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Interview Francis Métivier : Rock & Philo - Des Sons et du Sens


Claude, le 04/11/2011

Francis Métivier est Docteur et prof de philo mais il n'est pas que ça. Grand amateur de Rock devant l'éternel il a eu l'idée de juxtaposer problématiques du programme de Philo et de les illustrer par des exemples tirés de chansons rock. Descartes s'acoquine ainsi avec les Pixies, Pascal avec Nirvana ou Spinoza avec Elvis Presley. Rock 'n' Philo est un livre didactique mais "fun" ; il préfigure une nouvelle façon de se familiariser puis de se plonger dans cette matière.


Question rituelle s'il en est : le pourquoi et le comment de ce livre…
C'est une interrogation légitime et qui fait partie du "tour". (Rires) Je ne parle pas de deux passions parallèles mais de deux désirs parallèles. Très tôt j'ai eu le désir d'approcher les textes philosophiques car je faisais du Grec ancien et on traduisait des textes de Platon. C'était des textes plus narratifs que philosophiques, la mort de Socate par exemple, et au même âge j'ai découvert des groupes comme Led Zeppelin et les Beatles. Ça a été deux chocs simultanés qui ne se sont pas croisés tout de suite mais que j'ai développés parallèlement. Je me suis posé des questions sur Socrate en me demandant qui était ce type qui était condamné à mort injustement mais qui accepte pourtant de boire la ciguë, qui va sur la place publique pour dire aux politiques qu'ils ne savent rien. Ce type me fascinait au même titre que d'autres, Lennon ou McCartney, Plant, Jimmy Page. Je me disais : "Qu'est-ce qu'ils font ces mecs-là ?" Sans savoir de quoi il s'agissait, il y avait une attirance…

C'était au niveau de "l'attitude" ?
Oui et en même temps il y avait : "Qu'est-ce qu'il dit ? Qu'est-ce qu'il me raconte ?" C'était en Anglais, on ne comprenait donc pas tout de suite . Ce qui était bizarre c'est qu'au lieu d'avoir un effet repoussoir, comme les maths (rires), ça a créé pour moi quelque chose de dément : ce que ces Personnalités pouvaient bien nous raconter. Ne pas les comprendre a fait que j'ai voulu les comprendre. J'ai développé ces deux types de tentative de compréhension : la Philosophie et le Rock tout au long du lycée. Je me suis mis à la guitare, j'ai essayé de comprendre les textes, d'en écrire qui soient plus ou moins philosophiques, voilà… Tout ça a fait l'opération d'une maturation plus ou moins consciente et il y a eu un moment où il a fallu choisir une pratique majeure et une pratique mineure car on ne peut faire des deux une activité principale. Et on choisit souvent parce qu'il y en a une qui marche moins bien que l'autre (Rires). J'ai par contre toujours travaillé la philo et le rock par la lecture, l'écoute et la pratique et je me suis aperçu, progressivement, qu'il pouvait y avoir un sens philosophique qui se dégageait de pas mal de morceaux rock. Cette maturation est donc la première explication en partant de ces deux chocs adolescents.

Avais-tu ou as-tu encore cette vision dichotomique entre culture classique et culture "bis" ?
Autant je faisais la séparation quand j'étais jeune, autant l'écart s'est réduit quand j'ai vieilli. Il est arrivé un moment dans mon existence où j'ai vu que les deux éléments ont, non pas fusionné car ce sont des choses distinctes, mais où je me suis aperçu que le rock était porteur d'un intérêt philosophique. C'est d'ailleurs la deuxième explication au bouquin. En cours, une fois, alors que les grands garçons de S dormaient comme d'habitude au fond de la classe et que les nanas bavardaient entre elles, je leur ai passé un morceau rock. Je ne sais plus très bien de qui mais c'était un titre plutôt fort. (Rires)

Ça les a éveillés ?
Ça les a réveillés dans un premier temps. Il y a eu des regards du type : "Mais qu'est-ce qu'il nous fait ?" Et puis après j'ai commencé à expliquer, à décortiquer le morceau, à repasser certains fragments. Je ne sais plus si c'était "Stairway to Heaven" de Led Zeppelein ou "Ironic" d'Alanis Morissette. Toujours est-il que ça a réveillé et ensuite ça a éveillé certains élèves.

