
Amplifier
The Octopus
Produit par
1- The Runner / 2- Minion's Song / 3- Interglacial Spell / 4- The Wave / 5- The Octopus / 6- Planet Of Insects / 7- White Horses At Sea // Utopian Daydream / 8- Trading Dark Matter On The Stock Exchange / 1- The Sick Rose / 2- Interstellar / 3- The Emperor / 4- Golden Ratio / 5- Fall Of The Empire / 6- Bloodtest / 7- Oscar Night // Embryo / 8- Forever And More


Commençons cette diatribe en balançant bille en tête une énormité : de nos jours, les  albums ambitieux se font de plus en plus rares. Pas dans le mauvais sens  du terme, mais plutôt dans le fait de se fixer de grands objectifs et  de tout faire pour les transcender. Sans blague, à quand remonte la  dernière fois où un album vous a réellement impressionné, que ce soit  par sa force de frappe, par la profondeur de ses mélodies, par le liant  et l'évidence de ses enchaînements ou par son innovation sonore ? Oui,  vous pouvez commencer à vous creuser les méninges. N'oubliez quand même  pas de tenir compte de la notion de gigantisme apportée par un double  album, rajoutez (si cela vous chante) la recherche d'un concept  thématique global, et finissez éventuellement par une radicalisation de  la distribution du produit en question. Rares, les albums ambitieux ? On  est encore loin du compte. Et pourtant, The Octopus est de cette trempe.
On avait quitté Amplifier en 2006 sur une très bonne impression. Avec Insider,  le combo de Manchester avait tourné assez nettement le dos au prog-rock  paresseux et moyennement inspiré de ses débuts en allant explorer de  nouveaux territoires sonores, délivrant un album compact et étouffant  qui nous entraînait à la limite de la transe décibellique. Pour autant,  on sentait que ce deuxième opus n'était qu'un brouillon encore hésitant,  un fatras d'idées soniques balancées en vrac pour jouir sans limite de  ce nouveau son colossal minutieusement façonné par Sel Balamir. Si  certains titres se révélaient d'une fulgurance rare ("Insider", "O  Fortuna"), on notait aussi des hésitations, des prises de têtes  rythmiques artificielles, des fautes mélodiques qui laissaient un petit  arrière goût d'inachevé. Forcément, The Octopus efface l'ardoise  et reprend les choses depuis le début : tout en thésaurisant sans aucun  scrupule sur ses murs de guitares implacables, ultra-graves,  ultra-saturés, ultra-réverbérisés, Amplifier affine le propos, va  beaucoup plus vite à l'essentiel et cherche avant tout l'évidence  d'intention, mais il passe également par une phase de délayage et  d'exploration de toutes ses possibilités, faisant ici preuve d'un  éventail de subtilité assez surprenant. C'est ce qui fait de ce double  album de plus de 2 heures (!) un fantastique voyage sonore, long certes,  mais jamais ennuyeux, et souvent parfaitement génial.
Passons  sur le concept du poulpe : le frontman chevelu a beau se répandre avec  passion sur le sujet par interviews interposées, on n'y pige toujours  que dalle. Passons aussi sur le mode de présentation de l'engin, de  l'auto-production à l'auto-distribution en passant par l'auto-gestion  (Sel Balamir allant lui-même jusqu'à prendre les commandes d'album par  e-mail), c'est courageux de la part des trois hommes, un peu barge  aussi, mais ça n'est finalement pas le fond du propos. De prime abord, The Octopus,  bien que plus long et plus alambiqué, se révèle étonnamment plus  accessible que ses prédécesseurs. Cette impression est bien sûr  sous-tendue par des morceaux d'emblée plus limpides, plus directs, comme  ce "Minion's Song" débuté sur un simple piano-voix et se finissant en  apothéose, emporté par une spirale de chœurs altiers. A noter, sur le  précédent "The Runner", des bruitages façonnés comme un hommage au  "On The Run" de Pink Floyd. Les talents pop d'Amplifier  éclatent ensuite facilement avec "The Wave", mêlant avec intelligence  puissance de l'instrumentation et clarté du chant, alors que le  précédent "Interglacial Spell" impose sans effort son allure martiale  sur fond de grosses guitares pachydermiques, de batterie épileptique et  de cuivres altiers. Cette brillante introduction n'est pourtant qu'un  simple apéritif, car c'est après que l'album commence à prendre  définitivement son envol. "The Octopus" se révèle à ce stade absolument  parfait, mélangeant allègrement ambiance irréelle et trip vocal  halluciné avec ses cordes électriques flottantes et ses coups de boutoir de caisse : une perle comme on en voit  rarement. Sans rentrer dans les détails du reste de ce premier disque,  on signalera que le niveau ne baisse pas mais qu'Amplifier laisse  ensuite parler sa fibre progressive, avec des morceaux plus longs et  plus nuancés qui restent dans la veine de ce que réalise actuellement  Porcupine Tree. Comme quoi, on ne saurait se renier totalement.
