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Critique d'album

Black Sabbath


Paranoid


(18/09/1970 - Warner Bros. Records/Vertigo - Classical Heavy - Genre : Hard / Métal)
Produit par

1- War Pigs/Luke's Wall / 2- Paranoid / 3- Planet Caravan / 4- Iron Man / 5- Electric Funeral / 6- Hand Of Doom / 7- Rat Salad / 8- Jack The Stripper/Fairies Wear Boots
Note de 4.5/5
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Note de 5.0/5 pour cet album
"L'un des piliers du rock. Du rock heavy, mais pas seulement. Indispensable."
Nicolas, le 22/06/2013
( mots)

Il n’est pas forcément aisé d’aborder Paranoid sans tomber dans les superlatifs, puisqu’il est désormais de notoriété commune que cet album a jeté les bases du heavy metal. Si Black Sabbath a inventé le son lourd et esquissé de grandes pièces lugubres et visionnaires, c’est  véritablement ce deuxième disque de sabbat noir qui a érigé nombre de codes allègrement recopiés par toute une secte d’adorateurs tombés en pâmoison devant un tel déferlement de nouveautés sonores et stylistiques. En terme d’héritage, donc, il n’y a pas photo. Les cinq guitares sont amplement méritées, et on pourrait même aller plus loin : plus qu’un chef d’oeuvre ou un disque culte, nous avons ici affaire à un disque fondateur et fédérateur, autant dire à un incontournable absolu de toute discothèque qui se respecte. Pourtant, dans les faits, peu nombreux seront ceux qui citeront Paranoid comme étant leur disque préféré du Sab en dehors de la sphère des metal heads : beaucoup resteront encore longtemps sous le charme vénéneux et glauque de l’éponyme, d’autres préféreront la lourdeur étouffante et la percussion hallucinée de Master Of Reality, d’autres enfin reviendront principalement à Volume 4 pour sa perfection sonore, son homogénéité et la qualité de ses compositions. Dans les faits, il est indiscutable que ce numéro 2, bien que blindé des tubes habituellement retrouvés dans les best of, reste à part dans l’oeuvre du Sab’ et qu’il faut tenter de se l’approprier et de proprement le confisquer à l’adoration métallique. C’est donc ce que nous allons faire.


En terme de background, pas grand chose à renseigner si ce n’est que Paranoid est à Black Sabbath ce que le II de Led Zeppelin est au I : une suite logique, précoce (sortie six mois à peine après l’éponyme) et approfondie qui achève de poser les bases du style sabbathien. A bien y regarder, d’ailleurs, Paranoid et Led Zep II apparaissent de construction relativement similaire, notamment avec une poignée de titres introductifs à gros riffs et un morceau axé batterie en avant dernière position, et ce n’est probablement pas le fruit du hasard. Si Tony Iommi respecte alors énormément le talent et le professionnalisme de Jimmy Page, s’il ne rechigne jamais à accompagner John Bonham dans ses improbables orgies nocturnes, il avoue volontiers qu’une sorte de saine émulation s’est nouée entre le Zeppelin et le Sabbath, avec un objectif sous-entendu du côté des prolos de Birmingham - et avoué clairement par Bill Ward à l’époque : parvenir à sonner plus lourd que le dirigeable plombé. Pari gagné, cela va sans dire.


Quatre jours d’enregistrement sont nécessaires pour achever l’enregistrement, une éternité comparativement au premier disque qui, lui, a été torché en vingt quatre heures. Détail croustillant : les quatre larrons s’étant méchamment frittés avec une bande de caïds du coin peu avant d’entrer en studio, ils accouchent de l’album en pansant leurs blessures, Iommi jouant les quatre jours durant avec un bel oeil au beurre noir. Compte tenu du succès de Black Sabbath, la même configuration est reproduite sur le nouveau disque : même producteur, Rodger Brain, réduit peu ou prou à un rôle de faire valoir, même si on lui doit la curieuse accélération finale des bandes sur "War Pigs", et même lieu de villégiature, le Regent Sound Studio de Londres. Cette fois-ci, Geezer Butler change son fusil d’épaule et se fend de textes plutôt axés sur l’antimilitarisme, en tout cas prenant assez radicalement le contre-pied des orientations occultes du premier disque. Il ne s’agit pas stricto sensus d’un volte-face lié aux accusations de satanisme dont a été victime le groupe, mais plutôt d’une volonté de ne pas se laisser catégoriser dans un style donné et de prouver que l’on peut sonner heavy sans parler forcément du diable, avec toujours cette idée que le contenu thématique doit avant tout servir le riff. L’album aurait d’ailleurs dû s’appeler War Pigs, mais la chanson en question, extrêmement critique à l’égard de l’engagement militaire des Etats Unis au Vietnam, aurait pu être un frein à une lucrative tournée du Sab’ chez l’Oncle Sam, tout de moins est-ce ainsi qu’en a décidé le manager - corrupteur Jim Simpson. C’est donc Paranoid qui est choisi comme patronyme, et tant pis si l’artwork, un soldat casqué arborant un sabre recourbé et un bouclier, n’a rien à voir avec le titre. Amusant d’ailleurs : d’après Iommi, à l’époque, seul Butler parmi les quatre hommes sait exactement quel est le sens du mot paranoïaque !


