
Pink Floyd
The Division Bell
Produit par Bob Ezrin, David Gilmour
1- Cluster One / 2- What Do You Want from Me? / 3- Poles Apart / 4- Marooned / 5- A Great Day for Freedom / 6- Wearing the Inside Out / 7- Take It Back / 8- Coming Back to Life / 9- Keep Talking / 10- Lost for Words / 11- High Hopes


Il est toujours si facile de tirer sur une ambulance... Néanmoins, la  remise à plat de quelques acquis du passé s'avère souvent utile pour  ré-évaluer une œuvre à sa juste valeur. Et justement, la récente  réédition remasterisée de l'intégrale studio du Floyd nous donne  l'opportunité de revenir également sur ses albums mineurs, histoire de  vérifier notamment si, presque vingt ans plus tard, les critiques  désastreuses qui ont accueilli The Division Bell étaient réellement fondées.
La  réponse, au vu de la note ci-dessus, est bien évidemment oui, et  pourtant on sent que le trio, s'il est passé à côté de son sujet, aurait  pu finir sa carrière sur une impression favorable. L'idée de  réinstaurer la démocratie au sein du groupe, de laisser à nouveau parler  le jam, de rendre leur droit de parole à Rick Wright et Nick Mason (et  même à Guy Pratt, le remplaçant officieux de Roger Waters à la basse)  était probablement la meilleure solution pour espérer retrouver le  lustre d'antan. Tout a été fait pour que le projet se déroule au mieux :  le Floyd a obtenu du temps (une bonne année), de l'argent et surtout de  la sérénité : Waters a perdu son procès à l'époque tumultueuse de A Momentary Lapse Of Reason,  et les trois survivants ont pu en toute quiétude jouer et élaborer  jusqu'à 65 démos parmi lesquelles ils ont eu le loisir de développer un  album lors d'un séjour reposant à Astoria, le bateau-studio  d'enregistrement de David Gilmour. Mieux : Rick Wright a enfin retrouvé  un lead vocal sur "Wearing The Inside Out", sa première composition et  participation chantée à l’œuvre du groupe depuis The Dark Side Of The Moon.  On sent ici une volonté claire de renouer avec un Floyd en tant  qu'entité collective, celle qui a réussi à accoucher de ses plus belles  fresques.
Sauf qu'il ne faut pas se voiler la face : tout n'est  pas forcément qu'une question de bonne volonté dans ce travail. La  sortie de The Division Bell promettait surtout au Floyd une  tournée mondiale démesurée qui, dans le cas où elle connaîtrait autant  de succès que la précédente (ce qui fut bien le cas), assurerait à ses  membres un extraordinaire matelas de dollars. Peut-on vraiment espérer  créer un chef d’œuvre lorsqu'autant de considérations financières  entrent en jeu ? De plus, Pink Floyd a commis deux erreurs monumentales  dans la conception même de ce disque. La première est d'avoir voulu  satisfaire la base commerciale du groupe en versant de nouveau dans le  concept-album (autour de la communication) alors que le champion du  genre, Roger Waters, était définitivement hors du coup. Or, ce n'est pas  nouveau, ni Gilmour, ni Wright, ni Mason ne sont des songwriters : ce  sont de bons musiciens, certes, mais certainement pas des poètes ni des  paroliers. Gilmour fut donc obligé de faire appel à sa compagne Polly  Samson pour accoucher de textes corrects, mais très clairement, le  résultat n'est pas à la hauteur de l’expérience watersienne dans le  domaine. Autre bévue éléphantesque, celle d'avoir voulu coller à un  certain modernisme (sic) en entraînant le Floyd dans un stadium-rock  impersonnel qui a eu de plus le culot de plagier U2 sans vergogne : un  comble quand on sait qu'en 1994, la bande à Bono se trouvait déjà bien  éloignée de ses triomphes de la décennie passée. Alors que les années 90  étaient placées sous le signe du rock alternatif et que la Grande  Bretagne s'éveillait doucement à la Brit Pop, Pink Floyd faisait preuve  d'un anachronisme navrant en allant singer les chantres du stadium  eighties. Paradoxe : le groupe était auparavant admiré pour son  avant-gardisme, le voilà désormais devenu ringard. La honte.
C'est donc une frustrante ambivalence qui accompagne l'auditeur tout au long de l'écoute de The Division Bell,  entre belles intentions évidentes et cruel manque de discernement dans  la marche à suivre. On ressent de temps à autres des éclairs de génie  surgis du passé (les instrumentaux "Marooned" et surtout "Cluster One",  quoique pêchant clairement par manque d'envergure), on frissonne parfois  devant des compositions de bon aloi ("What Do You Want From Me", très  inspiré par Dark Side, ou encore "High Hopes", l'une des rares  bonnes mélodies de l'album et désormais l'un des morceaux les plus  radiodiffusés du Floyd) et on salue le retour à une forme on ne peut  plus correcte de Rick Wright ("Wearing The Inside Out" et ses  enchevêtrements intelligents de guitare, saxo et piano). Mais rien  n'apparait transcendant, rien ne suscite l'enthousiasme plein et entier.  Pire, on a parfois l'impression que les musiciens se côtoient sans se  voir et qu'il n'y a pas de communication dans leurs lignes  instrumentales, exemple typique avec le poussif "Keep Talking" dont les  soli introductifs de Gilmour n'ont strictement aucun intérêt dans  l'édification du titre. Ce morceau est également révélateur d'un manque  de fondements : jamais les lignes de basses ne parviennent à captiver  réellement, jamais le socle mélodique n'arrive à convaincre. C'est  clairement face à un échec de cette trempe que l'on se rend compte à  quel point Roger Waters était indispensable au Floyd en ce sens qu'il  parvenait à édifier des structures solides sur lesquelles le talent des  autres n'avait plus qu'à resplendir. Compte tenu de cette carence, on  préfère ne pas trop s'étendre sur la poignée de titres franchement  médiocres qui descendent en flèche le semblant d'intérêt que le disque  pourrait susciter (l'américano-country "Poles Appart", le plagiat de U2  "Take It Back" et les rengaines plan plan "A Great Day For Freedom",  "Coming Back To Life" et "Lost For Words").
Mais s'il faut au  moins reconnaître un mérite à David Gilmour, c'est celui d'avoir arrêté  les frais ultérieurement en délaissant le Floyd pour sa carrière solo.  Car si The Division Bell représente un cinglant échec artistique,  l'album a pourtant rencontré un succès incroyable dans les bacs en  s'écoulant à près de 13 millions de copies. Si on y ajoute les cascades de dollars récupérées lors de la tournée Pulse, n'importe quel  type un tant soit peu intelligent aurait poursuivi l'aventure  discographique de Pink Floyd pour traire encore un peu plus cette poule  aux œufs d'or. Voilà un méfait que l'on ne pourra pas reprocher à  Gilmour, élément qui tend à nous faire penser que, derrière ce masque  mercantile assez débectant, il devait tout de même exister un semblant  d'espoir de retrouver le temps perdu...
Le dernier point à soulever concerne les fameuses sessions d'enregistrement d'Astoria au cours desquelles un album instrumental ambient entier a été enregistré. Personne ne l'a jamais écouté, mais le disque est là, quelque part, issu de jams collectifs commis par un Floyd qui tentait alors de recréer son alchimie. La seule question qui se pose est : pourquoi ce disque n'a-t-il pas vu le jour ? Etait-il trop mauvais ? Ou bien, soyons fou, était-il trop atypique, trop expérimental, trop anti-commercial ? Bref, en un mot, était-il trop floydien ?























