Can
Ege Bamyasi
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1- Pinch / 2- Sing Swan Song / 3- One More Night / 4- Vitamin C / 5- Soup / 6- I'm So Green / 7- Spoon
Trois éléments sont importants pour aborder le troisième album du groupe allemand Can, Ege Bamyasi.
Le premier est de savoir qu’en couverture, le condiment conditionné dans une conserve turque s’appelle le gombo (bamya en turc, okra en anglais et allemand), que vous avez sûrement déjà vu en rondelles, prenant alors la forme d’étoiles hexagonales, sans savoir exactement de quoi il s’agissait. Ce n’est pas l’élément le plus essentiel, mais on remarque ici le goût pour le décalage et le jeu de mots propre au Krautrock. Prendre can au premier degré pour faire preuve de second degré …
Le deuxième est d’accepter de croire en une chose … incroyable : Can a fait un tube grâce au morceau "Spoon", dont le succès très important en Allemagne correspondit avec son rôle de générique pour série (Das Messer) et, dans la postérité, de donner son nom à un groupe d’indie-rock texan ! Le triomphe fut tel que Can décida de donner à son label le nom de ce titre (Spoon Records, créé en 1979). Mêlant la batterie avec une boîte à rythme, il reprend le tropisme hindoustani hypnotique, comme un mantra hippie en fin de cycle. Court, efficace, psychédélique sans être trop perché, Can parvient à ce résultat en raffinant un peu ses délires musicaux.
En effet, le troisième élément important consiste à envisager Ege Bamyasi dans la lignée de Tago Mago avec cependant une nuance de taille, le fait que Can se veuille ici plus "accessible", si tant est que le terme puisse convenir au groupe.
Fidèles à l’idéologie allemande (on dira plutôt à l’idéologie Krautrock au risque de plagier deux auteurs germaniques fameux), les membres de Can conçoivent leur projet artistique comme une expérience communautaire : ils se regroupent donc dans un ancien cinéma de Cologne rebaptisé pour l’occasion l’Inner Space (ça ne s’invente pas). C’est de ces jams et de cette vie commune que naît l’album.
La répétitivité demeure la grande caractéristique esthétique de Can, mais le groupe l’utilise comme socle tout en diversifiant de façon étonnante et absolument convaincante son propos : revisitant le tango sur "Vitamin C" avec brio (un coup de maître, quel solo de claviers façon cabaret couplé à Iron Butterfly !), le blues sur "One More Night", voire même la funk sur le long "Pinch" parfois expérimental et volontiers planant, ou sur le très attachant "I’m So Green" à la fraicheur folk hippie. En parlant de folk, "Sing Swan Song" est une ballade dans ce style, aux accents celtiques, mélancoliques, pas très éloignée du Velvet Underground par certains aspects ("Venus in Furs"), le tout guidé par des percussions légères et tribales. La base est bien celle de Can, mais elle évolue dans plusieurs directions.
Le groupe ne peut s’empêcher de donner dans le très expérimental, ajoutant des bruits d’eau sur "Sing Swan Song", et surtout, proposant le dissonant et bruitiste "Soup", avec des doses de jazz-fusion qui lui donnent une texture un peu zappaienne, avec son lot de délires rythmiques et improvisés, jusqu'au final très dissonant (et franchement désagréable). Le Can de Tago Mago, celui le plus ardu, n'a pas disparu.
Plus concis, varié, mieux construit et moins radical (ou improvisé) que Tago Mago, Ege Bamyasi est une belle porte d’entrée dans l’univers de Can, dépouillée de certains excès superflus et plus généralement pertinente dans les diverses approches qui sont mises en place. Tout cela explique pourquoi certains le considèrent, plutôt que son prédécesseur, comme le point d’orgue de leur carrière.
A écouter : "Vitamin C", "I’m So Green", "Spoon", "Sing Swan Song "