Eminem
The Eminem Show
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1- Curtain's Open (Intro) / 2- White America / 3- Business / 4- Cleaning out my closet / 5- Square Dance / 6- The Kiss (Skit) / 7- Soldier / 8- Say Goodbye Hollywood / 9- Drips / 10- Without Me / 11- Paul Rosenberg (Skit) / 12- Sing for the moment / 13- Superman / 14- Hallie's Song / 15- Steve Berman (Skit) / 16- When the Music Stops / 17- Say What you Say / 18- 'Till I Collapse / 19- My Dad's Gone Crazy / 20- Curtains Close
Au risque de m'attirer les foudres de l'équipe Albumrock, j'ai décidé d'ouvrir notre sélection d'albums aux influences rap. Pas n'importe quel rap, vous remarquerez : celui d'Eminem, l'artiste le plus controversé des Etats-Unis après Marilyn Manson... En 2002, soit deux ans après le succès interplanétaire de Slim Shady, l'enfant terrible des charts américains refaisait parler de lui avec The Eminem Show, catalogué par les uns de commercial, voire "bidon", tandis que les autres criaient au génie. Sans préjugés, j'ai décidé à mon tour d'enquêter...
Dès l'ouverture de ce troisième album, il apparaît évident que que Marshall Mathers, alias Eminem - mais on pourrait tout aussi bien l'appeler Mr. Just-Don't-Give-a-Fuck, tant il assume parfaitement sa schizophrénie - est toujours aussi en colère... Dans "White America", il dénonce l'hypocrisie de l'Amérique qui, après avoir favorisé son succès, cherche maintenant à le censurer au moyen du Parents' Music Resource Center, association fondée en 1984 par Tipper Gore dans le but d'empêcher la jeunesse américaine d'être exposée à des oeuvres jugées subversives. C'est d'ailleurs à la femme d'Al Gore qu'Eminem adresse ces mots : "Fuck you with the freest of speech / This divided state of embarassment will allow me to have". Plus loin, Eminem met de nouveau les choses au point. Il doit tout à Dr Dre et il ne s'en défend pas. Il rappelle néanmoins que Dre lui doit également son retour et balance en toute simplicité quelques rimes acides pour fermer les bouches de ses détracteurs. "Every fan black that I got was probably his / In exchange for every white fan that he's got". Il place habilement une phase qui en dit long sur l'industrie rap et les consommateurs dont il profite sans que ça l'empêche de dormir : "If I was black I woulda sold half". Tout cela avant de conclure, avec une ironie mordante : "I'm just kiddin America, you know I love you".
Par la suite, Eminem passe à confesse et s'appesantit sur les trois femmes de sa vie. Sa mère d'abord, décrite en des termes d'une extrême violence dans "Cleanin Out My Closet". Si le refrain de ce titre ("I'm sorry Mama")" semble traduire un certain remords, les trois couplets, eux, accumulent au contraire les preuves de haine : "You selfish bitch, I hope you fuckin' burn in hell for this shit.". Son ex-femme en suite, caricaturée dans "Superman". Et enfin sa petite fille, adulée dans un titre où Eminem s'essaie pour la première fois au chant ("Hailie's Song"). Dans ce titre, Eminem évoque également son désarroi face aux gens qui ne différencient pas son personnage de son rôle de père. Il chante alors sur deux tons : doux et énervé, afin de bien marquer la distinction entre ces deux rôles. Malheureusement, la voix n'est pas juste et le tout est un peu mièvre, voire irritant... (tout comme l'est l'avant-dernier titre de l'album, "My Dad's gone crazy"). On se prend à regretter le méchant Shady... qui nous revient vite dans "When the Music Stops", titre où Eminem parle de Marilyn Manson comme l'un de ses plus grands inspirateurs et qui s'achève d'un coup de silencieux sourd...
Le rejeton controversé de l'Amérique, qui n'hésite pas à s'octroyer le titre peu recommandable de "The worst thing since Elvis Presley" ("Without Me"), ne capitule pas devant les accusations de misogynisme ou d'homophobie. Dans "'Till I collapse" (feat. Nate Dogg), titre tout en puissance, Eminem rassure ses fans : il continuera de rapper et de détester tout ceux qui le détestent... jusqu'à sa mort. De quoi faire désespérer bien des mères de famille outre-Atlantique...
Du point de vue de la forme, Eminem semble avoir trouvé une certaine maturité. En fait, il n'a cessé de faie des progrès depuis ses deux albums officiels. Il peut toujours donner des leçons de flow - il le prouve sur "Square dance" ou "Soldier", et il joue toujours autant sur les intonations de sa voix nasillarde. Mais la nouveauté, c'est qu'il sait maintenant développer toute une musicalité autour. Sur ''Sing for the moment'', il force progressivement sur sa voix pour arriver aux point d'orgue. Au lieu de sombrer dans le mauvais hip-hop, il choisit d'utiliser un extrait du "Dream On" des rockers d'Aerosmith ("Sing For The Moment") ou un beat disco sur "Without Me". Décidemment, Eminem est bien plus qu'un monstre-rappeur de foire, alors même qu'il se plaît à décrire son show comme un cirque ("Must be a circus in town, lets shut the shit down").
Après avoir réussi à conquérir le monde avec ses rimes acides et surtout avec le personnage déjanté de Slim Shady, Eminem apparaît donc plus mature et réfléchi dans ce troisième opus, bien que manipulant toujours le second degré avec art. Le rappeur montre qu'il a pleinement conscience de son talent d'interprète et de porte-parole ("But all the kids be listenin' to me religiously" : "Sing For the Moment"). Il porte littéralement son album, mème si Dr Dre est encore présent sur quelques titres (pas les meilleurs d'ailleurs). Mais ce qui est encore plus saisissant, c'est à quel point il a su démonter les rouages de l'industrie discographique et du matraquage médiatique pour devenir le n°1 incontesté et LA superstar de ce début de siècle. Avec The Eminem Show, Marshall Mathers a créé une oeuvre qui dépasse les limites du rap, bien qu'en restant plus que fidèle à son esprit. Incontournable.