Jethro Tull
The Zealot Gene
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Cela fait quelques années qu’Ian Anderson propose de la musique sous son nom, les correspondances esthétiques avec Jethro Tull étant substantielles tant son chant, son jeu de flûte et son rôle dans la composition des titres du groupe étaient centraux. Mais isolé depuis le départ de Martin Barre, il avait choisi de publier sous son nom des albums parfois liés à l’histoire de Jethro Tull (Thick as a Brick 2 en tête). Alors pourquoi Jethro Tull en 2022 ?
Après tout, on retrouve les mêmes musiciens qui accompagnent Anderson en solo, les parallèles stylistiques sont massifs avec les opus du ménestrel (même si The Zealot Gene s’éloigne un peu du format album-concept) et le flutiste figure seul sur la pochette. Les plus malintentionnés d’entre nous argueront l’enjeu financier, peut-être imaginé par le label (comme A à l’époque, nous en parlions ici), la marque Jethro Tull ayant plus d’écho que celle d’Anderson. Laissons à ce dernier bénéfice du doute en écoutant son argument après tout défendable : les musiciens en question l’entourent depuis maintenant plus de quinze ans et il pouvait leur accorder de figurer au sein d’un album de Jethro Tull en considérant leur collectif comme un groupe à part entière. Avouons que tout cela s’avère assez secondaire, bien qu’Anderson se soit senti obligé de parer les attaques dès le livret.
Nous disions que l’album s’éloignait du registre de l’album-concept car, mis à part une réflexion autour des émotions humaines et un fil directeur biblique (Anderson explique brièvement tout cela dans le livret), The Zealot Gene s’avère être un disque qui, s’il rassemble des morceaux certes homogènes, est dépourvu d’une structure qui pourrait unifier l’ensemble tel un récit. Ce n’est en aucun cas problématique, ce format n’étant ni nécessaire, ni suffisant pour faire un bon album (ça se saurait …). Le clin d’œil à Thick as a Brick, exactement cinquante ans après, aurait quand même été une belle audace …
Mais Anderson en était-il capable ? C’est tout l’enjeu de The Zealot Gene, quoiqu'il eut été étonnant de trouver quelqu’un qui en espérât autant. Pour tout dire, nous aurions du mal à nous dire déçu tant nos attentes étaient mesurées, connaissant très bien la carrière de Jethro Tull puis celle de son flutiste et pour l’avoir vu récemment sur scène.
Pour autant, il n’y a aucune raison de descendre l’album : il est bien produit, les musiciens sont bons, le tout est assez agréable, on prend plaisir à passer ces minutes aux côtés de notre troubadour favori. Il y a aussi de nombreuses limites qui empêchent de crier au chef-d’œuvre : le studio sauve un peu la voix qui s’avère néanmoins fatiguée, les lignes de flûte ne sont pas des plus inventives et l’ensemble, très folk, manque un peu de dynamisme.
Ainsi, on entend dès "Jacob’s Tale" les limites du chant, d’autant plus que l’harmonica accentue le manque d’énergie du titre, puis on en voudra à notre faux espoir d’entendre un nouveau "Locomotive Breath" sur le longuet "Mine Is the Mountain" où Anderson se contente de scander les paroles. L’introduction de "The Betrayal of Joshua Kynde" provoque la même sensation d’un potentiel gâché de façon incompréhensible.
Parallèlement, il y a des idées assez intéressantes, comme le titre d'ouverture plus progressif "Mrs Tibbet", avec une bonne collaboration des claviers et de la guitare, ainsi que de belles interventions de flûte. L’électrique "The Zealot Gene", qui n’aurait pas dépareillé sur Homo Erraticus, est recommandable, de même que "Soshana Sleeping" qui évoque The Secret Language of Birds. "The Fisherman of Ephesus", dernier titre, laisse un bon souvenir une fois accompli le dernier tour du disque. Parmi les choix regrettables, même sur ces bons titres, on notera les sons de synthés terriblement datés et un peu pauvres.
La fin de l’opus s’avère beaucoup plus folk, concentrée sur la guitare acoustique et la flûte (Anderson a dû finir l’album seul), alternant du très bon ("Where Did Saturday Go ?", l’émouvant "In Brief Visitation") et du plus anecdotique ("Three Loves, Three"). Après quelques écoutes, il est possible que ce soit cette dernière partie qui constitue le moment le plus réussi de l’album … A voir.
Risquons une lapalissade : Jethro Tull en 2022, ce n’est évidemment pas Jethro Tull en 1972. Qui peut leur en vouloir ? Qui pouvait imaginer cela ? Alors recevons The Zealot Gene pour ce qu’il est, comme l’œuvre d’un artiste aguerri et apaisé. Et rappelons en conclusion ces sages paroles, non pas pour Anderson, nous sommes certains qu’il en a conscience, mais pour ceux qui seraient un peu trop sévères en ayant oublié qu’il s'agit de l’album d’un vétéran : "And the Train It Won’t Stop Going, No Way to Slow Down".
A écouter : "Where Did Saturday Go ?", "Mrs Tibbet", "In Brief Visitation", "The Fisherman of Ephesus"