Last Train
The Big Picture
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1- All Alone / 2- Scars / 3- On Our Knees / 4- I Only Bet on Myself / 5- The Idea of Someone / 6- Disappointed / 7- Tired Since 1994 / 8- Right Where We Belong / 9- A Step Further Down / 10- The Big Picture
Le Rock Français est pareil à une cité fantôme. Une ville délaissée des jeunes générations d’habitants qui s’en sont allés au son des tocsins du rap et de la variété. Autrefois radieuse et florissante, elle n’est plus aujourd’hui qu’une terre désolée où le soleil brille par son absence. Quelques vestiges rappellent sa splendeur d’antan. En s’y promenant on peut contempler sa place centrale érigée par Noir Desir et abandonnée depuis plus de 10 ans après les rénovations -réussies- de Luke et autre Deportivo. Un peu plus loin, en passant devant l’auberge de la Mano Negra, un sourire se dessine en coin après s‘être noyé dans la nostalgie de la chaleur et des festivités qui habitaient ce lieu. Pour trouver trace de vie, le bruit court que l’inquisiteur Damien Saez erre de temps à autres sur ces terres avec l’infime espoir de rameuter quelques anciens fidèles en leur déversant une tirade d’amalgames aussi mal-sentis que ses nouveaux habits de donneur de leçon.
Et puis, au moment de faire demi-tour, une lumière scintille au loin. Un phare dans la nuit pour les navigateurs perdus sur les eaux musicales de l’hexagone. Un édifice sorti de terre il y a 4 ans de cela sur lequel on distingue l’inscription Last Train.
Le quatuor a redonné vie au rock à guitares made in France avec un premier album d’une brutalité qu’on n’avait plus savourée depuis trop longtemps. Si dans son ensemble Weathering manquait légèrement de cohérence traînant un peu en longueur, il était bardé de plusieurs pépites ; s’en suivait une vie scénique tonitruante à l’égale des promesses entendues sur la galette. La presse nationale spécialisée ayant accueilli l’album avec enthousiasme, on aurait pu espérer une forme de gratitude de la part de ceux qui font la pluie et le beau temps sur la culture musicale française de masse. Il n’en sera rien. Pourquoi ? Parce que les gars emploient dans leur texte la langue de Shakespeare au détriment de celle de Molière. LE blasphème ! Un code éthique pour la musique française qui juge la place d’un artiste à la langue utilisée dans ses textes ; autant risible qu’affligeant. Il n’y a qu’à voir l’énorme groupe qu’est Phoenix et le temps qu’il leur aura fallu pour obtenir un semblant de reconnaissance patriotique pour avoir commis le même crime infâme. Ce postulat, Last Train n’en a cure et conserve le même ADN avec deux albums sans aucune « chanson d'expression française » si cher au C.S.A. En cette rentrée 2019, parait donc : The Big Picture. Alors, où en sont nos espoirs placés dans le quartet alsacien ?
Le premier constat est que la formule qui avait si bien fonctionné sur le premier opus n’a pas été remaniée : des guitares au son acéré soutenues par une rythmique imposante accompagnent la voix délicieusement éraillée de Jean-Noël Scherrer qui navigue fièrement au fil des titres entre la puissance et l’émotion. Pour cette seconde fournée, cet ensemble est agrémenté de quelques sections cordes (on y reviendra plus tard) et une présence augmentée du piano. Ce dernier s’offre une plage solo instrumentale sur “A Step Further Down” pas franchement emballant. Le single The “Idea Of Someone” est quant à lui assez monotone avec une prévisible explosion en forme de pétard mouillé sur la fin. Dans le registre calme on préférera nettement la très réussie “Tired Since 1994”, menée en début de morceau par la guitare acoustique semblable à une bougie au milieu de l’obscurité qui sera ravivée par la lumière électrique d’une mélodie tout en slides délicatement posée s’achevant dans un thème digne des grandes épopées archéologiques égyptiennes. Mais là où Last Train excelle c’est dans le rock qui a des tripes, l’uppercut pris en plein face. Des morceaux dans cette veine, The Big Picture en regorge, tous plus brillant les uns que les autres. La basse de “Disapointed” fera des envieux -voir des jaloux- du côté de chez Royal Blood. “Scars” est un réel hit, où la voix de Scherrer est un déferlement de douleur balancé à celui qui l’écoute, auquel vient s’ajouter les joyeux gémissements du solo mené par Julien Peultier. La puissance du chanteur alsacien fait merveille sur “I Only Bet on Myself”, la montée vocale sur la fin du refrain est un modèle du genre, même constat pour la construction du morceau en lui-même. Pour chipoter on tiquera peut-être sur le break qui marche sur fil de la copie avec celui de “Sing For Absolution” de Muse; mais vu la qualité du morceau ce léger écueil est largement pardonné.
Enfin comment ne pas s’attarder sur “On Our Knees” et le titre éponyme “The Big Picture”. Les plus long de l’album. En forme de sommet, les deux morceaux sont purifiés à l’air supérieur dû à leur hauteur venant toucher du doigt les sphères étoilées. Le premier invite en son début à une marche silencieuse au milieu des nappes de clavier, des arpèges et de sa mélodie de chant quasi susurrée. Puis vient le déferlement des guitares en forme de tir de canon avant d’être mené façon martiale sur le devant du champ de bataille pour déverser un torrent électrique grandiose. Le second démarre par une guitare “Led Zeplienne”, s’ensuit la déflagration d'un solo qui emporte tout sur son passage. Un morceau épique, savoureux et exaltant à souhait où la qualité est largement à la hauteur de l’ambition. Le tout est enrobé par une section de cordes qui apporte une dimension supérieure à une version qui sera difficilement transcriptible telle quelle en concert. Si le groupe s’est fait connaitre par le live et pouvait avoir l’image de créateur de chansons dédiées à la performance scénique (impression qui pouvait découler à l’écoute de leur premier effort) ; The Big Picture est un vrai album studio. C’est en cela que se trouve la véritable progression de Last Train, qui a su faire mûrir et agrémenter intelligemment son identité musicale pour créer un ensemble mêlant cohérence et justesse de composition du début à la fin. Un peu moins d’une heure de ravissement Rock qu’on ne sent pas passer.
La ville fantôme est prête à être reprise par les quatre conquérants alsaciens. Les graines semées en deux albums ont ravivé une terre qui ne demande plus qu’à être cultivé. Allez contempler ces trésors présentés pendant la tournée. L’étendard du rock français a ses nouveaux défenseurs. Citoyennes, Citoyens : contemplez la bannière retrouvée et ses couleurs dressées au sommet de notre terre.