Gary Clark Jr.
This Land
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1- This Land [Explicit] / 2- What About Us / 3- I Got My Eyes on You (Locked & Loaded) / 4- I Walk Alone / 5- Feelin' Like a Million / 6- Gotta Get Into Something / 7- Got to Get Up / 8- Feed the Babies / 9- Pearl Cadillac / 10- When I'm Gone / 11- The Guitar Man / 12- Low Down Rolling Stone / 13- The Governor / 14- Don't Wait Til Tomorrow / 15- Dirty Dishes Blues / 16- Highway 71 (Bonus Track) / 17- Did Dat (Bonus Track)
The Story of Sonny Boy Slim, son précédent album nous avait clairement marqué et plu par la fraîcheur d'un blues un peu hybride, brassant de multiples influences musicales et culturelles. Les ex-amoureux (période pré Danger Mouse) des Black Keys, dont je fais partie, avaient retrouvé chez le Texan ce blues ténébreux et un poil cradingue que ne proposent plus nos 2 gugusses d'Akron.
C'est de façon assez discrète mais attendue qu'arrive le 4ème album de Gary Clark Jr, sobrement intitulé This Land.
Le disque démarre tambour battant, sans fioritures ni préliminaires : "This Land" est une de ces chansons immédiates, dotées d'un groove rond et brûlant avec un propos qui l'est tout autant, éructant à l'administration Trump un sauvage "I remember when you used to tell me, 'Nigga run, nigga run, Go back where you come from, Fuck you, I'm America’s son, This is where I come from, This land is mine"
Dommage que la première écoute du reste de l'album soit si frustrante ; elle a tendance à ne laisser transparaître que les défauts du disque. Les bluesmen, qu'ils soient modernes ou traditionnels sont d'éminents musiciens, cela ne fait aucun doute. Mais ils peuvent aussi tomber dans l'écueil de vouloir trop en faire avec leur instrument, empêchant le public le moins initié d'apprécier toute la subtilité et tous les contours de leur oeuvre. C'est peu ou proue la première impression du disque : on ne remarque que les soli de guitares, très puissants et parfaitement exécutés mais aussi mixés très en avant et manquant donc de subtilité, voire de feeling, ce qui est quand même le comble pour un genre dont le feeling est une des composantes essentiels.
En creusant un peu au fil des écoutes, on tombe sur des morceaux plus variés qu'il n'y parait. "I got my eyes on you" est une vraie réussite, entre l'orgue hammond et la voix très soul et tout en falsetto de Gary Clark Jr, difficile de ne pas se laisser embarquer, même si c'est ironiquement l'un des titres où la guitare est la moins mise en avant. On passera sous silence la tentative reggae ratée (pléonasme) de "Feelin' like a Million", totalement insupportable malgré les riffs acérés du refrain. Le genre de morceau qui peut tout à fait pousser à stopper l'album à cet instant précis. En réalité, le problème de This Land réside dans cette abondance de styles, et de chansons : 15 titres originaux (plus 2 bonus) c'est beaucoup trop ! Malgré tous les efforts du bonhomme pour nous tenir en haleine d'un bout à l'autre de l'album, il est normal qu'on s'y perde, à plus forte raison quand son auteur nous propose quantité d'ambiances très différentes.
Alors oui, Gary Clark Jr est un rassembleur, une passerelle parfaite entre blues moderne, hip-hop intelligent, soul racée et pop fiévreuse, mais c'est sans doute un pêché d'orgueil que de vouloir nous en mettre plein la vue et de bouffer à tous les râteliers en même temps. Et la qualité de certains titres ne rend malheureusement pas l'album plus court. De bonnes idées, il y en a la pelle : le groove cuivré de "Feed the babies" est imparable, l'ambiance mariachi de "Got to get up" l'est tout autant, même si la chanson aurait gagnée ) être raccourcie. Gary Clark sait nous pondre également des power ballades dans la plus pure tradition Princienne. Qu'on trouve cela trop sucré ou pas, "Pearl Cadillac" fonctionne parfaitement et possède ce côté "Bande originale de film 80's" très efficace.
Pour le reste, et bien c'est à peu près tout....alors oui, on a droit à un morceau un peu plus énervé, presque punk-rock sur "Gotta get into something" mais la chanson tourne vite en rond et tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. Si on écoute le Texan c'est pour qu'il nous délivre son garage-blues embrumé et habité, pas pour qu'il nous gratifie de power chords grattés à toute vitesse.
4 ou 5 titres réussis sur une oeuvre qui en comprend 15 c'est peu. Et les énormes défauts ne masquent en rien les quelques fulgurances de l'artiste. Alors oui, on songe à plein d'influences, notamment Kravitz sur "What about us", mais hélas période auto-parodique. On perçoit aussi l'ombre de Keziah Jones qui plane par quelques rares moments, dans le côté brut et sauvage de la guitare, mais pas suffisamment pour nous faire perdre totalement pied.
Après plusieurs écoutes, c'est même le côté pop un peu facile et feignante qui ressort, sur les très convenues "The Guitar Man" et "When I'm Gone" notamment.
En résumé, il y a trop de choix disparates et trop de matière pour que le résultat soit franchement inoubliable. L'album aurait tellement gagné à être amputé de 5 ou 6 morceaux qu'on ne peut que rester sur sa faim face à autant de remplissage. On attendait un album hautement enflammé de la part du Texan et nous nous retrouvons seulement avec un léger feu de paille, certes aguicheur mais s'éteignant à la moindre goutte de pluie.
Dommage de la part d'un artiste dont attend légitimement qu'il prenne la place de chantre du "blues-garage graisseux" laissée vacante par les Black Keys. Et ça n'est pas leur dernier titre, lâché un peu à la surprise générale qui nous rassurera quant à leur retour sur ce plan là...