U2
Songs Of Experience
Produit par Jacknife Lee, Ryan Tedder, Steve Lillywhite, Andy Barlow, Jolyon Thomas, Brent Kutzle, Paul Epworth, Danger Mouse, Declan Gaffney
1- Love Is All We Have Left / 2- Lights of Home / 3- You're the Best Thing About Me / 4- Get Out of Your Own Way / 5- American Soul / 6- Summer of Love / 7- Red Flag Day / 8- The Showman (Little More Better) / 9- The Little Things That Give You Away / 10- Landlady / 11- The Blackout / 12- Love Is Bigger Than Anything in Its Way / 13- 13 (There Is a Light)
“Les éternels pré-retraités du rock ont - malheureusement - encore frappé. Quoi de neuf ici ? La production de Danger Mouse qui, soit dit en passant, peine à se distinguer. Au-delà de l'habituel single à peu près correct que les irlandais parviennent encore à nous pondre à chaque fois - ici "You're The Best Thing About Me" -, on se retrouve avec un album interminable, mou, qui lorgne sur le Coldplay de Mylo Xyloto (c'est dire le niveau) quoique Bono ne parvienne pas à la hauteur vocale de Chris Martin. Pas grand chose à sauver là-dedans... espérons cette fois que ce soit le dernier disque de U2, parce que franchement, ils ternissent de plus en plus leur légende.”
Autant l’avouer sans fard : personne, à la rédaction, n’avait envie de chroniquer cet album, et certainement pas celui qui s’y est finalement collé. Seulement le pauvre malheureux a eu la mauvaise idée d’émettre un avis négatif en Première Écoute (reproduit ci-dessus), et ça, les aficionados n’ont pas aimé. Quoique sans doute y a-t-il d’emblée méprise d’un côté comme de l’autre. Les avis laissés en Première Écoute n’ont pas vocation à remplacer nos critiques standard, on peut même dire que c’est tout le contraire : loin de livrer une appréciation argumentée, elles reflètent une humeur, un jugement sur le vif après une écoute rapide du disque en question, sans approfondissement aucun. Par là-même, elles annoncent aux lecteurs une possible future critique si l’avis est favorable, ou au contraire l’idée que l’album n’a pas du tout plu au rédacteur en question ni retenu son attention, auquel cas qu’il n’y a pas lieu de s’attendre à ce que le propos soit développé en ces pages. Qui serait assez masochiste pour décortiquer attentivement un disque ne soulevant pas a minima un intérêt courtois ? Or l’âpreté - et quelque part la justesse - de certaines réponses à cet avis a incité l’auteur de ces lignes à réagir et à prendre sur lui la mission - quasi surhumaine - d’étoffer son propos. On gage que les fans de U2, coucou à eux, n’y perdront pas au change.
Entreprise passablement pénible aux entournures, mais par certains côtés bénéfiques en ce sens ou un certain degré de mea culpa s’avère nécessaire. À l’évidence, ce n’est pas parce qu’on n’aime pas un disque que l’on peut s’octroyer le droit de raconter tout et n’importe quoi à son sujet. Pour parler concrètement, non, Danger Mouse n’a pas produit cet album, il ne fait qu'apparaitre dans les crédits d’une chanson bonus (“Ordinary Love”). En fait, c’est l’opus précédent, Songs Of Innocence, qu’il a chapeauté. C’était donc une information grossièrement erronée, et de fait les plus plates excuses s’imposent. Sauf que la vérité est autrement plus triviale : renseignements pris, Songs Of Experience a été produit par, et ce n’est pas une blague, Jacknife Lee, Ryan Tedder, Steve Lillywhite, Andy Barlow, Jolyon Thomas, Brent Kutzle, Paul Epworth et Declan Gaffney (et Danger Mouse à la marge, donc). Huit hommes se sont succédé ou associés derrière les consoles, huit. Même Chinese Democracy est battu à plate couture. Preuve s’il en est des sommes d’argent colossales - qui a dit indécentes ? - allouées par les irlandais à leurs émoluments tout comme de leur incapacité flagrante à suivre une ligne directrice cohérente. Oh, ils argueront que beaucoup de choses se sont passées en quatre ans, que Bono a souffert d’un grave accident de vélo à Central Park en 2014, qu’il a vécu une expérience de mort imminente deux ans plus tard, qu’il y a eu le Brexit et l’élection de Trump, que les quatre hommes voulaient sortir le meilleur disque possible, bla bla bla. Le résultat était couru d’avance : un disque sans aucune personnalité, sans aucune cohérence, aussi lisse et convenu qu’un discours d’Anne Hidalgo. Seule la basse d’Adam Clayton parvient à émerger de façon un tant soit peu dynamique de cette savonnette à la lavande, et encore par intermittence. Bono ? Il chante comme il se tartinerait une tranche de brioche au Nutella : avec une délectation aussi gourmande qu’écoeurante. L’entendre minauder sur les “Yooooore, the best fing baout meee” du single éponyme a quelque chose de profondément agaçant, non pas qu’il ait fait mieux sur les quatre disques précédents, cela dit. The Edge ? Soit il nous ressort sa sirupeuse pédale de réverb’, semblant d’ailleurs s’en accommoder aussi paresseusement que de son bonnet noir en acrylique, soit il semble s’ennuyer comme un rat mort perdu à fond de cale sur un esquif voguant sans capitaine à la barre, et ça vaut autant en gratte sèche qu’en électrique. Heureusement - encore une fois - que Clayton porte à bout de bras le titre “rock” de l’album - et on pourrait ajouter une bonne paire de guillemets -, “American Soul”, tellement le guitariste s’enferme dans une partition aussi molle que la délivrance de son chanteur, aussi fade que les paroles sont d’une platitude abyssale. “You and I are, rock n’ roll”... si tu le dis, Bono, mais il n’est pas certain que le “you” s’adresse à tout le monde.