C'est un peu le slogan du livre…
Oui : "Le Rock réveille, la Philosophie éveille" ou l'inverse… Une fois cet exercice fait en classe, j'ai eu l'idée d'en faire un livre. J'ai creusé la piste et, ce qui est un peu l'objet du livre dans sa méthode, j'ai vu qu'on pouvait couvrir l'intégralité du programme de Terminales qui sont d'ailleurs les grandes notions de la Philosophie.


Il y a plusieurs chapitres dédiés à l'Art où tu poses vraiment la problématique de la Création en disant que le Rock est une vraie culture.
C'est vrai, la partie sur l'Art est l'occasion de parler du rock en tant que forme artistique. Ce livre, comme tout ouvrage de Philosophie, est sous-tendu par une thèse qui est que le Rock est un art mais je me refuse à faire une séparation entre art majeur et art mineur comme le faisait Gainsbourg. La distinction est très intéressante mais, pour moi, il n'y a pas d'art majeur et d'art mineur. Simplement dans tout Art il y a des œuvres majeures et des œuvres mineures. On dit bien que le peinture est un art mais il faut bien dire qu'à l'intérieur de cette discipline il y a des choses relativement insignifiantes, pas simplement chez les peintres du dimanche mais aussi chez les plus grands. Je sais qu'on peut discuter cette façon de schématiser mais pour moi il est un art car c'est une pratique qui répond aux grandes définitions que le Philosophie a posées sur l'Art.

Tu aurais un exemple ?
La théorie qu'Aristote développe sur l'Art.

La Catharsis ?
Oui, cette façon de se purger de ses mauvais émotions. C'est une des fonctions les plus notables du Rock.

Tu l'illustres avec Marilyn Manson ; comment sont venues ces associations ?
Pour Aristote il fallait que je parle de l'Art et de cette notion de catharsis. Ensuite je me suis posé cette question : "Qui représente le mieux la catharsis ?", cette résurgence de l'Inconscient qui essaie de se manifester avec l'idée de la Mort par derrière. Marylin Manson me paraissait l'exemple idéal par le fond et par la forme. Aristote fonde sa réflexion sur la tragédie antique, c'est-à-dire un art où le personnage (personare) porte un masque. Dans le Rock certains jouent des personnages, Marylin Manson en fait partie. Il y a aussi Bowie ou Kiss mais ça plus pour des raisons marketing. Chez eux, le maquillage constitue plus un produit dérivé (Rires). Il me fallait l'exemple d'un rocker qui joue un personnage pour que cela réponde effectivement à la fonction antique du théâtre. Sans entrer dans l'analyse musicologique, il y avait aussi des arrangements et une instrumentation, guitares saturées, basses mises à fond, voix grave puis aiguë, qui n'avaient que pour but de permettre de se défouler. La mise en œuvre musicale renvoyait à la nécessité du défoulement.


Dans tous les exemples que tu prends, "The End" ou "Stairway to Heaven", il y a d'une part le lexical mais aussi un effort pour voir comment il coïncide avec la musique…
Oui parce que dans le Rock c'est avant tout les sons qui nous mobilisent, surtout nous Français. Le Rock c'est, si on veut faire un parallèle, un peu comme la Poésie dans la mesure où celle-ci a mis en œuvre des moyens techniques pour renforcer les sentiments qu'on veut exprimer au moyen de rimes, de hiatus, de chiasmes, d'allitérations. Le Rock, de son côté, met en place ses propres techniques ; l'acoustique, la nature des sons de guitares et je crois que sur beaucoup des morceaux qui délivrent un message philosophique, l'arrangement musical est là pour le renforcer.

Que fais-tu, alors, des textes qui vont à l'encontre d'une composition ?
Il y a souvent des jeux de contrastes, oui. Il y a ce morceau de Bruce Springsteen, "I'm on Fire", le texte est très "chaud" très sexe. Le mec il en peut plus et, si je traduis rapidement, le type dit : "Hey petite fille, ton père est-il à la maison ? Est-ce que je peux venir ?" C'est très ambigu et la musique, en revanche, n'explose pas. Elle est certes rock, mais tout en retenue. Les cordes de la guitare sont étouffées avec la paume de la main, c'est le bord de la caisse claire qui est frappé, le son est donc beaucoup moins lourd avec des nappes de synthés qui apportent une certaine douceur et une voix qui, finalement, ne crie jamais alors que Springsteen a tendance à gueuler en fin de chanson.

Et quelle en est la raison selon toi ?
C'est de vouloir créer un effet de contraste mais, si le rocker veut en créer un, ça prouve aussi que l'instrumentation est mise au service d'un texte ; un peu comme un contre-exemple en somme.