Mais  il y a plus. Car ce qui caractérise le mieux le trio mancunien, c'est  une signature sonore infalsifiable, cet empilement de guitares lourdes  comme du plomb qui résonnent dans les boîtes crâniennes jusqu'à  l'obsession la plus totale, et la deuxième galette de la pieuvre met  brillamment en valeur cet aspect. Sur celle-ci, Amplifier renoue avec la  force primitive d'Insider et laisse parler la poudre sans  vergogne, ressuscitant un son massif et enveloppant qui nous baigne dans  un psychédélisme assourdissant. Là-dessus, il n'y a plus qu'à ajouter  des motifs opioïdes dans une veine orientale ("The Sick Rose", "Golden  Ratio") ou à développer une rythmique catchy à souhait ("The Emperor")  pour toucher au but. Sur ces titres, le groupe démontre des talents  mélodiques insoupçonnés sans rien sacrifier sur l'autel du  jusqu'au-boutisme sonore, et se permet même de pulvériser allègrement  tout ce qu'il avait pu réaliser par le passé. Plus loin, la basse se  fait un plaisir de répéter à l'envie des motifs obsédants propres à nous  décoller le cortex ("Interstellar"), et le trio sait également jouer  sur des standards sabbathiens pour créer des ambiances âcres et  irrespirables ("Fall Of The Empire", d'ailleurs plus proche d'un Kyuss  sous Valium). Chaque titre possède sa propre personnalité, entre voyage  hallucinogène au ralenti ("Bloodtest"), balade acoustique déglinguée  ("Oscar Night") ou cauchemar sonore en apesanteur ("Embryo"). Le final,  épatant, laisse la réverb ouverte au maximum et emporte l'album dans une  course frénétique avant d'enfoncer le tout avec la délicatesse d'un  blindé de l'armée rouge sur des refrains matraqués à grand renforts de  décibels.
Bien sûr, Amplifier ne possède pas de prime abord un  style facile à appréhender. Les deux ou trois premiers passages de  platine de The Octopus, s'ils ne rebutent pas complètement, ne  s'avèrent pas aussi impressionnants que cela. Puis, petit à petit, les  lignes de chants commencent à captiver sérieusement, les riffs dévoilent  lentement leur majesté, la rigueur technique des instrumentistes éclate  au grand jour, on se surprend à monter le son et à se laisser  envelopper dans cette chape métallique implacable, et on se retrouve à  faire tourner ce double album en boucle sans éprouver la moindre  lassitude. Le poulpe s'érige comme un monstre du rock lourd, atypique  par la démesure de son ossature, effrayant par son traitement sonore  mais colossal dans son rendu final. The Octopus est l'un des  derniers représentants d'une espèce d'albums en voie de disparition, de  ces OVNI gigantesques qui ont fait la gloire des années 70, et on ne  peut que féliciter Sel Balamir et ses comparses d'avoir persévéré dans  un projet aussi ambitieux. Parce qu'à l'heure actuelle, aucune maison de  disque n'aurait eu les couilles de soutenir un tel objet, et il est  donc heureux que les trois hommes aient choisi la voie d'une totale  indépendance. L'année 2011 démarre fort, c'est le moins qu'on puisse  dire, et ce poulpe-là va vraiment être difficile à surpasser.
























