Five Horse Johnson
No. 6 Dance
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1- Mississippi King / 2- Spillin' Fire / 3- Silver / 4- Gods Of Demolition / 5- Shine Around / 6- It Ain't Easy / 7- Hollerin' / 8- Lollipop / 9- Swallow The World / 10- Buzzard Luck / 11- Odella / 12- Bonus Track
L’avantage de ce vaste territoire imaginaire que constitue la musique, c’est que l’on peut totalement ré-inventer sa propre identité au mépris de toute réalité temporelle et géographique. Nul besoin d’avoir connu le Swinging London pour marcher sur les pas glorieux des Kinks, tout brevet d’ouvrier sidérurgique de Detroit est superflu quand on prétend pratiquer du garage rock à son stade primal, inutile de venir des bas fonds de New-York ou de Londres pour succomber à la rage punk… Ainsi, il serait malvenu de toiser d’un œil mauvais ce quartet issu de Toledo, Ohio, quand il entend secouer l’idiome blues avec la nonchalance sudiste d’un Lynryrd Skynyrd et la puissance de feu du stoner. Après tout, les excellents Creedence Clearwater Revival avaient brillamment prouvé des décennies avant eux qu’il n’était pas obligatoire de venir du bayou pour porter au pinacle blues suintant et country baveuse. Car près de 15 ans après leurs premiers faits d’armes, un constat s’impose : la plus parfaite synthèse entre heavy rock testostéroné et swamp blues gluant n’a pas été réalisée par des natifs de Palm Springs ou de la Nouvelle-Orléans, mais bel et bien par des petits gars du nord du continent.
Tout aussi illégitimes soient-ils de par leur sang, les Five Horse Johnson en imposent à qui veut l’entendre dès que l’on branche les amplis. Sur une colonne vertébrale résolument blues qu’ils consolident de disques en disques (leur premier album, Blues For Henry, a été enregistré dans un des berceaux du bluegrass), les artilleurs greffent les éléments types du heavy rock burné : des riffs graisseux dérivant entre cataractes de power chords adipeuses et grandes rasades de slide poisseuse, une section rythmique imparable et le chant de ce grand gaillard blond d’Eric Oblander, dont l’organe enroué baignant dans un mélange de Budweiser et de Jack Daniel’s sied parfaitement à ce genre d’exercice. Conjuguant la fougue âpre d’un Karma To Burn avec la finesse rustre d’un Clutch (les gaillards auront la bonne idée d’emprunter le batteur du gang du Maryland, Jean-Paul Gaster, le temps d’un disque et de quelques tournées), le quintet peut s’enorgueillir d’une discographie sans faille où il fait revivre avec bonheur une certaine idée du rock tel que pratiqué dans le deep south des seventies. Juste à titre d’exemple, voici peut-être la meilleure chanson de ZZ Top écrite par un autre groupe que ZZ Top.
N°6 Dance, leur troisième opus, reste leur réalisation la plus aboutie. La question des origines est abordée d’emblée le temps d’une intro ironique. Un dialogue semblant tiré d’un western s’engage : "- Where are you from, maverick? – I’m from Ohio, sir. – Are you born there? –Yes, sir. –What about Toledo?" L’imposant "Mississippi King" tonne alors comme une braillarde réponse, une remarquable charge de binaire massif, aussi vaseuse, menaçante et irrésistible qu’un fleuve en crue. Une fois leur style solidement amarré, les Five Horse Johnson ne dévieront plus de leur cap, avec la même authenticité que leurs cousins germains de Black Keys, juste la barbe un peu plus fournie, la chemise de bûcheron un peu plus huileuse sous les aisselles et la guitare marinant davantage son jus du côté des Allman Brothers que de Howlin’ Wolf. Pour le reste, The N°6 Dance aligne une réjouissante alternance entre rock bourru pourtant pas avare de subtilités ("Spittin’ Fire", "Gods Of Demolition"), boogie marécageux ("Shine Around", "Swallow The World") et binaire tanguant comme un hillbilly enivré par son propre whisky distillé dans sa baraque miteuse ("Lollipop", "Buzzard Luck"). Eric Oblander cède le micro de temps à autres à son comparse Brad Coffin, le temps pour lui de plonger dans son impressionnante collection d’harmonicas pour venir tonner de concert avec ses camardes sous les atmosphères chaleureuses d’un southern rock aussi moite que jubilatoire ("Silver", "Swallow The World"). Ailleurs, la bande prend un malin plaisir à dévergonder les Three Dog Night le temps d’une reprise endiablée ("It Ain’t Easy"). Ultime baroud d’honneur, le copieux "Odella" final, marche pesante et hypnotique de plus 14 minutes, sonne une migration entamée depuis les berges de la Louisiane vers les plaines lysergiques de San Francisco, trainant derrière elle des relents de poudre de Winchester et de buvards de LSD.
A travers Five Horse Johnson, c’est aussi leur label qu’on tient à saluer, le bien aimé Small Stone Records. Le travail acharné de son fondateur, Scott Hamilton, mérité tous les éloges. Si une bonne partie des mercenaires qu’il a signés tourne autour de la formule heavy/southern/stoner rock telle qu’érigée par la tête de proue de son catalogue (Dixie Witch, The Brought Law, Throttlerod), Hamilton n’a pas son pareil pour faire varier les plaisirs. Quelque soit la sauce à laquelle vous dégustez votre heavy rock, Scotty a le groupe qu’il vous faut. Voici une poignée de noms qui se sont illustrés dans cette décennie pour vous mettre en appétit : stoner méchamment burné (Solace, Halway To Gone, Red Giant, The Glasspack), high volume rock trippant (Iota, Acid King), krautrock pachydermique (Giant Brain), doom stratosphérique (Ironweed, Los Natas), stoner massif (Novadriver, Sasquatch, House Of Broken Promises, Dozer)…