Judas Priest
Sad Wings of Destiny
Produit par
1- Victim of Changes / 2- The Ripper / 3- Dreamer Deceiver / 4- Deceiver / 5- Prelude / 6- Tyrant / 7- Genocide / 8- Epitaph / 9- Island of Domination
Le fait qu’Opeth ou, dans une moindre mesure, les moins célèbres mais non moins brillants Wytch Hazel citent Sad Wings of Destiny comme source majeure d’inspiration et comme un des plus grands albums de l’histoire de Metal n’est que justice pour les débuts de carrière de Judas Priest. Trop rarement cité aux côtés des British Steel (clairement surcoté) et autres Painkiller, ce second opus n’en est pas moins un monument à l’échelle du rock, un chef-d’œuvre intemporel, et ce malgré un contexte de production plutôt tendu (un budget dérisoire, un nouveau batteur - Alan Moore ...).
Il est assez aisé de comprendre les raisons de la postérité de l’opus chez un groupe comme Opeth. Le soin apporté à la magnifique pochette où l’Ange Déchu se débat au milieu des flammes illustre l’alliance entre Heavy et rock progressif : au sein de l’œuvre de Judas Priest, c’est sur cet album qu’elle est réalisée avec le plus de perfection. Le sombre "Dreamer Deceiver", mélancolique à souhait avec ses arpèges acoustiques cristallins, déploie de fines mélodies lors des interventions solistes, pour glisser sur une seconde partie absolument saturée ("Deceiver") jusqu’à ce que reviennent les guitares acoustiques : le contraste, saisissant, est une qualité esthétique ici bien employée. Cette inscription dans le registre progressif se retrouve dans des pièces plus brèves comme "Prelude", aux claviers solennelles, ou sur le toujours incompréhensible "Epitaph" avec ses enfants de chœur et ses côtés Alice Cooper. Néanmoins, elle peut aussi se limiter à une simple recherche de complexification et d’élargissement de la structure des titres, en témoigne "Victims of Change" où l’influence de Black Sabbath est particulièrement prégnante. Multiplication de parties et de riffs tous plus brillants les uns que les autres, pont éthéré sublime, le morceau est une composition dense et remarquable.
N’exagérons rien non plus, le registre général est bien celui du Hard et du Heavy. Si Sin After Sin (1977) est considéré à juste titre comme l’album de la transition vers plus de dureté, "The Ripper" annonce tout de même les contours stylistiques du Metal ciselé du groupe. L’incarnation de Jack l’Eventreur par Rob Halford, tout en théâtralité et en variation dans ses façons de chanter (il monte dans les aiguës pour de cris stridents avec une grande justesse, sans compter les quelques effets), est impressionnante. Cela d’autant plus que les paroles sont écrites avec un sens parfait de la narration autour du fameux tueur en série s’exprimant à la première personne. En toute subjectivité, il s’agit d’un des plus grands titres du groupe. Si "Genocide" ou "Island of Domination" regardent encore vers les 1970’s (mais avec un tel brio, et une performance vocale exceptionnelle sur le second), d’autres morceaux, à l’image de "The Ripper", ne font que confirmer le virage qu’emprunte petit-à-petit le groupe, notamment "Deceiver" et l’excellent "Tyrant". Pour ce dernier, on notera surtout les parties vocales, aussi bien en termes de mélodie que dans les multiples façons de chanter, qui consolident le style priestien (le solo évoquant "Highway Star" est un bon moment également).
Au-delà des compositions toutes plus réussies les unes que les autres, avec une jolie suite de perles, Sad Wings of Destiny est dans son ensemble une œuvre dantesque, un magnum opus dense et complexe dont la richesse, note après note, se dévoile à nos oreilles émerveillées. Sur cet album, c’est bien sûr Rob Halford qui monte en puissance, brille de mille feux, et pose les premières balises esthétiques vers le durcissement du groupe. De cette étape, il reste donc un album entre deux époques dont les hybridations et métissages ont permis une synthèse fabuleuse, preuve des talents d’un groupe magistral qui se surpasse là où d’autres auraient (et ont) été bancals.