Guru Guru

Pour le béotien qui souhaiterait s’initier, l’appellation Krautrock pourrait rebuter tant elle comporte son lot de mystères et d’imprécisions. Même si nous nous mettons d’accord pour réserver ce sobriquet à la seule scène expérimentale allemande des 70’s (et non pour catégoriser l’ensemble du rock allemand ni même le seul rock progressif germanique), nous restons confrontés à une véritable hétérogénéité stylistique. S’y côtoient des précurseurs de l’ambient et des musiques électroniques (Tangerine Dream, Popol Vuh, Ash Ra Tempel), des expérimentaux (Faust, Neu!, Floh de Cologne), des amateurs de jazz-rock (Embryo), des hérauts du psychédélisme débridé (Amon Düül II, Can – qui est un peu au carrefour de tout cela). C’est dans cette dernière catégorie qu’il faudrait ranger Guru Guru, trio apparu en 1968 dans les sillons du free-jazz et du rock psychédélique anglo-saxon, deux genres musicaux en odeur de sainteté dans la jeunesse d’Allemagne de l’Ouest. 

Guru Guru concentre toutes les caractéristiques socio-culturelles de la scène Krautock : engagement à l’extrême-gauche du spectre politique, goût pour les performances scéniques relevées et typées jams, vie en communauté, consommation intense de psychotropes. Autant d’attributs qui rattachent la formation au psychédélisme, mais Guru Guru n’a de power-trio que la forme : la liberté revendiquée sur le plan des mœurs et des institutions se retrouve sur le plan esthétique au point de produire une musique improbable – un UFO, qui survole le ciel d’Heidelberg en 1970.

Ainsi, le morceau-titre, "UFO", est un exercice bruitiste de dix minutes, symbole d’un délire machiniste ufologique inscrit dans l’orientation très expérimentale de la scène allemande. On retrouve cette esthétique sur les jeux distordus de "Girl Call" qui regarde tout de même davantage vers le style heavy-psychédélique improvisé dominant l’album. Celui-ci se déploie sur le jam classique "Stone In", qui laisse la guitare s’exprimer librement, et surtout sur "Der LSD-marsh" à la flute et à la rythmique débridées, où la lourdeur de la guitare apporte un côté heavy-psych bien qu’elle divague dans ses improvisations. L’hypnotique "Next Time See You At The Dalai Lhama" suit le même chemin avec un rythme plus martelé, comme s’il s’agissait d’un rituel aux assises spirituelles fongiques.

Pionnier parmi les figures du Krautrock, Guru Guru reste le fruit d’une époque et s’avère moins intemporel que Can ou Neu! car trop ancré dans le psychédélisme avec une tournure jam qui pourrait passer pour un simple délire déstructuré – il n’en reste pas moins un jalon essentiel de l’histoire du rock.

À écouter : "UFO", "Next Time See You At The Dalai Lhama"