Magma
Mekanik Destruktiw Kommandoh
Produit par
1- Hortz Fur Dehn Stekehn West / 2- Ima suri Dondai / 3- Kobaia is de Hundin / 4- Da Zeuhl wortz Mekanik / 5- Nebehr Gudahtt / 6- Mekanik Kommandoh / 7- Kreuhn Kohrmahn Iss de Hundin
Pour les mélomanes intransigeants qui auraient migré sur Kobaïa, toute musique produite par Magma est de la Zeuhl et seul Magma, ou à la limite ses dérivés, peut produire une musique qu’on pourrait qualifier de la sorte.
Il est vrai que, depuis le premier acte du groupe, l’univers visuel et la mythologie sidérale avaient été installés, de même que sur le plan esthétique, certaines caractéristiques avaient été développées dès l’opus initial, qu’on pense au chant habité en langue extra-terrestre (le fameux kobaïen) ou aux influences jazz, expérimentale, tribale au profit d’une puissance ténébreuse et mystique.
Néanmoins, on peut défendre que l’esthétique Zeuhl ne fut pleinement formulée qu’avec Mekanïk Destruktïw Kommandöh (MDK), aboutissement de plusieurs années de recherches musicales pour lequel il aura fallu deux ans de gestation et plusieurs prestations live à partir de versions inabouties, afin d’exprimer la quintessence même de cette musique originale.
Et cette gestation ne fut pas sans peine. Après l’enregistrement de The Unamables sous le nom d’Univeria Zekt en 1971, le groupe s’était séparé et Vander s’était retrouvé seul aux commandes, en compagnie de Blasquiz et Lasry tout de même. Le batteur décide alors de donner à Magma un dispositif musical encore plus ambitieux, notamment au chant puisqu’à Klaus Blasquiz et Stella Vander sont associés quatre choristes (sans compter les interventions vocales d’autres membres dont Vander lui-même). De plus, la formation jazz-rock (guitare, batterie, claviers, basse où officie enfin Jannick Top) est toujours accompagnée de cuivres et de bois (clarinette, flûte). Cette évolution bénéficie énormément à la musique du groupe.
M.D.K. participe également à la complexification de l’épopée kobaïenne dont on connait la forme labyrinthique. En effet, il s’agit du troisième mouvement de la trilogie Theusz Hamtaahk dont le deuxième mouvement paraîtra l’année suivante sous le nom Wurdah Ïtah (attribué au seul Christian Vander mais avec le logo du groupe, l’album sert de BO au film Tristan et Iseult) et dont la première partie ne sera découverte que sur le live de 1981 Retrospektï? I-II. Il faudra attendre le live Theusz Hamtaahk de 2001 pour trouver un support qui présente l’œuvre dans son intégralité.
Véritable Symphonie du nouveau monde (extra-terrestre), M.D.K. se divise en sept actes et commence sur l’une des plus fameuses pièces de son répertoire. L’ouverture sur un rythme tribal et une fanfare militaire exacerbe la dimension oppressive et totalitaire d’un chant kobaïen aux sonorités germaniques avant que ne se développe une montée en puissance inébranlable dont l’avancée est brutalement rompue par un nouveau mouvement plus léger. Insaisissable, cette œuvre associe un propos assez uni avec des thèmes et rythmes répétitifs, mais toute transe s’avère impossible car des montées symphoniques, des crescendo brutaux, apportent un pendant de violence et de chaos, mais un chaos paradoxalement organisé par la rigueur d’une composition qui ne laisse rien au hasard.
Les aspects jazzy continuent d’être présents, notamment à la batterie virtuose et coltranienne, mais aussi dans la façon dont sont agencés les instruments à vent (en particulier dans la section qui précède le final). Cependant, on note une présence beaucoup plus massive des emprunts à la musique savante dite classique, notamment dans la tournure symphonique des instruments à vent et des chœurs omniprésents. Cette dimension symphonique, digne de Wagner et de Carl Orff, deux inspirations revendiquées par Vander, est déterminante dans de l’affirmation de l’esthétique Zeuhl et c’est en cela que M.D.K. constitue un aboutissement dans la construction de ce nouveau genre musical. Enfin, sur certains plans de guitare ou de claviers, Magma évoque parfois la scène progressive, au sein de laquelle le groupe fut parfois classé malgré ses protestations.
Au XIXème siècle, l’ambition d’aboutir à un art total semblait être une utopie romantique produite par l’hybris wagnerien : et si un siècle plus tard, la Zeuhl y était parvenue ?