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Critique d'album

Opeth


Still Life


(18/10/1999 - Peaceville - Death metal progressif - Genre : Hard / Métal)
Produit par Fredrik Nordström

1- The Moor / 2- Godhead's Lament / 3- Benighted / 4- Moonlapse Vertigo / 5- Face of Melinda / 6- Serenity Painted Death / 7- White Cluster
Note de 4/5
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Note de 5.0/5 pour cet album
"Un sommet de bravoure"
Julien, le 08/01/2024
( mots)

Par-delà les ombres, j'avance et traverse les limbes de l'oubli pour échapper à mon passé grisâtre. Désormais la route est certaine. Un soleil voilé apparait derrière l’imposante tour du château qui pointe au-dessus de la forêt. Me revoici à votre porte. Moi. Celui que vous avez rebaptisé "Paria", banni depuis près de quinze ans. A vos yeux je ne suis qu'un être immonde et corrompu car dépourvu de la foi en Dieu. Ce tyran dont l'autorité suprême fait fi de tous compromis possibles. Je refusais de courber l'échine devant la vérité biblique. L'unique. Dominante. Celui qui rejette la main froide et distante de Dieu n'a pas sa place parmi vous. Plutôt qu'attendre la promesse illusoire de la vie éternelle, j'avais fait le choix de courir sur le chemin de notre condition mortelle. Ainsi ai-je trouvé ma lumière dans l'amour que je vaux à Mélinda. Elle est l'unique raison de mon retour devant vos yeux brûlants d'animosité. Nous laisserez-vous nous dérober à votre utopie mystique ?


 


A l'aube de cette année 1999, l'horizon semble dégagé et s'ouvrir sur des jours sereins pour les suédois de Opeth. Contrairement à l'effort précédent, My Arms Your Hearse, le groupe entre en studio en formation complète, à quatre têtes, incluant la doublette rythmique des Martin : Martin Lopez (batterie) et du talentueux bassiste Martin Mendez. Le quartet enregistre Still Life sous la bannière de la maison de disque Peaceville Records. Un label d'une envergure supérieure comparée au familial Candelight Records qui avait distribué leurs trois efforts précédents.
Pourtant cet élan positif ne saurait masquer les doutes profonds qui habitent Mikael Åkerfeldt, à cette époque, quant à la pérennité de Opeth.
"Je venais tout juste de quitter la maison de ma mère – je dormais sur le canapé d’un ami – lorsque nous avons fait Still Life. J’étais vraiment pauvre. Je n’avais pas d’avenir… quel qu'il soit, il m'apparaissant sombre… Ma vie privée était vraiment lamentable. Nous avions fait trois disques auparavant et rien ne s'était passé pour le groupe. Nous n’avions fait qu’une seule tournée… Celui-là (l'album Still Life), c'était la dernière tentative avant qu'on abandonne. Alors je me suis dit : "allons-y à fond". All in !"
Carte sur table, Åkerfeldt a la bonne idée de ne pas tout remettre en question. Au contraire. Le disque précédent a ouvert une nouvelle approche de la composition dans laquelle Opeth va largement s'enfoncer pour en tirer toute la quintessence.
Still Life consolide les forces de son prédécesseur. Ainsi l'approche prépondérante du concept album est reprise. Le quatrième opus des suédois nous raconte une histoire en vignettes :
Chassé pour son manque de foi, notre héros -nommé Outcast- retourne au château qui l'a vu grandir, afin de rejoindre son grand amour : Melinda ("The Moor ") avant de se heurter à la résistance des habitants ("Godhead's Lament"). Il retrouve Melinda et prennent la décision de s'échapper ("Benighted") tard dans la nuit à la lumière d'une lanterne ("Moonlapse Vertigo"). Ils partagent un instant de paix ("Face of Melinda"), avant que son amour ne soit enlevée et assassinée par les habitants de la ville ("Serenity Painted Death"). Damné une fois de plus par sa maison, notre héros est ramené au château et pendu ("White Cluster").
Sa plume, Opeth va la renforcer avec le visuel. Réalisé par le graphiste américain Travis Smith, l'artwork agrippe l'inconscient de l'auditeur tout du long de l'écoute. Le disque est imprégné de ce rouge, tantôt sanguinaire, tantôt crépusculaire, qui souligne la souffrance visible sur cette Sainte Vierge -ou toute autre chose qui semble s'y apparenter- laissant éclater le contraste avec la sérénité du lac et de la végétation qui l'entoure.
Une pochette à l'image des titres du disque : partagée entre une violence brutale et instants d'apaisement contemplatif.
S'il reprend la structure du disque précédent, Still Life élude les rares défauts de My Arms, Your Hearse. Un constat manifeste à l'écoute des transitions entre les différentes sections stylistiques présentes au sein d'un même titre, auparavant abruptes et sans réel liants : la continuité prévaut à l'intérieur de chacun des morceaux gageant de la qualité intrinsèque de l'album.
"Godhead's Lament" catalyse cette rigueur. Le couplet, joué au son d'un death-métal démoniaque, se fond au refrain solaire au gré d'un solo cousu dans la mélodie de ce dernier. La réverbération accompagne l'élan électrique jusqu'aux arpèges acoustiques, avant que le larsen métallique ne se métamorphose en une ligne mélodique raffinée. Le façonnage de ses compositions, précis, rigoureux, va donner à Åkerfeldt l'opportunité d'étaler son hégémonie vocale pour inonder son œuvre, déchirée entre le scintillement du chant clair et l'obscurité du grawl


 


Repenti. Vierge de ce masque de peur qui ornait mon visage avant que je croise, à nouveau, la lueur dans tes yeux. Mon cœur l'emporte sur leur raison. La conviction en mon amour est supérieure à celle dédiée à leur foi. Toi aussi Melinda tu le perçois maintenant. Notre fuite est indispensable. Partons. Ensemble. Loin de la dictature de la pensée religieuse, loin de ses lieutenants fanatiques prêts à tout pour faire taire notre amour. Nous avançons, main dans la main vers notre spiritualité, éveillés par la croyance en nos cœurs emmêlés pour l'éternité. Nous courrons ensemble, jusqu'à l'aube de notre promesse, menacés par le crépuscule de la punition divine.