Quand tu as choisi Cœur de Pirate pour illustrer le thème du non-dit, est-ce que t'es venue l'idée de contacter la chanteuse pour lui en parler ?
C'est sûr que j'aimerais bien la rencontrer (Rires). Non, ça ne m'est pas venu à l'esprit, ni elle ni d'autres d'ailleurs. Déjà je ne saurais pas comment les contacter, en plus comme c'est un travail sur l'oeuvre et non la personne je ne crois pas que ça en vaille la peine. Ça c'était au moment de l'écriture. Aujourd'hui, maintenant que le livre est sorti, ça serait bien pour moi que Béatrice lise la partie qui la concerne, que Jean-Louis Aubert regarde la partie sur Téléphone et Schopenhauer, que Mick Jagger jette un œil sur ce que je dis à propos de "Sympathy for the Devil". Ça m'intéresserait mais je ne me fais pas d'illusions car je crois qu'une "attitude rock" consisterait à dire par principe à prendre le contrepied de ce que j'ai écrit.

Je peux comprendre ça, oui. (Rires)
Je sais que la plupart d'entre eux, Jagger notamment, sont extrêmement cultivés, extrêmement intelligents. Ils ont un peu vieilli, se sont assagis. Ils n'auraient peut-être pas cette réaction.

En 69 certainement que oui.
Là c'est évident. Évidemment je n'irais pas demander à Johnny Rotten ce qu'il en pense car je risque le crachat. (Rires) Mais ça m'intéresserait d'avoir leur feedback, en effet. Ce serait une bonne idée d'interview croisée.

On peut essayer (Rires). Ça pose le problème de la Perception, de l'Interprétation aussi.
En même temps il y a des parties sur lesquelles je serais assez à l'aise quant à la justification car je m'appuie sur ce qu'ils ont pu dire. Bashung, sur "La Nuit je Mens", s'est exprimé sur le sens de cette chanson.

Je doute que Elvis Presley, par contre, ait lu Spinoza (Rires).
Il est trop tard pour lui demander (Rires). Par contre je sais que Jim Morrison dont je me sers pour expliquer le Complexe d'Oedipe a lu Freud. Il y a une théorie de Spinoza sur la liberté à laquelle je suis très attaché, qui est que ça n'est pas parce qu'on se sent libre qu'on l'est réellement car on ignore toujours les causes qui nous poussent à agir même si on a conscience de ce vers quoi on va. Dans le rock on trouve pas mal de choses : dans l'opéra-rock des Who, Tommy, quand il court sur la plage sans savoir vers quoi il y a un sentiment de liberté sans qu'il y ait une réalité de la liberté. J'avoue que j'ai choisi "Jailhouse Rock" parce que les Who étaient pris avec un autre philosophe (Rires). Ce morceau c'est l'histoire d'un concert qui se déroule en prison, toute le monde s'agite sans qu'on sache trop pourquoi, on se sent libre mais on oublie qu'on est en prison. Elvis n'est qu'un interprète d'ailleurs, il met juste en scène cette sensation de liberté par l'agitation.


Tu as mentionné Morrison, Tommy ou "Stairway to Heaven"…
C'est le prototype de chansons qui sont des cheminements. Ce dernier morceau n'a pas une structure classique, couplet/refrain, on est sur une succession d'étapes musicales, du linéaire et pas du cyclique. Le titre des Who c'est la juxtaposition de deux morceaux. Il y en a d'autres qui sont construits sur ce schéma, "Horses" de Patti Smith, "The End". On avance étape par étape dans la chanson comme on avance étape par étape dans la vie ou dans la quête de la vérité. Je mets "Stairway to Heaven" en relation avec la philosophie des Sceptiques, Pyrrhon notamment, et l'idée de la recherche de la vérité qui est un parcours étape par étape sans aucune idée du but, sans savoir où on va et si, au bout du compte, ou trouvera la Vérité. La mise en œuvre musicale est faite pour ça : il y a un narrateur qui cherche la Sagesse, qui dit que les mots ont souvent deux significations, qu'il y a deux chemins et qu'on ne sait pas lequel prendre. Bref c'est l'idée du Doute, du Scepticisme placée en opposition avec cette femme qui veut acheter une échelle qui l'emmènera au Paradis et qui, à mon sens, symbolise le Dogmatisme matérialiste. On trouve aussi le joueur de flûte, image du Sage, qui intervient pour donner des indices sur un possible chemin à prendre sans aucun certitude. Le Dogmatisme prétend posséder la Vérité sans forcément l'avoir, le Narrateur représente le scepticisme et le joueur de flûte un guide dont on n'est jamais absolument certain. On est dans une illustration du Scepticisme antique.

