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Billet Concerts

… Et nous avons tous dit au revoir à Chester Bennington


Erwan, le 29/10/2017

Vendredi 27 octobre au soir, Linkin Park se réunissait en famille à Los Angeles pour rendre hommage à son chanteur Chester Bennington, qui s’est donné la mort en juillet dernier.

Il y a la famille du quotidien. Celle dans laquelle on naît, grandit, devient de plus en plus idiot puis de plus en plus responsable, avant d’en fonder une à son tour. Ce sont là nos parents, frères et sœurs, grands-parents parfois. Puis le reste de la famille du sang, celle qui est parfois plus loin, qu’on ne retrouve que pour les grandes occasions, peut-être simplement pour le fameux trio mariage/baptême/enterrement. Là s’ajoutent oncles, tantes, cousins, cousines, avec qui la sensation de proximité peut vite devenir floue selon la considération que l’on porte à ce qui tient de l’ancêtre commun, et le vécu que l’on partage. Ce vécu partagé qui est le tronc et les racines d’une troisième considération de la famille, de celle qui s’est réuni cette nuit au Hollywood Bowl de L.A. pour honorer un proche disparu.

Nous sommes nombreux, pour Chester. Quelques dizaines de milliers dans le mythique théâtre à ciel ouvert, mais bien plus à travers le monde. 500 000 en direct de leur ordinateur, connectés pour communier, pour beaucoup en plein milieu de la nuit (4h30 du matin en France). Parmi nous, il y a les fans. Tous les types de fans. Des trentenaires de la première heure aux plus jeunes adolescents à qui la musique de Linkin Park parle encore, des puristes aux petits nouveaux séduits par la dernière orientation du groupe, des groupies aux simples amateurs de rock venus témoigner leur respect. Se glissent également dans la foule ceux qui ont sifflés, hués, pendant le Hellfest ou le Download, le groupe de Mike Shinoda. Ceux qui ont descendu en flammes un dernier album infect. Ceux qui, au moment de la disparition de Chester, n’étaient pour certains pas légitimes dans leur douleur, coupables de trop aimer pour laisser faire, et peut-être de ne pas savoir accepter le changement. Votre serviteur est de ceux-là.

Dans cette famille, celle de Linkin Park, beaucoup d’artistes également. Tous ont répondu à l’appel de celui qui se présente sur scène comme le patriarche : Mike Shinoda. Sourire ému, posture humble, sans armure ni costume. Juste un type qui vient de perdre un proche, et retrouve ses nombreux amis pour parler de lui. Du bon vieux temps. Se souvenir, rire un peu, timidement pour commencer. Puis de plus en plus fort. Parce qu’il aurait aimé que l’on continue à rire. Avec sa simplicité, son absence de mise en scène, son côté foutraque et spontané, le grand concert organisé par Linkin Park vise très juste. Personne n’est dupe, et bien sûr qu’un tel événement se prépare à l’avance. Les guests qui s’enchaînent sur scène ne passaient pas dans la rue par hasard. Mais si le show est assez rodé pour rouler tranquillement, toute cette préparation ne tend vers aucun autre but que celui de passer du temps ensemble. Aucune pression, aucune contrainte de temps, ni aucune envie d’en mettre plein les yeux. Les invités vont et viennent tranquillement, Shinoda parle, prend le temps de présenter ses invités, les raisons de leur présence à ses côtés. Dans son discours, pas de démagogie. Quelques phases de remerciements, forcément. L’inverse eût été impoli. Mais sans insister. Pas de pleurnicherie non plus. De l’émotion franche, au moment de lancer la soirée et de revenir sur ce triste été, mais pas de complaisance dans le malheur.

Après avoir joué "Numb" sans personne d’autre au chant qu’une foule qui ne demande qu’à partager plus d’émotion en chœur, Shinoda accueille Ryan Key (de Yellowcard), Alanis Morissette, les jeunes chanteuses Kiiara, Julia Michaels et Ilsey Juber, Takahiro Morita (de One Ok Rock), et bien d’autres pour reprendre en version presque minimaliste des titres dont la signification devient forcément particulière dans un tel contexte. "Castle Of Glass", "Shadow Of The Day", et même les titres détestables de leur dernier album comme "Heavy" et "One More Light" sont aujourd’hui remplis de doubles sens.

"Parfois les solutions ne sont pas si simples. Et parfois, dire au revoir est la seule façon de faire", "Shadow Of The Day", de Linkin Park.

Une première partie de soirée que tout le monde goûte en fermant les yeux, la tête pleine d’image. Moment que choisit Shinoda pour interpréter un titre écrit "huit jours après sa disparition", dit-il. "Je ne sais pas encore ce qu’on fera de ça. Peut-être que ce ne sera que pour ce soir…". Dur à croire, mais on s’en fiche. Le morceau est beau. Simple. Parlant de la perte soudaine, sans plus de détails personnels excluant.

"Y’a-t-il un arc-en-ciel là où tu es maintenant ? Le même qui brillait quand tu étais parmi nous ? Je suis là, dans le noir, incapable de croire que c’est vrai. Est-ce que j’étais perdu ? Qu’aurais-je pu te dire, que n’aurais-je pas dû faire ? Et suis-je en train de chercher une réponse alors qu’il n’y en a finalement pas vraiment ?", "Looking For An Answer", de Mike Shinoda.