Reconnaissons tout de même à The Edge quelques éclairs de talent. Sur les treize titres et les quelques cinquante minutes que durent l’écoute, plus ou moins éprouvantes selon le degré de tolérance que l’on porte la bande à Bono, deux chansons parviennent à sortir du lot. “Summer Of Love”, parce que oui, la boucle de guitare est très belle… sauf qu’il n’y a que ça, dans cette chanson : une jolie boucle de guitare. Un peu chiche, tout de même. Et “Red Flag Day” qui, à première vue, sonne comme un bon U2, pas très finaud certes mais plutôt chouette et nettement plus tonique que le reste de la galette. Quoique... hé mais, on n’a pas déjà entendu ça quelque part ? Et c’est là que l’on en vient au second mea culpa de cette chronique : non, bien sûr, Songs Of Experience ne doit absolument rien aux arrangements de Coldplay version Mylo Xyloto. Reconnaissons au moins aux irlandais de ne pas être tombés aussi bas que Chris Martin et ses tristes sires. La saillie ci-dessus relève bien plus du troll bête et méchant que d’autre chose. Mais comme dans tout troll qui se respecte, il y a toujours un fond de vérité. Or il fut un temps où les londoniens - tout comme les dublinois - méritaient qu’on les écoute, on pensera en particulier à la période X&Y et plus précisément à un certain “White Shadows”. Alors c’est bien simple : enquillez-vous successivement “White Shadows” et “Red Flag Day”, et tirez-en les conclusions qui s’imposent. Entendons-nous bien : il ne s’agit certainement pas ici de parler de “plagiat”, ce gros mot que les stars ratées ressortent à toutes les sauces dès lors qu’un sursaut d'orgueil mal placé leur dicte de pianoter le numéro de téléphone de leur avocat, mais tout simplement de deux titres grossièrement similaires tant dans l’écriture que dans l’intention, et dont la comparaison tourne sans contestation possible à l’avantage des anglais. On voudrait nous faire croire que “Red Flag Day” est l’un des meilleurs morceaux composés par Bono and co depuis une vingtaine d’année ? C’est dire à quel point U2 est tombé bien bas.
Nul besoin aux oreilles sensibles de pousser plus loin leur découverte de Songs Of Experience : en dehors des quatre morceaux pris en exemple, un bon, un correct, deux supportables qui, bon gré mal gré, passeront encore auprès des audiophiles peu regardants - on fera même grâce à “You’re The Best Thing About Me” de son surdosage en guimauve et de son lamentable pont jeuniste -, il n’y a ici absolument rien à sauver. Rien de rien. Nada. Que pouic. Quand on pense que pour contester l’élection de Donald Trump ou le Brexit, “love is all we have left” et “love is bigger than anything in its way”, eh ben on est franchement mal barré. Déjà, on fait difficilement pire entame que le piètre duo “Love Is All We Have Left” (avec son pathétique vocoder) - “Lights of Home” (amorphe). Par derrière, l’album empile les morceaux mièvres en pilotage automatique, surjouant des poncifs auditifs et textuels les plus éculés. Une accumulation éhontée de truismes dégoulinant de chœurs nigauds (“Get Out Of Your Own Way”, douloureuse repompe de "You're The Best Thing About Me" qui le précède, Kendrick Lamar inside), de ritournelles naïves entonnées avec une candeur imbécile (“The Showman (A Little More Better)”, odieux), de balades lacrymales tellement surjouées qu’on vous met au défi de verser la moindre larme même avec un oignon tranché sous les yeux (“The Little Things That Give You Away” et sa réverb’ horripilante, “Landlady” et son traitement vocal dégoulinant de caramel), de pseudo-hits à dancefloor surannés tentant désespérément de faire jeune (“The Blackout”, d’une pauvreté vertigineuse) et de stadium-ballads aux chorales exaspérantes (“Love Is Bigger…”). Arrêtons là les frais. Si vous n’avez pas acheté Songs Of Experience, par pitié, ne l’achetez pas. On sait bien que le rock n’est pas à la fête en ce moment, mais il y a des disques autrement plus dignes de retenir votre intérêt. Et parce qu’on n’est pas rancuniers et qu’on n’oublie pas que fût un temps U2 a été bon, excellent même, allez plutôt remettre dans votre platine The Joshua Tree, Achtung Baby, Rattle and Hum ou même, soyons fous, Zooropa. Tout, mais pas ça. Pour le coup, on ne changera pas un iota à la dernière phrase de l’avis laissé en Première Écoute il y a quelques semaines de cela : “Pas grand chose à sauver là-dedans... espérons cette fois que ce soit le dernier disque de U2, parce que franchement, ils ternissent de plus en plus leur légende.” Rien à ajouter.