Il y a cette phrase, qui est presque une maxime : "Le joueur de flûte nous mènera à la Raison."
Oui… Et dans le Scepticisme la Raison c'est justement de renoncer à chercher la vérité car on ne la trouve pas et cela génère de la souffrance.

As-tu entendu parler de cette analyse de "Stairway to Heaven" comme était une invocation au Diable ?
Oui, il y aura toujours des interprétations biaisées. C'est certain qu'il y a du Mysticisme, ne serait-ce que dans leurs logos, mais est-ce que ça va jusqu'au Satanisme ? J'en sais rien. Il y a aussi cette légende sur cette partie du morceau qui, si on le passe à l'envers , est un appel au Diable. Les linguistes se sont même penchés sur la question et on ne sait pas. Mais, là encore, il y a deux pistes à prendre et ça renforce l'idée que cete chanson est là pour exprimer cette idée qu'on est dans le Doute. À partir du moment où on interprète, c'est qu'il y a un doute, non ? Je pense donc que tout ce qui entoure ce morceau entérine la notion de Scepticisme. C'est comme "Hotel California" des Eagles ; on n'aboutit pas à une Vérité absolue quant on se heurte à ses myriades d'interprétations : invocation à Satan, H.P., métaphore de l'état dans lequel on se trouve quand on est drogué, hôtel pour VIPs ou de passe…


Les exemples « rock » servent à étayer des notions de philo, mais jamais tu n'abordes les clichés "sex and drugs and rock & rol" qu'il véhicule comme si tu voulais le réhabiliter.
Parce que le Rock ça n'est pas que ça. Comme dans la Philosophie, il y a une multitude d'idées, de thématiques dont le sexe effectivement. J'en parle quand il faut en parler, je le fais un peu en cours quand c'est le moment de l'aborder. Il faut en parler car si on ne le fait jamais, les élèves auront suivi un cursus où on ne leur aura jamais parlé de sexe, sauf en 4° sur la reproduction. (Rires) Donc quand je parle des sucettes de Gainsbourg, forcément j'y fais allusion. La drogue, je l'aborde avec Foucault et Hendrix. On ne peut pas faire l'impasse sur ces thématiques mais elles ne se réduisent pas qu'à cela, à la drogue ou au Rock lui-même. Je voulais passer en revue l'ensemble de ses messages sur la vie, la société, le Moi, l'Inconscient, qui renvoie forcément au sexe d'ailleurs, sur le Bonheur, la Liberté…

Et l'as-tu vérifié dans ta pratique pédagogique ?
Absolument ! Dans l'enseignement de la philo tu dois prendre des exemples et il m'arrive d'en prendre qui soient empruntés au Rock. Le livre est sorti en juin, en fin d'année donc mais il m'est arrivé de le faire 3 ou 4 fois durant l'année. Faut pas abuser parce que sinon on ne parle que de Rock et il m'appartient d'aborder d'autres domaines. Peut-être à la rentrée y aura-t-il une demande mais je ne peux pas me contenter de ne puiser mes exemple que là-dedans.

Et l'Institution ?
Pour un prof, la vraie hiérarchie c'est l'Inspecteur. Le Proviseur ne te juge pas sur le plan pédagogique : il veut que tu sois à l'heure et que tu n'aies pas de problèmes avec tes élèves. Disons que si ma prochaine inspection tombe un jour où j'ai prévu ça, je n'aurais aucune raison de changer. Après il y a les retours des collègues, au lycée ou à l'extérieur. Je n'ai pas eu encore de remarques de qui que ce soit me disant que c'est une idée naze, que le Rock était une musique de dégénérés n'ayant rien à voir avec la Philo, ou que j'étais dans une entreprise démago. J'ai un collègue qui doit prendre sa retraite cette idée qui m'a dit que j'aurais dû citer Johnny. Je lui ai dit pourquoi je l'avais pas mentionné (Rires). Ça amène des discussions de ce genre mais de là à ce que le livre soit utilisé par les collègues en cours…

Ça n'est pas un manuel…
Tout à fait, mais si ça peut donner des idées d'exemples qui accrochent… Au fond c'est cela qu'on cherche, des exemples. Je ne prétends pas lancer une nouvelle méthodologie.


