
La Nu-Rave comme ère postmoderne du rock. Le cas Late Of The Pier
- Introduction
- Destruction de l'art, reconstruction de la critique
- Historiographie rapide du rock : de l'âge primitif à l'ère postmoderne
- Typologie du paysage rock actuel
- Late Of The Pier : groupe postmoderne dans un monde contemporain
Destruction de l'art, reconstruction de la critique
Le premier constat que l’on dresse est une exhortation péremptoire : on ne peut continuer à parler du rock (et a fortiori de la musique populaire contemporaine), si l’on veut se montrer respectueux des canons de cette étrange profession (ou hobby) tels qu’ils ont été modelés dans les années 70 sous des plumes illustres telles que Philippe Garnier ou Philippe Paringaux (soit, globalement, le rock comme mouvement esthétique, art, culture ou contre-culture -à chacun de choisir son mantra- avec ses codes propres), de la même façon qu’il y a trente ans. Les développements d’Internet et les profondes mutations qu’il a entraînées dans les modes de production, diffusion, consommation de cette musique font qu’on ne peut plus se contenter d’accompagner le mouvement sur un plan simplement descriptif et/ou évaluatif, perdu sur son rocher solitaire, à distribuer les bons et les mauvais points avec des critères devenus inopérants. Les artistes et le public ont changé, aux journalistes de faire leur Aggiornamento, de modifier en profondeur leur discours pour que sa pertinence n’en devienne pas obsolète. Nous y reviendrons. Les bouleversements technologico-esthétiques qu’apporte Internet ne se feraient pas aussi saillants s’ils ne se doublaient pas également d’une crise plus ancienne, plus profonde et plus générale de l’Art. Qu’on se permette ici un petit détour en dehors du rock.
Les discours sur la mort de l’Art sont presque aussi vieux que l’Humanité elle-même, on pourrait remonter au déclin de l’Empire romain, et même au-delà, pour citer nombre d’écrits de perpétuels pleurnicheurs se lamentant au sempiternel refrain du c’était mieux avant. Sans doute bien des observateurs aigres devraient-ils faire un détour du côté d’Aloïs Rielg et potasser un peu ses écrits. Ils se rendraient sûrement compte qu’ils confondent la mort de l’Art avec la perte de leur propre capacité d’admiration. Ou comment imposer aux autres sa mélancolie geignarde et l’ériger en un système rigide. Les modes de représentation changent, pas la capacité de l’homme à créer des formes esthétiques, cette "volonté d’art" (Kunstvollung) dont parle Rielg. Nous avons le même cortex, les mêmes câblages neurologiques que nos illustres ancêtres de l’Antiquité ou de la Renaissance, seuls changent les formes d’incarnation de l’Art. Libre à chacun d’en préférer plus qu’une autre.
