Aerosmith

Qu’on se le dire, les quatre années qui séparent Pump de Get a Grip ne s’expliquent en rien par un manque d’inspiration de la part d’Aerosmith : le groupe est à nouveau en excès d’idées, l’entraînant à être très - voire trop - productif au point de devoir sélectionner un nombre limité de morceaux pour constituer un album déjà bien rempli. Car avec quatorze pistes (quinze sur l’édition internationale) dont une introduction, cet onzième opus inaugure un écueil appelé à devenir récurrent jusqu’à leur dernier album en date : celui du sur-remplissage. Mais c’est bien à son moindre défaut, tant Get a Grip constitue le sommet du deuxième âge du groupe.

Ce succès est en partie permis par une stratégie marketing de haut vol. Certes, la pochette, scabreuse à souhait, peut être considérée comme un choix discutable (que personnellement, nous trouvons très amusant), mais le battage médiatique, sur MTV et sur les ondes internationales, fut l’occasion d’une campagne de promotion remarquable – et insupportable si l’on n’apprécie guère le gang de Boston. Cette modernité s’exprimera encore en 1994, quand le single "Head First" sera proposé en téléchargement sur internet, ce qui apparaissait comme une innovation révolutionnaire à l’époque.  

Marketing toujours, l’introduction ("Intro") teintée de rap, comme un écho au succès du duo avec Run-DMC, ainsi que la multiplication des invités prestigieux dont Tommy Shaw de Styx sur "Shut Up and Dance", un titre accrocheur mais assez répétitif et imbécile à la longue, et Lenny Kravitz sur "Line Up", dont la fanfare et les chœurs ont des airs de madison. Finalement, ce sont peut-être les deux morceaux les plus faibles de l’album, confirmant ainsi l’adage disant qu’il vaut mieux être seul que mal accompagné.

Globalement, Get a Grip est une production qui regorge de titres immédiatement efficaces, introduits par l’excellent "Eat the Rich", dont l’atmosphère tribale et le riff martelé participent à en faire le meilleur titre d’ouverture proposé depuis longtemps. S’en suivent le blues-rock survolté "Fever" ou l’élégance moderne de "Flesh", le flegme groovy de "Walk On Down" (entre ZZ Top et le pub-rock), le groove lancinant de "Gotta Love It", qu’on préférera à "Get a Grip" dont la scansion proche du rap et les onomatopées s’avèrent un peu usantes.

Dans son pendant plus apaisé, Get a Grip accumule les slows et les power-ballads, dont l’immense "Cryin'", seul titre du genre capable de rivaliser avec "Dream On". Sa puissance et sa complexité en font une composition bien moins caricaturale que "Crazy", bien que ses aspects roots lui donnent du charme, ou qu’"Amazing", qui évoque Supertramp mais lasse par ses orchestrations trop kitsch. Plus folk, "Livin' on the Edge" est un autre moment fort de l’album : ses mélodies sont intenses même si, accompagnées de guitares grandiloquentes, elles peuvent donner un air de Bon Jovi – le titre n’en est pas moins un chef-d’œuvre du groupe.

La qualité intrinsèque de l’album et sa propulsion par une bonne campagne de promotion expliquent pourquoi Get a Grip est devenu le plus gros succès de l’histoire d’Aerosmith – un coup de maître pour un groupe de vétérans dont le premier album était paru vingt ans plus tôt.

À écouter : "Livin' on the Edge", "Cryin'", "Eat the Rich", "Walk On Down"