Willow
Empathogen
Produit par Chris Greatti, Eddie Benjamin, Jon Batiste & Willow
1- home / 2- ancient girl / 3- symptom of life / 4- the fear is not real / 5- false self / 6- pain for fun / 7- no words 1 & 2 / 8- Down / 9- run! / 10- between i and she / 11- b i g f e e l i n g s
Qu’il est dur de se détacher de tout a priori ou idée reçue ! On a beau, en tant que chroniqueur, prôner l’ouverture d’esprit et une certaine objectivité dans l’analyse, il reste difficile de ne pas céder à la facilité d’un jugement prématuré, voire totalement infondé. Je ne pensais à ce titre pas m’attarder un jour sur la musique de Willow, et ceci en dépit de la parution d’un single promotionnel au groove assez irrésistible ("Symptom of Life"). Pourquoi un tel traitement réservé à la jeune Américaine, artiste qui pourtant a pu démontrer une véritable prédisposition pour le rock à travers ses précédentes réalisations ? L’explication est aussi bête que triviale : Fille de Will Smith et Jada Pinkett, Willow est l’enfant star par excellence. Une gamine placée dans les rouages du show-business dès le plus jeune âge, et qui ne semble jamais avoir rencontré de véritable obstacle durant son parcours initiatique (merci papa)*. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour imposer une idée à l’esprit : celle que Willow n’existerait que par le prisme d’une des familles les plus influentes d’Holywood et n’aurait finalement rien d’autre à offrir que des productions insipides, principalement destinées à un public adolescent. Je reconnais néanmoins un certain mérite à Willow Smith : celui d’avoir persisté dans la musique (déjà 7 albums au compteur) et de s’être essayé à différents registres (RnB, pop, soul, et même punk/emo) ; une liberté artistique surement inspirée par des parents qui ne se sont jamais fixés de limites (en plus du cinéma, le Prince de Bel-Air a pu mener une carrière dans le rap ; tandis que Jada Pinkett a pu s’essayer au neo-metal**).
Les plus belles découvertes étant généralement là où on les attend le moins, j’ai finalement outrepassé ces aprioris pour laisser une chance à l’album en question. Après une écoute attentive, le verdict n’a pas tardé à tomber : Empathogen sera à n’en pas douter un de mes plus gros coups de cœur de l’année !
L’album se distingue dans un premier temps par l’audace de certains parti-pris créatifs. La double introduction composée des titres "Home" et "Ancient Girl" constitue ainsi une entrée en matière étonnante et singulière. Quand le cadre raffiné et jazzy du premier morceau laisse libre cours à de jolies harmonies vocales, les lamentations discordantes du second apportent une touche de folklore inattendue à l’ensemble. On notera également l’intégration de plusieurs interludes qui, loin d’être anecdotiques, dévoilent une technicité insoupçonnée à l’image des inspirations jazz du titre "no words 1 & 2".
Si l’on perçoit dans la démarche une envie de s’affirmer en tant qu’artiste et de s’extirper d’une image juvénile quelque peu réductrice, à aucun moment la chanteuse ne semble forcer son talent, se montrant au contraire très juste et spontanée dans sa prestation vocale. Ce septième album de Willow se montre également très équilibré, alternant judicieusement entre envolées pop à l’accroche immédiate ("Symptom of Life", "False Self") et compositions plus fougueuses et déstructurées. A ce titre, mentionnons l’excellent "b i g f e e l i n g s", une composition d’une incroyable maturité d’écriture. Se dotant d’attributs progressifs en entremêlant différentes sections mélodiques à l’aide d’une rythmique ambivalente, ce single prouve à lui seul que la musique mainstream peut se montrer ambitieuse et intelligente sans pour autant perdre en accessibilité. Il s’agit en outre d’une porte d’entrée idéale vers l’univers de Willow.
Globalement, Willow impressionne par l’étendue de ses influences et par sa capacité à se les réapproprier : cette façon naturelle d’associer les rythmiques syncopées du jazz à la chaleur d’une voie soul ; cette envie de créer la singularité en distillant méthodiquement des éléments de hip-hop ("Fasle Self"), de funk ("The Fear is not Real"), ou encore de rock plus incisif ("Between I and She"). Contre toute attente, la chanteuse évite l’effet mixtape un peu fourre-tout grâce à une formidable gestion du rythme. Il faut dire qu’on ne s’ennuie pas une seconde, la cadette Smith parvenant à instaurer une certaine cohésion d’ensemble grâce à une section rythmique démente et un groove de chaque instant. Il faut croire que l’Américaine a su tirer parti du meilleur des 9 musiciens impliqués sur l’album, ces derniers contribuants largement à la variété ressentie à l’écoute de Empathogen. Au rang des collaborations, mentionnons la participation de St Vincent sur "Pain for Fun", un morceau intime et solaire, évoquant par moment la pop downtempo d’artistes comme Dido ou Morcheeba.
Vous l’aurez compris, votre perception de Willow ne sera plus jamais la même après l’écoute de cet excellent album. Marquant les esprits grâce à un métissage stylistique maitrisé, la jeune artiste américaine dévoile l’étendue de son potentiel en plus de confirmer - à ce qui en doutaient (comme moi) - sa totale légitimité sur la scène indépendante. Album de l'année, album de la révélation ou simplement album de l’émancipation ? A vous d’en juger. Pour ma part, je retourne immédiatement prendre une dose d’empathogène !
* A seulement 10 ans, la petite Willow rejoint le label de Jay-Z (Roc Nation).
** Pour les curieux le groupe s’appelait Wicked Wisdom
A écouter : "b i g f e e l i n g s", "symptom of life", "pain for fun"