A ce stade, Black Sabbath ne sonne pas encore aussi grave et pesant que sur les albums suivants : le détunage pratiqué par Iommi n’est que d’un demi-ton au lieu du ton et demi plus volontiers appliqué à partir de Master Of Reality. De fait, la percussion sonore, si elle s’avère stupéfiante pour l’époque, peut nous apparaître datée par rapport aux standards stoner ou heavy rock d’aujourd’hui. Ce "problème", qui n’en est pas vraiment un (faut pas déconner, non plus), explique peut-être le relatif désamour à l’égard de ce disque par rapport aux deux suivants et même au précédent qui, bizarrement, offre un rendu beaucoup plus gras et écrasant. Il est vrai que pour Paranoid, Tony Iommi et Geezer Butler ont préféré capitaliser sur un son beaucoup plus incisif et tranchant, bien moins riche en pédales effets, reflétant l’agressivité plutôt que la peur. Mais si l’aspect cosmétique de Paranoid semble moins impressionnant que celui de ses illustres compagnons d’arme, le rendant peut-être moins attachant et facile d’accès dans un premier temps, le disque se rattrape allègrement dès que l’on aborde le registre de la composition, car le style de Black Sabbath éclate ici avec une ineffable classe. Riffs extraordinaires, parmi les plus étourdissants proposés par Iommi, refrains guerriers, section rythmique irréprochable, tout contribue à faire du deuxième disque du Sab’ un monument.


"In the fields the bodies burning / As the war machine keeps turning / Death and hatred to mankind / Poisoning their brainwashed minds". "War Pigs", débutant par un assaut de blindés lourds au son d’une sirène hurlante, se place comme une charge implacable contre la guerre, les officiers et les politiciens, mais c’est avant tout un morceau exceptionnel. Gargantuesque collection de riffs anthologiques égrenés sans discontinuer sur près de huit minutes, le titre étonne d’abord par l’aridité de son premier couplet, soutenu quasiment a capela par les incantations grinçantes d’Ozzy Osbourne, mais dès qu’arrive le riff principal, bang ! On s’en prend plein les mirettes. Tandis que le mur guitare - basse équarrit tous les recoins qui dépassent, on reste estomaqué devant l’excellence de la batterie de Bill Ward dans ce qui apparaît comme sa prestation la plus mémorable chez Black Sabbath. Tempo légèrement flottant, puissance de feu assourdissante, respirations surhumaines, vélocité et précision des frappes hors de l’espace : c’est époustouflant, au bas mot. Et que dire du jeu de guitare de Iommi, de ses décharges de cordes sournoises, de ses crissements stridents, de ses oscillations glaciales, de ses soli resserrés et percutants ? Toute la face A se place au niveau de ce monument du heavy rock 70’s, à la fois pesante, aérée, novatrice et extrêmement mélodique. Si "Planet Caravan", avec sa basse ourlée, sa voix triturée et sa magnifique partie soliste blues, marque une pause salutaire dans l’électricité menaçante, les deux autres pièces qui complètent la face marquent indéniablement les esprits. La particularité d’"Iron Man", qui, bien que n’étant pas une chanson hommage à Tony Stark, a bel et bien été inspirée d’un comic, est de malmener bille en tête nos pavillons auditifs à l’unisson : Ozzy, Tony et Geezer, tous trois de concerts, délivrent avec rage de sombres menaces avant de nous massacrer au gré d’un changement de tempo vicieux. Là encore, la rythmique de Bill joue à l’élastique, ce qui donne au morceau un côté traînant, fourbe et imprévisible. On peut néanmoins regretter que les paroles concoctées par Butler ne parviennent pas à emplir complètement les temps, forçant le pauvre Madman à s'appesantir sur quelques notes avec une certaine gaucherie. Aucun reproche, en revanche, n’est à formuler à l’égard de "Paranoid", le supertube de Black Sabbath, un tube composé en à peine vingt minutes dans le but de combler l’espace vacant de la face A. Sur une ligne de basse surpuissante à peu près identique à celle de "Planet Caravan", Iommi exécute d’un seul coup son riff le plus célèbre, uppercut délivré au rythme infernal de la guitare robotique du sorcier en charge des imprécations, tandis qu’Ozzy, particulièrement inspiré, se fend d’une mélodie propre à se voir reprise par des stades entiers. Le heavy metal est véritablement né avec ce morceau, et dire qu’il s’agit, à la base, d’une quasi-improvisation !


