
Baroness
Red Album
Produit par Philip Cope
1- Rays On Pinion / 2- The Birthing / 3- Isak / 4- Waiting Wintry Wind / 5- Cockroach En Fleur / 6- Wanderlust / 7- Aleph / 8- Teeth Of Cogwheel / 9- O'Appalachia / 10- Grad / 11- Untitled


Tout  commence avec un contact visuel fascinant, celui de deux êtres  mythologiques étendus dans un champ de coquelicots carmins, le regard  vide fixant l’infini avec lascivité et méfiance. Leur visage surmonté  d’une opulente chevelure dégage une féminité inquiétante, tandis que  leur corps et leurs bras musculeux exhalent une troublante virilité.  Ainsi s’approche-t-on de Baroness, dont l’aspect extérieur se trouve  marqué au fer rouge (c’est le cas de le dire) par les illustrations très  typées art-nouveau de John Baizley, chanteur, guitariste et maître à  penser de l’autre gros phénomène de Savannah à avoir vu le jour après le  grand frère Kylesa. Ainsi aborde-t-on le Red Album, première  déclaration d’un groupe qui n’en finit pas de surprendre.
S’il  fallait résumer Baroness en un mot, ce serait “éclectisme”. Quand on a  l’habitude d’écouter les éternelles bravades des métalleux, leurs riffs  abyssaux superposables, leur distorsion caricaturale ou leur jeu de  batterie digne d'une compétition sportive, la découverte de cet album rouge fait un bien fou.  On y retrouve toute l’ouverture d’esprit d’un groupe qui prend un malin  plaisir à partir dans les directions les plus inattendues. Bien sûr, il  persiste des fondamentaux, comme le son principal des guitares qui se  fond dans le moule sludge géorgien popularisé par Mastodon, le chant  bourru, monotonal et braillard de Baizley qui possède une importance  très secondaire au sein d’un canevas essentiellement instrumental, et la  batterie qui apparaît très atypique, très subtile, si peu en accord  avec les canons métalliques. Mais cette présentation demeure hautement  incomplète, car, une fois encore, Baroness n’arpente jamais deux fois le  même chemin, ici en jouant à peine avec des décalage de rythme, là en  baissant le volume pour développer des trésors d’harmonie délicate. On  passe de la contemplation hébétée à la charge guerrière écrasante sans  s’en être rendu compte, et c’est ainsi qu’un morceau comme "Rays on  Pinion" développe des atours proprement fabuleux avec son introduction  en crescendo rutilant, son groove implacable puis ses riffs herculéens  transportant les hurlements sauvages de l’ours barbu de Savannah. C’est  doux puis violent, beau puis terrible, et pourtant tout coule avec une  improbable évidence. Les morceaux sont quasiment tous enchaînés les uns  aux autres et créent une ambiance travaillée qui nous plonge dans un  univers chatoyant et ensorceleur. Autre particularité de Baroness :  contrairement à la quasi totalité de ce qui se fait sur la planète  metal, le groupe n’hésite pas à utiliser des sons de guitares assez  aigus. Cela rend un titre comme "The Birthing" étonnamment aérien, et ce  malgré les riffs stoners percuttants qui introduisent et concluent le  titre. 
Pas  vraiment progressif malgré une relative complexité de composition, le  style de la baronne emprunte à beaucoup de genres différents, puisant  presqu’autant ses idées chez le Black Sabbath d’Osbourne que chez le  Pink Floyd de Barrett, ici donnant naissance à un superbe solo de  batterie surnageant au sein de larsens mystérieux ("Wailing Wintry  Wind"), là développant des teintes acoustiques presque folk ("Cockroach  en Fleur") avant de relancer la machine infernale à riffs crasseux qui  tabasse sans ménager sa peine pour lorgner en fin de course vers des  teintes 70’s soyeuses ("Wanderlust", incroyable). On pourrait continuer  comme ça à l’infini avec le reste du disque, alors terminons ce  plaidoyer pour le Red Album par un petit comparatif avec le Blue Record  qui lui fait suite et qui, clairement, marque une sorte d’impasse  stylistique. Si on part du principe que la production d’un disque  consiste à donner forme à des chansons, de leur mise sur bande aux  conseils quant à leur structure et à leurs arrangements, alors clairement le  disque bleu souffre de carences sur les deux tableaux. Doté d’une prise  de son miteuse, avec une batterie inaudible et une voix gutturale  omniprésente dans ses imperfections, la galette se fourvoie trop souvent  dans des compositions à tiroir inutilement compliquées, n’exploitant  ses bonnes idées que de façon parcellaire et frustrante : un véritable  gâchis quand on appréhende l’immense talent de John Baizley et de sa  bande, même si, bien sûr, le disque reste hautement recommandable. A  l’inverse, l’album rouge, produit par le robuste Phillip Cope de Kylesa, met parfaitement en valeur les singularités stylistiques de Baroness.
Alors  que vient tout juste d’arriver le double Yellow and Green qui marque encore  un tournant majeur dans la discographie des géorgiens (très bientôt  analysé en ces pages), on ne peut que vous conseiller de vous frotter  sans aucune retenue à ce Red Album qui, malgré quelques erreurs de  jeunesse (et notamment l’atonalité et la sous-exploitation assez  effarante des parties chantées), reste un magnifique disque de rock  ciselé avec minutie et passion, mi-ange mi-démon, et le premier coup de  force d'une formation qui sera bientôt amenée à jouer un rôle de  tout premier plan sur la scène rock internationale. Et si vous en  doutez, nous en tout cas, on est prêt à prendre les paris.