Savant équilibriste, Shinoda coupe l’émotion avant qu’elle ne fane tristement en enfilant son costume de MC. Brad Delson retire son collier à fleurs, et c’est l’heure du bond dans le bon vieux temps : Linkin Park reprend quelques titres parmi les plus mémorables du mythique Hybrid Theory. Oli Sykes s’époumone sur "Crawling" avant de sauter dans la foule, Machine Gun Kelly rejoint le groupe pour "Papercut", et l’on glisse doucement vers la partie rock-credibility/nostalgie du show avec les arrivées sur scènes de Jonathan Davis (Korn), Daron Malakian et Shavo Odadjian (System of a Down), Frank Zummo et Deryck Whibley (Sum 41), et tout Blink-182. On frôle l’ambiance tournée des Enfoirés version rock quand est diffusé une vidéo montrant Metallica, Paul McCartney, Duff McKagan, Depeche Mode et d’autres absents, tous laissant un petit mot gentil à propos de Chester. Les intentions sont toujours belles, mais l’enchaînement de guests est plus dense, le rythme plus élevé, et ce qui était un apéritif sympathique devient une séance de fast-drinking qui pourrait être écœurante si le breuvage n’était pas si savoureux.

Quelques morceaux plus tard, Linkin Park entame les premières notes de "In The End". Le symbole est fort. Un court extrait d’un speech de Chester enregistré quelques jours seulement avant son suicide lors d’un concert à Londres est ensuite diffusé. Puis Talinda Bennington monte sur scène, pour parler de lui. De la dépression. Du combat qu’elle veut mener contre les troubles de ce type. Linkin Park va vraiment terminer avec "In The End" ? C’est beau. Sauf que… il reste encore quelques guests à faire passer. Avenged Sevenfold, notamment. Finalement, ce dernier temps ressemble à un acte manqué. La soirée se terminera quelques titres plus tard avec "Bleed It Out", et la présence de tous les invités du soir. La famille sur scène au grand complet.

"J’ai essayé si fort, et suis allé si loin. Mais tout ça n’a aucune importance à la fin. Je dois tomber pour tout perdre, mais à la fin… Ça n’a aucune importance", "In The End", de Linkin Park.

En près de trois heures et demie, Linkin Park nous a fait vivre les trois dernières étapes du deuil. La résignation, l’acceptation, avec la possibilité de trouver dans tous ces souvenirs une force malgré tout positive, mais aussi et surtout la reconstruction. Le groupe ne cache pas sa détermination à poursuivre bon gré mal gré sa route, avec l’ombre de son chanteur disparu au-dessus de la tête. En faisant appel à quelqu’un d’autre ? La place semble impossible à accepter et tenir aujourd’hui, et puis la question ne s’est peut-être même pas encore posée. En attendant, il a bien fallu la tenir pour une soirée au moins, cette place. Et Shinoda s’est prêté à l’exercice, avec ses limites techniques et son envie de bien faire. L’y entendre n’est pas encore plaisant, mais quelque part, l’y voir rassure. Lui semble s’y plaire, et si Linkin Park semble prendre le chemin du Titanic, tous les nostalgiques ont envie de garder le même équipage à bord.

Shinoda et Linkin Park n’ont en tout cas pas manqué leur grand hommage à Chester Bennington, entre veillée festive sur la plage et grand repas de famille façon Dom Toretto. Le #MakeChesterProud, largement partagé par les insomniaques de tous bords pendant le show, résume pour une fois beaucoup de choses : la question n’était pas de faire un bon concert, dans un endroit immense, avec un show gigantesque. L’important était de se retrouver pour s’amuser entre gens blessés, de se soigner ensemble, et de montrer à son hypothétique esprit bienveillant que ce qu’il a laissé à toute une génération de jeunes à la recherche de repères est bien vivant dans le cœur de centaines de milliers de gens. L’important était de faire comme s’il pouvait nous voir, et de le rendre fier.

Chester Bennington était un artiste, pas tant parce qu’il faisait de la musique que parce qu’il partageait cette musique et que celle-ci était écoutée. C’est le propre de l’artiste, confronter son œuvre au regard d’autrui. A celui du public, et à celui de la critique. Peut-être que le poids de ce jeu, dont la violence est banalisée, était devenu trop lourd à porter. Impossible d’occulter son passé, sa dépression. Ni d’ignorer ses sourires jusque dans les derniers instants, et cette impression que tout semblait aller pour le mieux. Dès lors, comment pouvoir mesurer le poids de la critique, contre celui de ce ver puant qu’est la dépression ? A-t-on vraiment envie d’avoir la réponse ? Chacun a joué son rôle comme il le pouvait, et nous sommes finalement tous perdants face au suicide de Chester Bennington. Inspirons nous alors de ce 27 octobre pour toujours garder en tête que si les artistes disparaissent, parfois tragiquement, ce que leur musique a inscrit dans nos cœurs ne meurt jamais. Et les souvenirs qu’ils laissent se vivent collectivement.

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