) sont beaucoup plus intéressants et plus avant-gardistes que la plupart des titres qu’ils encadrent.

La parenthèse ouvrante, "My Cosmos Is Mine", est un monument abstrait et décalé qui pourrait faire musicalement écho à certains des moments les plus sombres d’un David Bowie prêt à rendre son âme à lui-même. Et s’il doit rester un texte pour synthétiser les séquelles isolationnistes de la pandémie et les angoisses générées par les bruits de bottes, ce sera bien celui-là.

La parenthèse fermante, "Speak To Me", conduit aux confins du processus de deuil. Comme s’il fallait s’engouffrer dans la bouche de métro embrumée contée par Peter Gabriel dans The Lamb Lies Down On Broadway (1974), affronter la rhétorique de Charon dans L’Orfeo (1607) de Claudio Monteverdi ou geindre jusqu’à l’exaspération comme Nick Cave dans Ghosteen (2019).

Pour conclure Memento Mori, "Speak To Me" ose une rupture musicale en son beau milieu pour conduire à une coda sinistre. Mais pas forcément désespérée.

Le reste est certainement plus "convenu". Les titres réinventent tout l’univers synthétique (3) que l’on pouvait attendre (ou que l’on n’attendait plus après six années de silence) du désormais duo Graham-Gore.

Les deux musiciens habitent aux USA. Mais à bonne distance : l’un sur la côte Est et l’autre sur la côte Ouest. Pourtant, leurs influences les plus évidentes, aujourd’hui un peu surannées, restent confinées en Europe, quelque part à Berlin, entre la Köthener Strasse des studios Hansa et le Checkpoint Charlie (trente petites minutes de déambulation).

Le single "Ghosts Again" a les allures très convenues d’une "étude" (au sens scolastique du terme), mais il est parfaitement servi par un clip absolument fascinant (4), si bien qu’il s’impose rapidement comme une évidence. Avec "Wagging Tongue", "Don’t Say You Love Me" et "My Favourite Stranger", il forme une suite extrêmement convaincante où le groupe, fidèle à ses racines, se montre aventureux et cultive à merveille son extrême savoir-faire.

Le ventre mou de l’album propose cependant quelques titres plus génériques et moins audacieux jusqu’à ce que "Never Let Me Go" puis la fabuleuse plage finale n’emportent tout vers – selon les humeurs de chacun et chacune – le néant ou un autre futur.

Chaque fois que Depeche Mode sort un nouvel album depuis le début de ce siècle, le monde critique le trouve plus morose que son prédécesseur. Mais les Britanniques cultivent volontiers un humour insulaire qui se niche dans les détails. A ce titre, la tête de mort qui repose sur la table à laquelle les compères sont accoudés en pochette intérieure, donne l’impression de sourire. Il faut assurément se souvenir que nous sommes mortels. Mais il est préférable que les morts reposent dans leur Monde de Mort et que les vivants se confinent dans leur Monde de Vie.

Ô toi qui, avant l’heure,
S’en vient sur ces rivages avec témérité,
Arrête là tes pas !
Un mortel sur ces eaux ne doit pas naviguer,
Il ne peut, vivant, avec les morts séjourner… (5)

(1) Je ne sais pas si je pourrai encore vivre longtemps sans cet accessoire qui m’apparait aujourd’hui comme une évidence absolue même si j’arpente plus volontiers les chemins forestiers que les allées de cimetières.

(2) La "présence" de Barrett était à ce point forte que certains membres du groupe ont vraiment vu leur "ami" traîner dans les couloirs.

(3) pour le non-initié que je suis, la surprise vient de la présence, discrète mais prégnante, de guitares "organiques", particulièrement affutées.

(4) La partie d’échecs avec la mort (avec "sa" mort) est une des idées les plus frissonnantes de Corbijn.

(5) Réplique de Charon (le demi-Dieu qui garde les Enfers) dans L’Orfeo de Claudio Monteverdi. 


