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Critique d'album

Big Big Train


Folklore


(13/06/2016 - English Electric Records - Rock progressif - Genre : Rock)
Produit par Big Big Train

1- Folklore / 2- London Plane / 3- Along The Ridgeway / 4- Salisbury Giant / 5- The Transit Of Venus Across The Sun / 6- Wassail / 7- Winkie / 8- Brooklands / 9- Telling the Bees
Note de 4.5/5
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Note de 4.5/5 pour cet album
"Le summum de l'héritage de Genesis, et l'un des disques les plus fabuleux de la décennie"
Nicolas, le 20/09/2017
( mots)

“We tell our tales, we sing our songs / While we have breath left in our lungs / Heigh-ho so we go we pass it on / We hand it down-o”. Ainsi débute “Folklore”, l’épique éponyme qui ouvre cet album épatant de bout en bout, marquant le retour en grâce du projet Big Big Train et propulsant sans aucune contestation possible ces dignes fils spirituels de Genesis comme l’un des groupes progressifs les plus importants à avoir vu le jour, toutes époques confondues. Carrément. Sauf qu’à ce stade, un petit retour en arrière s’impose. D’abord un flashback en termes de mea culpa. En essayant de définir quels albums progs valaient le coup d’être présentés sur Albumrock pour l’année 2016, l’auteur de ces lignes a balayé un spectre de disques relativement large, en a adoré certains, détesté d’autres, tandis que d’autres encore l’ont interloqué sans soulever chez lui un enthousiasme particulier. Et il aura fallu attendre un an avant que le disque dont il est ici question ne soit réécouté cette fois-ci avec attention, puis dévoré avec passion. S’il y a bien une leçon à méditer, c’est celle-ci : si vous entendez parler d’un groupe en des termes particulièrement flatteurs mais que vous n’accrochez pas immédiatement à sa musique, mettez le disque de côté et revenez-y plus tard. Il faut parfois laisser le temps faire son office.


Second retour en arrière… oui, parce qu’il faut bien appréhender l’idée que Big Big Train n’est pas né de la dernière pluie. Pour être exact, le groupe s’est formé en 1990 sous la houlette du duo Greg Spawton (basse) - Andy Poole (guitare), véritable âme du combo anglais partageant un même amour pour IQ (c’est du néo prog... cherchez pas, vous connaissez pas), Van Der Graaf Generator et surtout Genesis, influences peu communes dans le milieu tant à l’époque qu’aujourd’hui. Là-dessus, le projet BBT est resté à l’état embryonnaire pendant quasiment vingt ans, les deux hommes enregistrant tout de même cinq albums studio dans l’intervalle avec un effectif à géométrie variable mais ne recueillant qu’un écho discret dans les médias spécialisés et ne se produisant quasiment jamais en live. Tout change en 2009 avec les arrivées décisives du chanteur - flûtiste - multi-instrumentiste David Longdon, du guitariste lead Dave Gregory - le bretteur des regrettés et insaisissables XTC - et du batteur Nick D’Virgilio que l’on ne présente plus - c’est l’une des chevilles ouvrières les plus besogneuses de Spock’s Beard, mais on l’a également vu à l’œuvre derrière les fûts de Genesis en remplacement de Phil Collins, Tears For Fears et Mystery. Mine de rien, ces trois forces majeures ont permis à la machine du gros gros train de se mettre véritablement en branle, tout d’abord avec The Underfall Yard paru dans la foulée la même année, puis avec le duo English Electric sorti entre 2012 et 2013. Plus encore, Big Big Train reprend seulement et durablement en 2015 le chemin de la scène en stabilisant son line-up autour de trois musiciens additionnels : la violoniste Rachel Hall et les deux claviéristes - parmi leurs divers talents - Danny Manners et Rikard Sjöblom. Rikard Sjöblom ? Oui oui, l’ex frontman du groupe de prog suédois Beardfish. Et vous avez bien compté : la fine équipe compte désormais huit membres stables, et pas des manchots dans leur genre par-dessus le marché. C’est même un peu la dream team du prog rock pur et dur (on oublie toute notion de metal ici-bas). À partir de là, il n’y a plus eu qu’à laisser opérer cette débauche de talent et d’expérience, et vous obtenez au final Folklore, soit l’un des disques progressifs les plus remarquables de la décennie. Mais il y a plus, car Folklore n’est pas un rejeton isolé. Paru en 2016, il jouit aujourd’hui de deux petits frères enregistrés durant les même séances de travail et à peine moins bons que leur aîné, à savoir Grimspound et The Second Brightest Star, sortis au printemps de cet an de grâce 2017. Forcément on débutera nos pérégrinations par l’analyse du disque princeps - qui est quand un même un peu le sujet de cet article -, mais on ne pourra que vous conseiller chaudement de consulter les critiques de ses deux disques compagnons pour vous lancer dans un total de près de 3h30 de musique, rien de moins ! Autant dire que vous n’êtes pas prêt d’en faire le tour.


