Karnivool
Sound Awake
Produit par Forrester Savell
1- Simple Boy / 2- Goliath / 3- New Day / 4- Set Fire To The Hive / 5- Umbra / 6- All I Know / 7- The Medicine Wears Off / 8- The Caudal Lure / 9- Illumine / 10- Deadman / 11- Change
Même s’il est vrai qu’un certain nombre de groupes ont tendance à stagner et à ne jamais retrouver la créativité de leur premier album, d’autres ont clairement besoin de temps pour faire murir leur création. Helloween, Dream Theater, Radiohead, Beach House… ces formations ont su élever leur musique en dévoilant toute l'étendue de leur potentiel à partir du deuxième album. Il est clair que Karnivool fait partie de cette dernière catégorie. Bien que très solide, le premier opus des Australiens (Themata, 2005) restait somme toute assez conventionnel, sûrement trop accroché à une scène neo-metal sur le déclin. Encore inconnu en France à l'époque (Themata n’arrivant jusqu’aux oreilles du public français que trois ans après sa sortie), le groupe bénéficie déjà d’une belle réputation dans son pays, et se permet même d’assurer une tournée américaine avant de retourner en studio en 2008. Les membres fondateurs Drew Goddard et Ian Kenny annoncent alors la couleur : le nouvel album sera différent et marquera une véritable évolution qualitative.
Les deux hommes n’ont clairement pas menti sur leurs intentions, la première écoute de Sound Awake sonne comme une évidence : cet album est spécial et projette le combo dans une nouvelle dimension. Tout en conservant ce qui avait fait le succès de leur précédente livraison - c'est-à-dire cette sensation de puissance associée à des riffs percutants - le groupe s'engage sur des routes beaucoup plus sinueuses. Et c’est bien sur ces sentiers que la musique de Karnivool atteint sa pleine mesure technique et créative. Fini les titres à l’accroche immédiate, les structures classiques couplet-refrain ou encore toute notion de calibrage. Tout est ici hors-norme, en commençant par le son : d’une densité hallucinante et servi par une production d’une qualité rare, le son produit par les Australiens est tout simplement énorme (écoute au casque vivement conseillée); à tel point qu’on vous défie de trouver un autre album de metal prog présentant un tel équilibre (Tool compris)! La basse, massive et grondante, tient désormais les premiers rôles, contrastant d’autant plus avec le chant clair tout en émotion de Ian Kenny. Les deux guitares, en retrait cette fois-ci, s’adaptent vers un jeu d’ambiance beaucoup plus subtil, fait de nombreux arpèges et arrangements électroniques.
Un son hors-norme au service de compositions qui le sont tout autant. Avec une durée inhabituelle d’environ 75 minutes, le quintette australien dispose désormais d’un espace de jeu conséquent pour une expansion optimale de sa musique. Des morceaux comme "New Day" peuvent ainsi prendre de multiples directions en explorant des mélodies pop tantôt aguicheuses tantôt atmosphériques, tout en dissimulant des breaks explosifs dans un style très toolien. L’album est à ce titre long et peut s’avérer difficile à appréhender par son aspect homogène et parfois hermétique. Sensation amplifiée par une dernière partie d’album composée des imposants "Deadman" et "Change" (respectivement 12 et 11 minutes) au caractère nettement plus progressif.
Malgré ces longueurs, le groupe n’a rien perdu de son groove, que l'on retrouve à travers l’impressionnant "Goliath" ou encore l’énergique "Set Fire to the Hive". Karnivool a en effet cette faculté de créer des mélodies singulières et mystérieuses en associant structures complexes en polyrythmies et mélodies quasi imparables. Les natifs de Perth s’aventurent même sur des territoires sur lesquels on ne les aurait pas imaginé : le meilleur exemple n’est autre que le captivant "All I Know" (single utilisé pour la promotion de l’album) qui exerce un pouvoir d’attraction inexplicable à l’aide de sa pop sombre et entêtante.
Avec ce deuxième album, les Australiens de Karnivool franchissent un nouveau palier en affichant une identité forte et complexe. Un véritable tour de force (tant au niveau des compositions que de l’équilibre sonore) qui installe définitivement le groupe parmi les références du genre. Bien entendu on n’évitera pas les comparaisons avec le metal progressif de Tool, et on pourra reprocher un léger excès de générosité sur le contenu; mais un album de cette trempe est loin d'être chose courante. Sound Awake est à l’image de l’étrange trou noir présent sur la pochette : un phénomène rare qui inquiète autant qu’il passionne; un objet si dense qu’il empêche toute forme de matière de s’en échapper. Gare à l’auditeur qui osera s’en approcher…