On l’a noté, l’une des particularités d’"Iron Man" est d’être composé d’un pont central bluesy et endiablé - sans mauvaise allusion satanique - encadrant une matrice heavy rock beaucoup plus solennelle. Cette particularité se retrouve à l’identique sur chaque morceau de la face B, à l’exception notable de "Rat Salad", instrumental brossé tel une réponse au "Moby Dick" de John Bonham, magnifiant un solo de batterie tout en souplesse de Bill Ward par quelques chevauchées électriques crunchy. On ressent, à l’écoute de ce petit intermède sans prétention, toute la subtilité, le feeling, les affinités jazz et le sens inimitable de la percussion de Bill Ward, encore et toujours perçu aujourd’hui comme le parent pauvre du Black Sabbath originel. Pour le reste, c’est vraiment cette alternance entre blues rock secoué, ossature métallique et délires guitaristiques qui fait tout le sel d’une fin d’album qui, par certains aspects, se révèle même encore meilleure que son commencement. Ça commence en force avec l’imposant "Electric Funeral", l’un des titres les plus suffocants du Sab’ qui tire parti à merveille de l’utilisation de la wah-wah dans les graves, un réquisitoire glaçant contre l’arme atomique complètement asservi au couple guitare-basse d’outre-tombe. Plus chaotique, "Hand Of Doom" juxtapose plusieurs motifs typiquement sabbathiens bout à bout : si le thème principal joue à cache-cache en tablant sur un contraste faible-fort / grave-aigu, la digression instrumentale nous offre, en à peine plus de deux minutes, un pur concentré de riffs métalliques d’une rare efficience, preuve de la fantastique maîtrise du Seigneur Iommi en la matière. Dernier morceau, mais non des moindres, "Faeries Wear Boots" est une pièce maîtresse pour qui veut appréhender à sa juste valeur le Sabbath des débuts. Ici le blues se voit dévoyé, perverti, torturé pour qu’il en ressorte des relents âcres et pernicieux, et le tout avec moults changements de styles, de tempos, de motifs, riffs, soli ou petites parties de batterie isolées. La richesse de ce titre est tout bonnement inépuisable, on peut l’écouter en boucle durant des plombes et se trouver encore à en découvrir des détails jusqu’ici inconnus. Quelle meilleure conclusion offrir à un album ?


L’histoire retiendra de cet album qu’il s’agit, d’une part, du plus gros succès commercial de Black Sabbath et de son seul numéro un des charts anglais - avec 13 tout récemment, mais le contexte de l'industrie n'est plus du tout comparable - et d’autre part qu’il a servi de base à l’élaboration de la plupart des codes du heavy metal. Or il convient aujourd’hui d’en élargir la portée, de ne pas seulement garder les tubes de la face A, les riffs anti-blues canardés à la rotative lourde ou le jeu guitare-basse à l’unisson de "Paranoid" désormais ultra-typique de la puissance de feu du metal, mais de prendre l’album comme un tout, l’oeuvre d’un groupe alors en pleine exploration d’un son et d’un style nouveaux, proprement excité par ce qu’il est en train de coucher sur bande, et pour qui nulle entrave volontaire ne doit s’imposer. On reverra le jeu de guitare forcément limité de Tony Iommi, non plus uniquement à l’aune de ses décharges sulfureuses et glacées, mais dans une globalité et une diversité vertigineuses, faites d’inventivité matérielle, d’idées d’accords géniales, de doigtés atypiques à nul autres pareils ou de tics insaisissables disséminés aux quatre recoins du disque. On essayera d’appréhender tout ce que les bassistes, tous les bassistes sans distinction, doivent à Geezer Butler en terme de matériel, de son, de soutient rythmique, de technique pure, bends, vibratos, doigtés claquants ("Iron Man", quoi) et groove. On tentera surtout d’écouter avec l’attention qu’il mérite l’atypique Bill Ward derrière sa batterie, le soin apportée aux bruits de ses caisses, la façon qu’il a d’emprisonner le rythme du groupe par ses coups tout en suspension et de jouer avec les tempos, tout ce qui fait de lui un cogneur impossible à remplacer - n’est-ce pas Brad Wilk ? On s’attardera enfin sur la voix si particulière du sulfureux Ozzy, son timbre couinant et geignard, ses attaques de phrases percutantes, sa diction scandée, tout à la fois détachée et terriblement affectée, et toute la sensation d’effroi et d’horreur qu’il nous renvoie en pleine face au gré de ses invectives. On le voit bien, Paranoid est plus, bien plus qu’un album de metal : c’est un disque séminal dont la portée universelle dépasse tous les clivages musicaux passés ou à venir, et l’un des piliers incontestables de toute la musique contemporaine. S’il ne vous faut qu’un disque de Black Sabbath, voir même qu’un seul disque de heavy rock dans votre discothèque, ne cherchez pas : c’est celui-là qu’il vous faut, et pas un autre.

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