Et quelle musique ! Impossible de parler de Big Big Train sans mentionner Genesis tant les deux groupes partagent, non pas des similitudes, mais plus encore une filiation, une vision musicale commune. Il ne s’agit pas tant de jouer du rock “progressif” - donc de déballer de longs morceaux à tiroirs, des concepts albums, des démonstrations techniques en pagaille - que de raconter une, ou plutôt des histoires et de tisser autour d’elle(s) un canevas instrumental en adéquation avec le(s) thème(s) soutenu(s). Autre point commun, Genesis était… bon allez stop, une petite pause. Aujourd’hui, ne nous leurrons pas, Genesis n’existe plus. Le trio Banks - Rutherford - Collins n’a plus rien à voir avec ce qu’il était lorsqu’il était assisté de Peter Gabriel et de Steve Hackett, deux grands messieurs à qui l’on doit non pas la matrice génésienne, mais sa délivrance, cette interprétation vocale habitée du premier - l’intéressé vivant ses textes jusqu’à se grimer sur scène - et ce jeu de guitare fluide, léger, incomparablement naturel du second. Fin de parenthèse, retour au développement. Genesis était ataviquement attaché à l’Angleterre dont il a loué le passé avant tout bucolique, réel ou fantasmé (mythes, comptes, divagations fantasy), mais aussi le présent dans toute sa modernité, du moins celle de son époque. Big Big Train possède exactement le même angle d’attaque, celui des compteurs d’histoires, des ménestrels tout autant que des archéologues et/ou des anthropologues qui arpentent avec passion leur chère Albion pour y dénicher des histoires poignantes qu’ils essaient de nous transmettre avec autant de sensibilité que de vérité. “We tell our tales, we sing our songs / While we have breath left in our lungs / Heigh-ho so we go we pass it on / We hand it down-o”. Il y a dans cette musique une part de rêve, de lâcher prise, de fantasme. Et avant toute chose une recherche de beauté, tel un peintre qui, immortalisant un paysage, nous laissera vagabonder du regard sur sa toile au gré des nuances qu’il y aura mis, avec ses zones carmines tourmentées et ses coups de pinceaux pastels plus placides. De fait, ce genre musical, s’il peut sembler totalement hermétique à l’oreille profane, gagnera à être éprouvé régulièrement, à plusieurs reprises plus ou moins espacées, jusqu’à temps que l’on parvienne à basculer de l’autre côté du miroir et que l’on sombre dans les délicieux méandres où les artistes voulaient nous attirer. Les impatients crieront à l’imposture, mais qu’importe : les persévérants seront au final les seuls gagnants.


