Neil Young
On the Beach
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1- Walk On / 2- See The Sky / 3- Revolution Blues / 4- For The Turnstiles / 5- Vampire Blues / 6- On The Beach / 7- Motion Pictures (For Carrie) / 8- Ambulance Blues
Bien que la musique folk fût volontiers mélancolique car nostalgique, Neil Young n’était pas à classer parmi les poètes maudits ou écorchés vifs, et ce malgré les stigmates physiques d’une maladie enfantine : le Canadien a vite rencontré le succès au cœur des "Années 68" au point d’obtenir une aura quasi équivalente à celle de Bob Dylan. Plein d’entrain, le Loner dénonçait la répression violente du mouvement étudiant avec ses comparses Crosby, Stills et Nash ("Ohio") et subvertissait la country pour en faire une arme contre l’Amérique profonde, ou profondément raciste, donnant lieu plus tard à des échanges historiques avec Lynyrd Skynyrd (voir "Southern Man" et "Alabama").
Néanmoins, le chemin du succès, pavé des notes d’Harvest et d’After the Gold Rush, devait finir par être envahi de ronces : Neil Young peine à s’habituer à sa popularité et surtout, à la pression qu’elle implique, sans compter un fils handicapé et des relations de couple tumultueuses (la joie de déborde pas sur "Motion Pictures (for Carrie)"). De plus, il est profondément marqué par la mort par overdose de son guitariste Danny Whitten en 1972, suivie par celle de son roadie Bruce Berry, et il commence à être confronté à ses propres addictions. Le troubadour guilleret se transforme en solitaire au propos plus sombre, d’abord mis en musique sur Time Fades Away (1973), un album live composé de titres inédits, puis sur Tonight’s the Night, immédiatement rejeté par son label qui finira par le faire paraître en 1975.
Dans cette trilogie désespérée, On the Beach occupe donc la deuxième place alors qu’il a été enregistré en dernier, toujours en compagnie du Crazy Horse mais également de Crosby, Nash, ainsi que du bassiste Rick Danko et du batteur Levon Helm, tous deux issus de The Band. Joe Yankee, tel que Young est ici crédité, est donc loin d’être un véritable solitaire.
Si la plage évoque la légèreté et la joie de vivre, elle n’est ici qu’une immensité vertigineuse qui place l’homme torturé face au sublime. L’ouverture sur "Walk On" est d’autant plus cruelle qu’elle n’est qu’un faux espoir, une éclaircie avant le déluge, une touche heureuse dans une mer de larmes - "See the Sky About to Rain" dirait le poète accompagné de claviers fragiles. Seul le très roots "For the Turnstiles", hymne au banjo, redonnera le sourire.
En effet, le morceau titre "On the Beach" est un blues faussement apaisé, ses magnifiques percussions organiques ne faisant pas illusion face aux plaintes du chanteur et de la guitare – on demeure loin de Santana. Mais c’est surtout le triptyque "blues" qui aura fait couler de l’encre et des larmes : "Revolution Blues", un rock californien à la rythmique funky et au solo subtil, est un hommage à Charles Manson, c’est-à-dire à la face sombre de l’ère hippie définitivement close ; "Vampire Blues" évoque la crise (financière et écologique) des Trente Glorieuses en dénonçant la cupidité au son du blues et de l’orgue ; le long "Ambulance Blues" est un un final folk lacrymal aux effets mélancoliques favorisés par le violon et l’harmonica.
Comme s’il s’agissait d’enfoncer le clou, les ventes de ce deuxième volet de la "Ditch Trilogy" ne sont pas à la hauteur des espérances de Neil Young qui plonge dans une phase d’hésitations discographiques (Homegrown est enregistré juste après mais publié en 2020). Il vaut pourtant bien ses prédécesseurs.
À écouter : "Walk On", "Revolution Blues", "Ambulance Blues"