Tu as hésité entre plusieurs artistes pour certains thèmes ?
La difficulté n'a pas été de trouver des associations mais de choisir. J'arrive à environ 400 pages, il était temps de s'arrêter. Il y a 37 associations, pour les groupes phares il y a des manques. Je parle de Bowie à un moment donné mais c'est juste une mention. Il manque, comme titres phares, AC/DC, Aerosmith, Red Hot Chili Peppers, Bowie, Jonhhy Cash…

Il manque aussi des philosophes (Rires).
Oui, il y a pas Husserl, Saint Augustin, Plotin. Je dois admettre que Bowie c'est une lacune.

En même temps il n'est pas facile à manier.
C'est sûr. Il arrive un moment où tu ne peux plus toucher au système. Il y avait des exigences éditoriales aussi : des trucs assez récents que les jeunes écoutent, comme BB Brunes.

C'était assez hors normes comme choix.
Oui, je connaissais leur chanson "Nicotine Love" qui traite de la violation de l'Interdit. On a une idée qui peut être philosophique et soit je choisissais un philosophe qui faisait l'apologie de la transgression, soi je m'en servais comme un contre-exemple pour illustrer une philosophie qui disait, au contraire, qu'il fallait se plier à l'Autorité. J'ai trouvé assez rigolo de faire ce contraste avec Thomas d'Aquin. Vu ainsi, ça peut laisser sceptique mais j'explique d'une façon assez simple je crois que BB Brunes fait un éloge de la désobéissance, à l'opposé de l'argumentation thomiste de la Morale et du Devoir.

Comment, en dehors du Rock, sélectionne-t-on ses exemples ?
En Philosophie, on prend en général les plus simples. Si on veut évoquer une table, on choisit une table, si on doit traiter de la couleur rouge, on prend la couleur rouge. Déjà prendre l'exemple d'une œuvre d'art devient un peu plus complexe ; il faut vraiment que ce soit justifié.

Et tu en as qui vont à l'envers de certaines théories.
Oui, il faut tout prendre en compte. J'ai une démarche assez classique : c'est un livre de Philosophie qui en explique les plus grandes notions et qui, au final, s'appuie sur des exemples. Ma spécificité est que tout est emprunté au domaine du Rock.

Un choix comme "Cargo de Nuit" pour parler de la théorie de Marx sur la lutte des classes, c'était presque trop facile car c'est une notion qui n'est pas métaphysique comme le serait le rapport entre les Pixies et Descartes.
Sans doute, oui. En plus le clip renvoie à une réalité concrète, sociale, politique. On la comprend plus vite car on peut la vivre, ou en tous sac on peut la voir en œuvre dans l'actualité ou dans les cours d'Histoire. Après ça ne veut pas dire qu'on tombe facilement sur un morceau car des chansons sur la lutte des classes, il y en a quelques unes dans le registre du Métal, il y a "Working Class Hero" de Lennon…

Clash…
Oui d'ailleurs Clash manque aussi. "Cargo de Nuit" ça me semblait bien car il y a le clip qui renforce cette idée de la mécanisation du corps que Marx développe en disant que l'ouvrier à force de travailler sur une machine en devient une dans son comportement. Marx parle de façon très rapide de la frustration sexuelle en disant que son seul loisir c'est la reproduction dans son sens animal. Dans le clip c'est pas mal vu car on est dans le monde des ouvriers marins, donc avec des périodes durant lesquelles on est complètement coupé du monde et de la femme ce qui accentue ce sentiment de frustration. En même temps, choisi cette chanson c'était aussi une façon de dire qu'il y a une filiation entre une chanson, un film de Fassbinder et le livre de Genet, Querelle de Brest. Après effectivement, quand on touche à la Métaphysique, c'est plus complexe car l'interprétation est moins évidente à construire. Il est plus facile d'expliquer Marx par "Cargo de Nuit" que le cogito cartésien par "Where is my Mind ?" !

Il est souvent cité.
Oui, dans les radios que j'ai faites et aussi parce que c'est le premier et que c'est celui qui a été envoyé par l'attaché de presse aux média avec Nirvana. Je crois que tout le monde reconnaît que ça fonctionne bien alors qu'on était sur un terrain un peu glissant.

Nirvana c'était assez simple au fond.
Oui, tout à fait. Le Moi est haïssable est assez évident et limpide. Le plus dur ça a été Descartes et les Pixies.