Big Big Train jouit actuellement d’un songwriting bicéphale : des morceaux conçus par le vétéran Greg Spawton (ce sont les plus nombreux) et d’autres élaborés par le touche-à-tout Dave Longdon, chanteur et désormais âme vocale du groupe mais aussi joueur de (accrochez-vous) flute, piano, guitares diverses et variées, basse, mandoline, luth, banjo, accordéon, percussions, dulcimer, psaltérion, vibraphone, theremin et glockenspiel (source wiki). Forts cette matrice, les deux hommes exhument des histoires au gré de leurs déambulations dans l’histoire de l’Angleterre, ici un article de journal chiffonné, là un recueil de poésie, là encore une balade au sein d’un site archéologique et/ou mythique. Le thème se voit consciencieusement approprié de sorte à en extraire l’idée mélodique la plus à même de transmettre la vision originelle de songwriter et à en faire le tour sous toutes ses coutures. Spawton et Longdon, secondairement rejoints par Poole - l’autre vétéran - confrontent alors leurs idées, se renvoient la balle au vol, échangent, s’écharpent, se réconcilient, puis interprètent le morceau ainsi composé aux cinq autres qui, tous ensemble et au prix de longues heures de jam, vont chacun y ajouter leur touche personnelle, ici un solo de guitare de Gregory, là une touche de clavier de la paire Manners - Sjöblom, là une trouvaille folk de Rachel Hall au violon - dont le rôle apparaît absolument majeur à compter de cet album-ci, on y reviendra -, tandis que D’Virgilio, tout en collaborant au pot commun - on lui doit quand-même beaucoup des plus beaux titres de Spock’s Beard - bâtit l’assise rythmique propre à contenir toute cette masse musicale. C’est pour cette raison que la musique de Big Big Train apparaît aussi riche et foisonnante : elle est le fruit d’une lente et longue maturation, puisant sa source dans les racines les plus authentiques de l’Angleterre pour en ressortir transfigurée par les diverses contributions des uns et des autres, passée au crible d’une équipe débordant d’habileté et de sensibilité. On précisera bien que le tout est produit en famille, enregistré au English Electric Studio et distribué par English Electric Records - noms empruntés à leur plus récente œuvre -, ce qui leur assure un contrôle total sur leurs créations.


“Let us begin where it all began”. Annoncé par l’EP Wassail paru un an plus tôt - le morceau éponyme est également présent sur la tracklist de ce disque-ci -, Folklore tente de recréer un pont entre présent et passé, de relier ancêtres et héritiers. Par rapports aux précédents albums, la systématisation des thèmes instrumentaux portés par le violon de Rachel Hall confère à cette livraison-ci un côté folk traditionnel anglais, voire même celtique, surtout lorsque la flûte de Longdon s’y mêle. “Folklore”, introduit par ses nappes graciles de cordes, de synthés et de cuivres, cède le pas à une marche racée, cadencée, gorgée d’orgues Hammond, transpercée de synthé, transporté par la frappe sûre de D’Virgillio, mais surtout toute entière asservie à un petit motif instrumental simplissime mais redoutablement efficace. Un morceau d’ouverture engagé, tantôt lumineux, tantôt crépusculaire, qui parvient à happer sans peine l’attention, un peu comme si, arpentant la nuit une rue froide et pluvieuse, vous passiez devant un pub et que vous entendiez une ritournelle qui vous inviterait inévitablement à rentrer vous réchauffer autour d’un bon feu. Et c’est une fois que vous aurez pénétré les lieux qu’il vous faudra laisser à la magie le temps d’opérer, car “Folklore” n’est pas du tout représentatif de Folklore. Dès “London Plane”, le tempo se pose, les émotions également. L’humeur est à la contemplation pastorale, allongé dans une prairie verte et grasse, bercé par une tiède brise de printemps, tandis que Dave Longdon nous narre les exploits d’un aviateur anglais dans la Royal Air Force, livrant un récit qui, de suave, vire à l’homérique au sein d’une joute instrumentale centrale, certes batailleuse mais toujours empreinte de délicatesse, de poésie. Puis direction le rivage, “Along The Ridgeway”, où les cuivres ressuscitent de majestueux voyageurs des mers au sein d’une ballade douce-amère pleine de sensibilité qui bascule de temps à autres dans une échappatoire folk-jazz, conduisant en tous les cas au “Salisbury Giant”, titre qui lui est directement enchaîné, bercé d’un rêve tantôt placide, tantôt agité et anxieux quand le piano s’égaie. On notera au passage la densité ahurissante de ce groupe : il y a tellement à écouter - non pas que les instrumentistes se télescopent, loin de là - qu'il est impossible d'en faire le tour en peu de temps. Vous aurez beau revenir des dizaines et des dizaines de fois à ce disque, vous y découvrirez toujours quelque chose de nouveau, un trait de génie à peine discernable, une texture suave dissimulée derrière une débauche ornementale. C'est en grande partie ce qui fait la force de ce groupe.


