Evelyn Evelyn

L’imagination débordante d’Amanda Palmer ne cessera d’étonner. Que cela soit avec son duo originel de "Brechtian Punk Cabaret" The Dresden Dolls ou en solo, elle développe une sorte de noirceur cocasse, grinçante et décalée. Ici, elle s’allie avec Jason Webley, un troubadour des temps modernes multi-instrumentiste pour un concept-album des plus inhabituels. Le disque conte l’histoire de deux sœurs siamoises musiciennes qui "partagent trois jambes, deux bras, trois poumons, deux cœurs et un seul foie" et qui "parlent la langue des poulets couramment". Palmer et Webley auraient découvert leurs talents musicaux en 2007 et les auraient alors poussées à se lancer dans la confection d’un album. Les bases du projets sont posés, et elles sont tellement extravagantes qu’on se demande si la musique sera la hauteur ou si elle arrivera jamais à dépasser le simple trip entre hurluberlus.

L’album est un mélange entre morceaux chantés et narrations compilées sous le nom de "The Tragic events of September" qui approfondissent l’histoire des deux soeurs au cœur du projet, mais qui inévitablement, cassent le rythme de l’album. Passée la déception qu’Evelyn Evelyn ne pourra pas s’écouter d’une traite (qui a envie d’entendre encore et encore cette histoire d’accident de voiture, bruits de crissements de pneus à l’appui ?) une autre déconvenue frappe de plein fouet l’auditeur : l’album est totalement inégal. Il compte des perles indéniables, mais le projet invite à des chansons façon Monsieur Loyal en goguette ("A Campaign of Shock and Awe") qui peuvent franchement rebuter. Et surtout, "My Space" qui malgré le buzz créé par l’apparition de Frances Bean Cobain sur le morceau, ressemble vaguement à une balade métal, un truc totalement ringard auquel on a du mal à trouver un second degré (s’il y en a un).

Bien heureusement, le duo excelle dans ses compositions à la Andrews Sisters ("Have You Seen My Sister Evelyn ?"), ou dans celles inspirées par une imagerie de farandole gothique ("Chicken Man"). Quant à la reprise de "Love Will Tear Us Apart", elle est parfaitement revisitée. Les deux voix aux timbres extraordinaires se répondent à merveille sur "Sandra Fishnets", et sur le maladroit "Elephant Elephant". Le disque est sauvé par une imagination intarissable et le plaisir visible que prennent les deux musiciens à développer leur histoire à l’aide de chansons caricaturales mais imparables : "You Only Want Me Cause You Want My Sister" ressemble à un slow country à pleurer, alors que "Have You Seen My Sister Evelyn ?" colle tellement au style singing group des années 40 qu’il pourrait être une parodie. Malgré son autodérision évidente, le projet reste cohérent de bout en bout. Malheureusement, Evelyn Evelyn risque de subir le même sort que les livres sur les soucoupes volantes et les théories du complot : délaissé par ceux qui trouveront l’album trop improbable et trop fou pour y trouver un quelconque intérêt.