 

Commentaires
Olivier, le 15/04/2023 à 05:27
Je trouve que Daniel a vu juste dans son appréciation globale sur ce LP plutôt réussi et cohérent par rapport aux deux derniers albums sortis en 2013 et 2017 par le groupe, hormis une ou deux imprécisions qui ont été rectifiées. Par contre, je trouve qu'un titre comme People are Good sort du lot avec Ghost again, taillé pour être le single du grand retour. Certes cet album est globalement sombre voir inquiétant sur certains titres, il n'en est pas moins superbement produit. Le travail de James Ford et de Marta Salogni est ici particulièrement éloquent et enrichissant. Comme celui d'un Tim Simenon à l'époque d'Ultra en 1997. Beaucoup de similitudes entre les 2 par ailleurs et de remises en question après la perte d'Andrew Fletcher. J'aime ces 2 personnes qui forment DM désormais car elles n'ont plus rien à prouver mais elles restent sincères dans leur démarche et cohérentes dans leur discographie. Mark Bell a fait un travail innovant sur Exciter mais assez déroutant pour les fans de base que je suis. Playing the Angel a sonné comme un retour à la noirceur, la véritable identité de ce groupe qui réside dans ses questionnements et ses failles humaines, exprimées dans les textes de Martin Gore depuis 1982. Leur meilleur album du 21eme siècle avec une clôture sublime, The Darkest Star. Mémento mori est le petit cousin ou le petit frère de cette oeuvre magnifiée lors de la tournée 2006. Intensité et magnétisme, Depeche Mode a son summum alors sur scène. Mémento Mori sonne le glas alors merci pour tout. C'était beau de vous accompagner.
D.H.M, le 09/04/2023 à 22:32
Bof bof, cette critique...un peu grandiloquente ! Après 15 jours d'écoutes, je trouve Memento Mori plutôt réussi: un retour à l'électronique, des mélodies chantées qui restent bien en tête. À part 2 titres que je trouve moins bons (My favorite stranger et Before we drown) le reste est séduisant et surtout la voix de Gahan est plus travaillée; fort de son expérience Imposter, il propose des couleurs chatoyantes, plus douces. Et la dernière chanson écrite, la 1ère sur l'album, My cosmos is mine, est incroyable: un voyage sonore, sans véritable refrain ou couplet, très expérimentale, proche de l'art abstrait en peinture qui confirme que DM parvient encore et toujours à combiner un côté pointu et avant-gardiste avec un côté populaire et plus accessible (Ghosts again). Merci messieurs Gore & Gahan pour ce que vous avez apporté à la musique depuis plus de 40 ans !
DanielAR, le 30/03/2023 à 11:56
Merci pour le commentaire ! Je mesure chaque jour le privilège d'être libre et ne pas avoir d'impositions éditoriales (autres que des conseils amicaux). Dans le passé, j'ai travaillé pour des magazines et des radios où le "commerce" orientait les choix. Il était de bon ton de recopier (ou de paraphraser) le dossier de presse de la firme de disques. Ici, je peux écrire ce que je ressens. Par exemple, que je ne partage pas complètement ton enthousiasme pour Exciter... :-) Mais c'est l'histoire qui dira qui a plus ou moins raison.
Etienne, le 29/03/2023 à 20:12
Très sympa cette chronique et moins dithyrambique que ce qu'on peut lire partout ! Par contre, pas d'accord sur un point. Leur meilleur album du 21ème siècle c'est Exciter ;-)
DanielAR, le 28/03/2023 à 13:01
Merci mille fois pour les précisions ! La partie d'échecs dont je parle est celle du récent clip de DM. Mais effectivement, ce jeu avec la Mort a été mis en images par Ingmar. WYWH est mon album favori de tous les temps. J'ai énormément lu sur le sujet. Et, objectivement, il faut constater que la visite de Barrett est "troublante". A priori, on peut se demander pourquoi il est passé par les studios ce jour-là. Ensuite, les souvenirs des membres du groupe présents ne sont pas cohérents entre eux. J'ai parfois l'impression que la légende s'est construite a posteriori. C'est pour ça que j'ai écrit qu'ils avaient "réellement vu leur ami" (sans le reconnaître et sous la forme d'un gros bonhomme chauve, taiseux et portant un sac en plastique. Mais est-ce qu'il était réellement là ? Mystère rock entier. J'adore.
Voilivoilou, le 28/03/2023 à 11:13
Hello, 2 petites imprécisions à corriger concernant les renvois : (2) Barrett est bien venu faire une visite au studio pendant les sessions de WYWH : bref, il a bien été là (du moins physiquement) (4) La partie d'échecs, ce n'est pas du Corbjin, c'est Ingmar bergman ("le 7e sceau")