L'entame précédemment décrite est sensée vous amener sans encombres jusqu’au cœur du disque et à la fantastique “The Transit Of Venus Across The Sun” dans laquelle la voix de Langdon gagne en vénérabilité, rappelant un autre grand héritier du Genesis de Gabriel, un Elbow qui se verrait illuminé par de somptueux arrangements de cuivres et de graciles arpèges de guitare, et l’on ne dira jamais à quel point la paire Poole - Gregory excelle dans la maîtrise de la six cordes. D’autant qu’elle s’exprime autant dans l’épure que dans la force brute, comme en témoigne le celtique “Wassail”, ode à un pommier donnant les meilleurs fruits qui existent (!). Ceux qui connaissent des formations folk contemporaines comme Capercaillie apprécieront, d’autant qu’il y a ici un enthousiasme instrumental propre à renverser tous les obstacles. Dans les faits, la seconde moitié de Folklore est plus tonique que la première, plus contrastée, plus sombre, plus épique, plus tripante. “Winkie” va quand même assez loin dans le délire narratif totalement assumé en exposant l’histoire, tenez-vous bien, d’un célèbre pigeon voyageur ayant gagné la Dickin Medal après avoir joué un rôle vital dans le sauvetage d’un équipage qui s’est crashé en mer du Nord durant la seconde guerre mondiale. Mais c’est certainement sur ce morceau que toutes la palette de Big Big Train s’expose le mieux, entre moments de grâce recueillis, lambeaux vocaux exaltés et accélérations fiévreuses à l’orgue, sachant par ailleurs que le titre brasse une foule de thèmes qui s'emboîtent les uns dans les autres avec beaucoup d’intelligence. Et la tension monte encore d’un cran sur le sémillant “Brooklands”, florilège de prouesses instrumentales enivrantes, de tension grandissante culminant jusqu’à un paroxysme volubile avant de redescendre dans de calmes limbes, plus de douze minutes de pure grâce que Dave Longdon parvient à canaliser par son interprétation hantée, se fondant dans le rôle d’un pilote de course incapable d’échapper à son destin tragique. Dès lors, tout est dit, et “Telling The Bees” (“parler aux abeilles”) permet de conclure le disque en état de félicité, supporté par le violon serein de Hall et un discret accordéon que viennent cajoler les guitaristes.


Folklore est un must have pour les amateurs de rock progressif qui refusent toute violence sonore et qui demeurent attachés à une musique authentique, sensible, humaine, certes exigeante mais ô combien gratifiante. Avec ce neuvième album, Big Big Train confirme son statut à part dans le milieu, celui d’un groupe incommensurablement doué et talentueux, seul à tracer son sillon dans la vieille matrice génésienne tout en y instillant sa personnalité propre qui en fait bien plus qu’un vague succédané. Incontournable l’année dernière et tout autant cette année. À suivre très bientôt les critiques - très positives elles aussi - de Grimspound et The Second Brightest Star… mais quitte à se lancer dans une histoire, autant la commencer dès le début, non ? “Let us begin where it all began”.

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Commentaires
MaximeL, le 20/09/2017 à 21:27
Wouah! Splendide critique merci Nicolas! Je découvre l'album - je n'ai écouté que Folklore - mais immédiatement l'ombre de Génésis, mais aussi celle de Jethro Tull il me semble, se font sentir. Allez je m'y remet.