
Steven Wilson
The Raven That Refused to Sing (And Other Stories)
Produit par Steven Wilson, Alan Parsons
1- Luminol / 2- Drive Home / 3- The Holy Drinker / 4- The Pin Drop / 5- The Watchmaker / 6- The Raven That Refused to Sing


On  ne donne que rarement la note maximale à un album chroniqué en  nouveauté, et à chaque fois, ça ne loupe pas : que ce soit pour Mastodon  avec The Hunter en 2011 ou Mark Lanegan Band avec Blues Funeral en  2012, le disque a terminé numéro un des charts de la rédaction pour nos  traditionnels classements rétrospectifs annuels. Même si on ne  s’avancera peut-être pas trop dans le cas présent (eut égard au genre  abordé), on peut néanmoins être heureux de vous annoncer l’une des plus  grandes nouvelles de 2013 : le rock progressif vient de ressusciter, et  avec un brio proprement époustouflant.
Pour  vous qui nous lisez depuis des années, Steven Wilson n’est probablement  pas un inconnu. Cela fait maintenant près de vingt cinq ans que le  discret acharné du prog-rock opère en sous-marin un travail de sape  gigantesque pour redonner toutes ses lettres de noblesse à un genre qui  se trouvait en état de mort clinique au début des années 90. On l’a vu  opérer seul dans son coin avec les moyens du bord (IEM, Bass Communion), transformer un projet psyché loufoque en pop cérébrale puis en metal  sensible au sein d’un groupe devenu au fil des années l’un des plus  beaux fers de lance du metal prog (Porcupine Tree), exalter un rock  lyrique et émotif (Blackfield), soutenir à bras le corps les  expérimentations art-rock de son collègue Tim Bowness (No-Man),  arracher à la sueur de son front des galons de producteur et d’ingénieur  du son enviés par les plus grands techniciens des années 2000 (avec un  Grammy Award technique à la clé), contribuer à la création et à  l’alimentation de l’un des labels alternatifs les plus ambitieux du  moment (Kscope) et surtout, surtout, inspirer sans le vouloir toute une  frange de nouveaux groupes fiers d’appartenir à une fratrie qui n’a  jamais eu autant le vent en poupe. Aujourd’hui, le pari de Wilson est  gagné : le terme progressif n’est plus tabou, à tel point que l’on a vu  la BBC elle-même soutenir les nouvellement créés Progressive Music  Awards l’an passé. Partout l’engouement autour du chevelu à lunettes est  en train de s’emballer : Zegut himself fait de la pub pour SW et ne  cache pas son admiration pour le bonhomme, tandis que The Raven That  Refused To Sing (And Other Stories), indépendamment de ses brillantes  qualités, a réussi à trouver une oreille attentive dans de nombreux  médias généralistes, Guardian, Pop Matters, Q, Mojo, Examiner, Allmusic,  sans même parler des médias metal acquis depuis quelques années déjà à  sa cause. Il ne lui manquait plus qu’un chef d’oeuvre pour asseoir cet  engouement de façon définitive, et Alan Parsons vient de le lui offrir.
Qu’on  ne se méprenne pas : Wilson n’avait aucunement besoin du mythique  producteur et ingé-son de The Dark Side Of the Moon pour accoucher d’un  grand disque, se plaçant déjà lui-même parmi les meilleurs à ces postes  techniques. Et pourtant, la présence de Parsons dans le staff de ce  troisième album solo change tout. En le déchargeant de tout  l’encadrement formel, de la prise de son et du mixage, alors que son  talentueux backing band le déchargeait de toute implication technique,  en terme musical, dans la mise en forme des chansons, Steven Wilson a pu  librement se recentrer sur l’écriture, les arrangements et le chant de  ces six nouvelles compositions sans se fixer la moindre limite. The  Raven est donc un disque qui respire la maîtrise dans tous les domaines,  et c’est cet aspect le plus important. Jusqu’à ce jour, même si Wilson a  très fréquemment excellé dans ce qu’il entreprenait, on pouvait  toujours trouver à redire sur des petits points de détails - notamment  en ce qui concernent les albums de Porcupine Tree, blindés jusqu’à l’os  d’idées magnifiques mais truffés ça et là de petits déchets  dommageables. Quand on s’attaque à la discographie solo du bonhomme, on  reprochera immanquablement à Insurgentes son éclatement et sa volonté  obsessionnelle de s’essayer à de nouveaux genres, et à Grace For  Drowning son hommage quasi-maladif au Roi Crimson et ses délayages  parfois pesants. Rien de tout cela ici : des premiers coups de boutoirs  de basse de "Luminol" aux dernier éclats de claviers de "The Raven...",  tout respire la force sereine, le contrôle et la finition léchée dans  ses moindres détails. Plus encore, Alan Parsons imprime fermement sa  patte à l’oeuvre Wilsonienne en dispersant les instruments et les  volumes sonores de façon presque extrême, créant des gradients  d’intensité qui nous forcent à plonger corps et âmes dans le disque, à  monter le volume à fond pour nous délecter des passages les plus  placides et à en prendre plein les mirettes dès que les artistes  envoient du bois. 
