Pearl Jam
Dark Matter
Produit par Andrew Watt
1- Scared Of Fear / 2- React, Respond / 3- Wreckage / 4- Dark Matter / 5- Won't Tell / 6- Upper Hand / 7- Waiting For Stevie / 8- Running / 9- Something Special / 10- Got To Give / 11- Setting Sun
L’avantage, quand on se retape toute une discographie, c’est qu’on arrive facilement, et même très facilement, à juger un petit dernier. Pour de vagues raisons de travail approfondi sur le grunge (ça traîne mais c’est en cours), j’ai été amené à écouter, récemment et à maintes reprises, les Ten, Vs, Vitalogy et autres No Code de Pearl Jam - on passe pour la suite. Dès lors, un seul tour de piste suffit à juger ce Dark Matter, avec une sentence sans appel : du très bon, mais aussi et malheureusement pas mal de déchet.
On était resté sur un Gigaton plutôt sympa quoiqu’un peu trop longuet - et qui aurait vraiment gagné à être écrémé. Au moins Dark Matter règle ce problème : quarante-huit minutes en onze titres, ça rentre pile poil - ou quasi - sur un vinyle double face. C’est bien. Là-dessus, l’entame déboîte, et c’est là qu’on en oublierait presque que Pearl Jam reste - et sans doute restera - une redoutable machinerie rock n’ roll. L’enchaînement des trois premiers titres fait d’ailleurs un peu penser à celui de Vs, avec deux pièces bien rentre-dedans suivies d’une jolie balade. “Scared of Fear” débute les hostilités avec la manière, riff cadencé qui claque, section rythmique au cordeau (difficile de faire mieux qu’Ament-Cameron, soit dit en passant) et toujours un Eddie Vedder en grande forme, qui se balade tout en groove avec sa gouaille de baryton exalté - et un peu moins de vibratos, ce qui ne chagrinera pas ses détracteurs… et n’oublions pas le petit solo de McCready qui va bien (sans doute l’un des guitaristes les plus mésestimés, à mon humble avis). “React Respond” enfonce le clou sur un hard rock bien cogné, porté par un superbe dialogue tendu entre Stone Gossard et Jeff Ament, avec cette petite vibe punk qui va bien et cette batterie maousse costaud qui déboite. Superbe, et on ne parle même pas des envolées rageuses de Vedder en fin de refrain. Là-dessus, Pearl Jam enchaîne avec un “Wreckage” absolument magnifique en semi-acoustique avec piano en sus, jolie ritournelle qui nous renvoie au beau “Daughter” de l’album au mouton énervé. Très très belle production, très belle montée en puissance, avec un travail assez remarquable sur les guitares. Quand vient “Dark Matter”, la messe est dite : puissance, énergie, technique, attitude, ça envoie du lourd, avec toujours une impression d’aisance, comme si les cinq hommes se baladaient sans effort sur cet hymne cosmique enragé. A ce stade, on reste estomaqué par la puissance et la facilité (sans aucune sous-entendu péjoratif) du gang de Seattle qui s’est rarement montré aussi pertinent sur quatre titres d’affilée depuis, disons, No Code. Quand même.
Mais parce que la vie n’est jamais toute rose, on ne peut s’empêcher de noter - et de déplorer - une dommageable baisse de régime à mi-parcours. C’est déjà assez flagrant sur un “Won’t Tell” qui se montre au mieux agréable, au pire téléphoné sur un plan strictement musical, un peu trop pop, un peu trop lisse pour emporter l’adhésion. Malheureusement, “Upper Hand” enfonce le clou dans la mièvrerie, power slow barbe à papa ayant déjà le mauvais goût de débuter par une intro d’une minute trente qui ne lui apporte rigoureusement rien. Ce n’est pas sur ce genre de trucs que brille Pearl Jam, c’est le moins que l’on puisse dire. Et c’est presque pire avec un “Waiting for Stevie” qui déploie un down tempo plan plan sur fond de guitares vaguement hindouisantes (coucou les Screaming Trees) et qui a une sérieuse tendance à tourner en rond - et à nous faire tourner en bourrique - malgré, allez, un pont assez correct. Qu’il est loin, le temps ou PJ savait capter son auditoire avec des power ballads sur orbite intersidéral (“Alive”, “Jeremy”, quelqu’un ?). Dès lors, quand l’énergie revient avec “Running”, c’est déjà trop tard, on a décroché. Et c’est dommage parce que “Running” envoie du steak, tout en rage et en artillerie lourde, avec son refrain tendu comme une trique. C’est aussi brutal que jouissif à encaisser. Pour le reste, c’est pas trop mal avec un “Something Special” country tranquillou des grands-pères (mais ça fonctionne) et un “Got to Give” gorgé de slide et de soleil. Pour conclure, “Setting Sun” ne se montre pas foncièrement désagréable avec sa slide béate, ses atours acoustiques et ses percus sourdes, sans compter qu’un sursaut d’énergie se dégage sur une coda enfiévrée. Un peu long à ce stade, ceci dit.
Du très bon, mais aussi et malheureusement pas mal de déchet, ou comment un groupe toujours aussi à l’aise dans ses instruments et ses chemises à carreaux (même si c’est galvaudé) parvient à nous pondre un disque très honorable mais qui aurait pu s’avérer tellement meilleur avec un peu plus d’énergie et un peu moins de flemme. Dark Matter fait-il le taff ? Oui. Vaut-il le coup d’oreille ? Oui, surtout pour ceux chez qui le nom de Pearl Jam n’évoque qu’un vague relent de la gloire de Seattle depuis longtemps révolue et qui n’auraient jamais essayé de s’y frotter (et il y en a plus qu’on le croit). Peut-il faire oublier les monstres engendrés par la bande à Vedder dans les 90’s ? Pas le moins du monde. On s’en doutait, certes, mais comme ça c’est dit.
A écouter : "Scared of Fear", "React Respond", "Running", tout ce qui a de la pêche, en gros.