
The Man-Eating Tree
Night Verses
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1- Night Verses / 2- Days under the Dark / 3- Seer / 4- These Traces / 5- All our Shadows / 6- To the Sinking / 7- Ruins of Insanity / 8- Abandonned / 9- Reflections


Personne n'imaginait que quelque chose se tramait dans ces bois endormis depuis neuf ans déjà. Un souvenir que l'on traverse, porté par l'assurance que rien ne bougera plus.
Immuable, la forêt continuait pourtant de respirer, effeuillant les printemps et traversant les hivers à la vitesse d’un battement de cil. Elle patientait, certaine que son réveil approchait. Un été de plus. L’ancien chêne recouvrait la terre de son ombre, l'immense silhouette obscure qui persistait une fois la nuit tombée, jusqu’à prendre racine. Une âme oubliée qui s’éveillait, capable de souffler la vie même dans la noirceur la plus persistante.
Ainsi en est-il du comeback des Finlandais de The Man-Eating Tree.
Mise sur pause depuis la sortie de In the Absence of Light en 2015, la formation du chanteur/guitariste Janne Markus ressurgit des ténèbres en 2025 avec son quatrième album, Night Verses. Une résurrection rendue possible par une (r)évolution dans le line-up, désormais complété par une nouvelle voix : Manne Ikonen. Un nom qui ne vous évoquera peut-être rien. Et pourtant, il s’agit du chanteur de Ghost Brigade, une autre formation finlandaise aujourd’hui en sommeil.
Ghost Brigade, l’oublié du registre death-mélodique (si tant est que le groupe ait jamais été enfermé dans une seule case). Il faut dire qu’Ikonen y avait affûté un véritable art du glissement stylistique, évoluant sans gêne entre rock gothique, doom et death mélodique. Ce pluralisme, porté par une voix aussi dense que nuancée, a sans doute pesé dans son intégration à l’univers de The Man-Eating Tree. À ceci près qu’ici, Ikonen évolue dans un registre et un but bien précis : incarner la face ténébreuse du groupe. Être la voix des ombres, celle qui s’oppose à la clarté vocale de Janne Markus.
Assurée de son aura retrouvée, la forêt laisse éclater son aspect majestueux et mystique dès le morceau d'ouverture, l'éponyme "Night Verses". Un temps de contemplation qui ne durera pas. L’obscurité s’impose rapidement, jusqu’à ce que l’orage éclate sur les premières notes de "Days Under The Dark". Un riff majestueux, soutenu par une rythmique impeccable et une production discrète mais efficace, qui souligne la tension contenue dans ces premiers instants. Le quintet dévoile alors le fil conducteur de l’album : une dualité permanente. Les voix claires de Markus gagnent en intensité à mesure que se propage la lutte contre les growls caverneux d’Ikonen.
Ces derniers permettent au groupe d’explorer des registres plus denses, à l’image du death-mélodique marécageux de "Seer", véritable triomphe vocal d’Ikonen. Lourde, atmosphérique, cette piste est une merveille dont la performance vocale justifie à elle seule l'introduction de ce dernier au sein de The Man-Eating Tree. Une construction similaire se retrouve sur "Abandoned", sans toutefois atteindre le même niveau d’intensité. Plutôt que de plonger dans la face brute du death-mélodique, le groupe préfère ici dessiner des paysages sonores empreints de mélancolie, traversés de respirations épiques.
Des intentions qui rappellent celles de Katatonia. L’ombre du groupe mené par Jonas Renkse plane sur Night Verses. Le pont de "These Traces" évoque certains schémas de guitare entendus sur Dead End Kings. "Ruins of Insanity", encore plus explicite dans son affiliation, convoque l’univers pesant et introspectif des Suédois, avec ses arpèges mineurs et ses montées en tension tout en retenue. La voix, à la fois distante et habitée, canalise des tourments semblables à ceux que Renkse peut exprimer, oscillant entre résignation et espoir ténu. Même les silences, ces respirations lourdes entre deux vagues sonores, rappellent les constructions atmosphériques chères à Katatonia.
Plus qu’une influence, c’est une filiation assumée qui s’installe ici, que The Man-Eating Tree réussit à réinterpréter à sa manière, injectant une touche organique propre à son identité.
Reste quelques errances dommageables dans le rendu global de Night Verses. On pensera ici à la lenteur pesante de "To The Sinking" et à l’interprétation de Manne et Janne, tous deux enfermés de façon caricaturale dans leurs rôles vocaux respectifs. Enfin, "Reflections" trahit une volonté d’ouverture vers des inspirations plus progressives. Malgré ses neuf minutes bien pleines, le titre peine à maintenir l’intérêt et souligne, en creux, la pertinence du groupe dans des formats plus directs et organiques.
The Man-Eating Tree signe, avec Night Verses, un retour habité, parfois inégal, mais toujours sincère.
L’album séduit lorsqu’il embrasse sa nature cyclique, enracinée dans le clair-obscur et les tensions émotionnelles. Il trébuche lorsqu’il cherche à s’élever au-delà de ce qu’il maîtrise, tentant de capter des vents progressifs qui le dépassent encore.
Mais il faut saluer cette volonté de réinvention, ce refus d’un simple réveil nostalgique. Car Night Verses est bien plus qu’un retour : c’est le rayonnement nouveau d’un arbre ancien, à la fois contemplatif à la lumière du jour et majestueusement menaçant dans l’obscurité.
La forêt est bel et bien vivante.
A écouter : "Seer" ; "Days Under The Dark" ; "Ruins Of Insanity"