Le  corbeau qui refusa de chanter est un recueil de six chansons conçues  comme autant de contes anglais de l’ère victorienne, affichant une  certaine noirceur dans l’exposition des tourments de l’âme humaine que  ne renierait pas un certain Edgar Allan Poe, auteur d’un poème intitulé  "The Raven", et ce n’est pas une coïncidence. Mais au delà des thèmes  abordés, l’album est en premier lieu le théâtre de joutes musicales de  très haut niveau. On le sait, Wilson a composé ce disque en essayant de  magnifier au mieux les talents des musiciens qui l’ont accompagné tout  au long de sa tournée de support à Grace For Drowning, et le moins que l’on  puisse dire, c’est que l’animal s’est totalement lâché et a ainsi offert à  Guthrie Govan (guitare), Nick Beggs (basse), Adam Holzman (claviers),  Marco Minnemann (batterie) et au fidèle Theo Travis (flûte traversière,  saxo) l’occasion de se transcender. Techniquement, The Raven... est  impressionnant, au bas mot, et il serait vain de lister ici les  prouesses de chacun des protagonistes investis. Autre particularité de  ce disque : le brassage extrêmement vaste de nombreuses couleurs 70’s.  On entend pêle-mêle, au fil des écoutes, des échos de King Crimson (un  peu partout) mais aussi de Jethro Tull ("The Watchmaker") ou de Yes  ("Luminol"), mais toujours surnage la patte indéfectible de Steven  Wilson, son sens très personnel d’aborder les mélodies et les accords,  ses brusques revirements d’ombre à lumière et sa sourde mélancolie.  Enfin délivré de toute nécessité (ou fausse nécessité) de prouver son  talent et sa crédibilité d’artiste solo, Wilson s’arrache à ses  multiples influences pour en ressortir un album d’autant plus personnel  qu’il ne se trouve ici nullement emprisonné par ses propres limitations  instrumentales. 
The  Raven..., comme tous les grands disques, comporte ses moments purement  anthologiques que mettent en relief des titres plus retenus mais non  moins réussis. Premier à ouvrir la danse, "Luminol" vaut à lui seul  l’achat du disque. Progressif extrêmement racé, ligne de basse décapante, jazz-rock en chute libre, flûte insaisissable, riffs à  très forte percussion, moment de flottement magique au coeur de  l’engin, c'est probablement le meilleur titre jamais accouché  par SW. Autre ambiance avec "Drive Home", très Blackfield dans  l’esprit, grande ode pop désespérée relevée par un solo de guitare  déchirant comme jamais, le titre ayant essentiellement vocation à  apaiser les esprits après le tourbillon qui le précède. Puis c’est au  ténébreux "The Holy Drinker" d’entrer en scène, introduction perclue de  saxos et clarinettes surnageant au sein d’un maëlstrom de cordes  désemparées, couplet-refrain en mode Porcupine Tree, chorale grandiose  et enfiévrée, voilà encore un morceau qui marque les esprits. Plus  simple dans la conception, "The Pin Drop" voit Wilson monter en torche  vers les cieux, balancer ses lignes de chant en haute altitude pour  plonger derechef dans le chaos en une lente chute inexorable : c’est  peut-être le titre le moins indispensable du lot, mais il fait néanmoins  largement honneur au disque tout en introduisant à la perfection la deuxième pièce  époustouflante de la gallerie, "The WatchMaker". Là encore, on touche au  sublime. Jamais Steven Wilson n’avait autant dégagé de grâce que dans  les choeurs rayonnants et possédés de ce morceau, précédés par une  extraordinaire introduction bucolique, presque celtique par moments,  avant de ployer le chef sous les coups de boutoir macabres de  sa portion finale. L’apothéose prend enfin la forme du fameux corbeau  refusant de chanter, Wilson essayant de l’amadouer au piano puis le  suppliant de succomber à ses désirs avant de laisser place à des  envolées orchestrales radieuses. Rideau, standing ovation.
En  1975 est paru Wish You Were Here, dernier manifeste authentiquement  prog de Pink Floyd et dernier chef d’oeuvre du rock progressif à avoir  vu le jour, tous les autres ayant été commis entre 1969 et 1974. Il aura  donc fallu attendre 38 ans pour qu’un disque de la trempe de Red, de  Fragile, de The Dark Side Of The Moon, de Selling England By The Pound  ou de Brain Salad Surgery voie le jour, et ce disque, c’est The Raven  That Refused To Sing (And Other Stories), permettant enfin à Steven  Wilson d’atteindre les plus hautes sphères du genre après une carrière  absolument exemplaire. Une juste récompense, et amplement méritée.  Respect, Mr Wilson.

























