The Glasspack
Dirty Women
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1- Taming Of The Ram / 2- Fastback / 3- My Curse / 4- Lot Lizard / 5- Ice Cream, But No Reply / 6- Fire In The Trailer Park / 7- Super Sport / 8- Play It Loud (With The Rock'n'Roll Outlaw) / 9- Lizard Reprise / 10- Louisiana Strawberry / 11- Farewell Little Girl
Pour chroniquer un disque de stoner rock, ou de n’importe production issue d’une genre précis d’ailleurs, il faut opérer par stratification, imaginer différentes couches que l’album traverse progressivement selon son degré d’excellence. La première strate représente le degré le plus neutre : le remplissage du cahier des charges inhérent à chaque mouvement. Ainsi, pour le punk, on s’attachera à la virulence, à la rapidité d’exécution et à la teneur des textes, pour la soul la qualité de la production et des arrangements, la valeur de la voix, les références convoquées, pour le rock actuel l’attitude, la tenue vestimentaire et l’arrogance du chanteur. Pour le stoner, on s’intéressera davantage à la pesanteur des riffs, le degré de psychédélisme des instrumentaux, la structure des compos qui doit ménager puissance et langueurs opiacées. La seconde strate regroupe les albums présentant une petite originalité qui les maintient au-dessus du lot commun, ici ce sera un croisement inédit avec un autre genre (stoner-garage, stoner-rock sudiste, stoner-pop, stoner-musique bavaroise), là l’ajout d’un instrument particulier ou un son de guitare original qui fera la différence. La troisième strate comprend les disques qui, en plus de cette base sonore singulière, proposent de tant à autres de vraies chansons, avec une vraie mélodie, une ou deux pistes qui squattent les oreilles et ne la lâchent plus des semaines durant. Enfin, la dernière strate se trouve peuplée par les quelques élus ayant réussi à franchir les étapes précédentes pour fournir un album qui renouvelle tant le genre et se voit riche de telles qualités qu’il en devient universel et ne reste plus cantonné à son habituelle chapelle d’amateurs. Bien entendu, la structure de l’ensemble est pyramidale : plus on franchit les strates, plus les groupes se font rares. Au final, seule une poignée subsiste. Pour le cas du stoner, ces derniers restent connus de tous : Kyuss , Queens of the Stone Age , Monster Magnet , Fu Manchu , Nebula … Il suffirait de deux mains pour pouvoir tous les compter.
Or, l’objet de notre chronique est de montrer qu’un groupe de strate 1 ou 2 peut malgré tout s’avérer être source de jouissance, comme une excellente série B policière qui accomplit tous les poncifs du genre tout en restant passionnante et brillamment exécutée de bout en bout. Cas d’école, donc, The Glasspack, et son quatrième opus, Dirty Women. Formé à la fin des années 90 à Louisville, capitale du Kentucky et berceau du bluegrass, The Glasspack est un ramassis de rednecks mal dégrossis, qu’on imaginerait tribu de cannibales vivotant dans un bled perdu du Texas s’ils ne venaient pas du Sud profond. Musiciens solides, ils méritent sans problème leur place en strate 1. Mais leur capacité à mêler southern rock et stoner (ce qui est une spécialité du label Small Stone, voir Five Horse Johnson , Dixie Witch ou The Brought Low ), à croiser binaire testostéronné à la AC/DC (ils reprenaient d’ailleurs "Rock’n Roll Singer" sur la compilation stoner Sucking The Seventies Vol. 2) et barbelés électriques rehaussés par quelques relents punk les destine idéalement à la strate 2. Honnêtement, le power trio doit s’en foutre pas mal de notre structure pyramidale à la con. Il suffit d’entendre Dirty Dave Johnson glapir au micro comme un Gremlins atteint d’un cancer de l’œsophage pour se rendre compte que composer des couplets mélodiques est le cadet de ses soucis. On peut se carrer notre strate 3 bien profond, The Glasspack n’en a cure.
Les auditeurs qui ne souffrent pas d’élitisme aigu peuvent sans problème effectuer un petit séjour en strate 2, le disque n’étant pas avare de réjouissances pour peu qu’on aime le rock dans son acception la plus primaire et la plus crue. Parce que dans ce domaine, le combo en impose. Quel autre groupe, exceptés ceux provenant du doom, peut à se point se vanter de célébrer la gras, la crasse, la poisse, désosser des riffs suppurants de graisse, huileux, rudimentaires, propres à filer des boutons à un Steve Vai ? Dirty Women est donc une galette farcie de guitares lourdes et adipeuses, que l’épatante production rend presque palpables. Elles éclaboussent littéralement les enceintes dès le premier titre ("Taming Of The Ram") puis prennent le contrôle des chevilles lors de "Fastback" et "My Curse", exercices boogie bas du front pulsés par une section rythmique dangereusement affûtée. "Lot Lizard", c’est Angus Young se dégourdissant sur le matos de Kyuss . Privilégiant la baston sonore à l’élaboration de structures ciselées, le trio se complait à briser les tempos, pilonnant un "Ice Cream, But No Reply" dévastateur avant d’entonner un concerto pour tondeuses à gazon sur un "Super Sport" létal à rendre un Karma To Burn vert de jalousie, quand il ne vient pas chasser sur les terres de Nick Oliveri ("Play It Loud"). Le tout s’achève sur un copieux "Louisiana Strawberry", entre groove libidineux et décharges plombées. On en ressort ravi et un peu abruti, comme après une pelloche de William Lustig ou de Lucio Fulci. The Glasspack est condamné à être conchié par le monde civilisé, mais reste l'un des groupes stoner de strate 2 le plus couillu et le plus imparable que le genre ait jamais enfanté. C’est dit.