Quelle a été la chronologie de l'écriture du bouquin ?
Ce que j'ai écrit en premier et proposé à l'éditeur c'était Pascal et Nirvana. L'éditeur a dit OK. J'en avais écrit un autre dont personne ne parle, Bobby McFerrin, un reggae a cappella pour illustrer la notion de Bonheur. C'est vraiment sur Nirvana que ça s'est décidé. McFerrin est à la fin du livre et personne ne le mentionne alors que Gainsbourg est le dernier et tout le monde en parle ! Tu vas me dire c'est les sucettes (Rires). Mais c'est la version pop-rock qu'il chante pas celle de France Gall.

Un manuel de philo serait agencé de la même manière ?
Très rapidement, avant que je ne continue à écrire , s'est posée la question du sommaire. On s'est dit qu'on allait garder la structure des Terminales : les cinq grands chapitres et dans chacun des notions. C'est l'ordre d'exposition dans les programmes officiels mais ils précisent aussi qu'on peut très bien les aborder dans n'importe quel sens. Comme dans les manuels courants c'est cet ordre-là, j'ai décidé de le suivre. Ça permettait aux élèves et aux anciens élèves d'avoir des repères et à ceux qui n'avaient pas fait de philo de pouvoir s'y retrouver et qu'il se disent que, même si ils n'avaient pas fait de philo, ils pouvaient avoir un contact avec.

Te vois-tu comme un vulgarisateur ?
C'est très difficile de le faire. On peut trouver des portes d'entrée qui facilitent l'accès mais, une fois dedans, c'est pas évident de simplifier. C'est un peu comme les Maths, on ne simplifie pas le raisonnement mathématique, il reste ce qu'il est.

Il y a un autre bouquin qui est assez populaire sur un registre voisin, c'est L'Antimanuel de Philosophie de Michel Onfray.
C'est le même éditeur que moi. C'est là que c'est bien vu car c'est le programme de Terminales ; mais séries technologiques. Il y avait donc un gros risque mais les Littéraires ou les adultes le lisent. Il est très rôle, très provocateur. C'est vraiment le best seller philosophique.

Hormis Marilyn Manson et son "Rock is Dead", il n'y a aucun chapitre consacré aux rockers qui parlent du Rock.
C'est peut-être un manque tu as raison car ça aurait été une véritable attitude philosophique. La Philosophie parle d'elle-même et le Rock parle du Rock : il y a donc une attitude commune. Il manque peut-être une réflexion sur cette matière de connaissance.

Pourtant à un moment tu répertories un maximum de titres où il y a le mot "rock and roll"…
C'était pour m'amuser et ça n'avait pas de valeur exhaustive.C'était un exercice de style et aucunement une réflexion. On pourrait presque faire un quizz à partir de ça (Rires). C'est vrai que le Rock parle beaucoup de lui-même, c'est une tendance dans l'Art, le peintre qui se représente…

Une mise en abîme…
Voilà, le tableau, dans le tableau, dans le tableau. Et, ce tableau étant toujours le même, on ne fait que parler de soi. On ne peut pas faire une Mathématique des Mathématiques mais on peut faire une Sociologie de la Sociologie. Ça serait rigolo de faire une Psychanalyse de la Psychanalyse aussi...

Fatalement tu es plus proche de certains philosophes ; as-tu essayé de rester neutre ?
J'ai essayé de garder une attitude de professeur sans faire ressortir mes préférences. J'ai fait une thèse de Doctorat sur Kierkegaard mais ça n'a pas influé sur mes choix éditoriaux.

Tu as peut-être aussi choisi des morceaux ou des artistes dont tu n'étais pas particulièrement fan…
Pour des raisons de composition de sommaires, de représentation des genres il y a effectivement des titres auxquels je ne tiens pas réellement.

A contrario tu regrettes peut-être en avoir omis…
Il y a "Californication" des Red Hot Chili Peppers pour illustrer l'idée de l'Orgueil, de la Vanité, du Narcissisme. Mais je l'avais traitée un peu avec Nirvana ou Téléphone. J'ai fait quelques vidéos sur des parties du livre mais si j'ai le temps je vais commencer à en mettre sur des références qui n'y sont pas. Il y a une chanson que j'aime beaucoup même si la chanteuse n'est pas rock c'est "Sober" de Pink. On pense ce qu'on veut d'elle mais ce qu'elle dit sur la Subjectivité peut, je crois, être mis en relation avec Husserl.

Une suite est à envisager ?
On a d'autres idées avec l'éditeur. Il faut attendre un ou deux ans pour voir. Il y aurait matière, ça c'est évident. Là je m'amuse à faire des vidéos sur youtube. (Rires)

http://www.francismetivier.com/
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