 


Confiant dans la structure des ses compositions et avec l'assurance d'un apport technique encore plus solide, octroyé par la présence de Martin Mendez à la basse, Opeth explore de nouveaux sentiers stylistiques. Pièce intégralement acoustique, "Benighted" voit les suédois ouvrir leur musique aux structures progressives. Celles qui influencent tant Åkerfeldt. Du minimalisme bouleversant à l'expression d'un solo baroque, on perçoit en "Benighted" un prélude à l'album Heritage qui verra le jour douze années plus tard.
Le chanteur nous gratifie d'un second morceau proposé intégralement au chant clair sur le splendide "Face Of Melinda". Un morceau miroir avec une première partie feutrée, à la teinte jazz, incarnée par la section rythmique qui voit Mendez enregistrer sur une basse fretless, quand Lopez joue sa partition de batterie avec balais. Puis vient l'implosion des guitares et l'ensemble transpire, dès lors, une profonde mélancolie noyée dans la beauté noire du texte souverain chanté par Akerfledt :
"Endlessly gazing in nocturnal prime, she spoke of her vices and broke the rhyme but baffled herself with the final line. My promise is made but my heart is thine." "Contemplant sans fin l'aurore nocturne, elle parlait de ses vices et brisait la poésie mais elle se confondit avec la dernière ligne. Ma promesse est faite mais mon cœur est tien".
Pour autant, ne nous y trompons pas, Still Life reste, malgré ces deux titres, un sommet ancré dans le métal. Åkerfeldt y déploie l'entièreté de l'éventail de son chant grawl : rageur ("Moonlapse Vertigo") quand il n'est pas caverneux ("Serenity Painted Death") mais aussi capable de déchirer le voile des abysses dans les derniers instants de "Godhead's Lament". La production n'est pas en reste pour renforcer l'immersion dans les ambiances ténébreuses, telles qu'on peut les retrouver sur "White Cluster" avec l'utilisation de chœurs qui, mariés à la lourdeur ambiante, deviennent un ensorcellement maléfique.
Côté guitare, on se délecte de riffs à la rythmique aiguisée ("Serenity Painted Death") mis en lumière par de léger gimmicks de production ("Godhead's Lament"). Les six-cordes qui éblouissent par leur sens mélodique, à l'image des riffs placés en introduction des titres "Serenity Painted Death" et "Moonlapse Vertigo". Autant de chemins sombres et violents mais dans lesquels on s'arrête, systématiquement, pour une, ou plusieurs, suspensions contemplatives sous un ciel atmosphérique scintillant d'étoiles acoustiques suspendues à la clarté envoutante du chant. 


 


L'ombre de Melinda sur un arbre. Dans mes yeux, le reflet de son collier rouge. Corde au cou. La cruauté divine sans limite. Je la combattis avec la violence propre aux simples mortels. Une colère aveugle et débordante mais dont la peine contenue en mon cœur redonnait la vue. Mes mains abreuvées du sang des croyants, je tombais à genoux. Mis à terre par mon chagrin plutôt que par la sentence céleste. La foi en mon amour volé, la confiance en ma haine. Vous m'avez repris Melinda mais dans notre rêve éveillé c'est à vos idées que nous nous sommes dérobés. Mon sourire carnassier pour accueillir le divin. Venus contempler la sentence mortuaire, j'emporte mon histoire en enfer. Un "Paria" à jamais gravé dans vos mémoires. Un compagnon d'infortune jusque dans votre tombe.


   


La piste d'ouverture "The Moor" forme le point de convergence de la substance, si particulière, de Still Life. Un peu plus de 11 minutes d'une traversée démarrée dans les profondeurs des échos jusqu'à la révélation de la fureur déployée autour d'un riff martial et emmené par toute l'animosité d'un grawl déchaîné. Le voyage, jusqu'alors ténébreux, nous propulse, sans nous y attendre, dans une forêt apaisante bercée par de légers chœurs perceptibles au cœur de la grandeur environnante. Puis les échos introductifs réapparaissent. L'illusion pacifique s'évapore pour amorcer la descente finale jusqu'à atteindre le cœur des abysses. 


D'une aisance technique frisant l'insolence, la quatrième production de Opeth n'est pas un disque que l'on traverse. Still Life n'est pas, non plus, un disque que l'on lance puis qu'on oublie.
Un album de contraste, terriblement troublant tout en étant si magnifiquement cohérent. Faisant fi de toute forme d'évidence, ses compositions nous amènent toujours dans des lieux inattendus. Par monts. Par vaux.
Album de voix au pluriel. L'une qui dérange, celle qui nous heurte. Sans doute parce qu'elle expose de manière abrupte cette violence inscrite en chacun de nous et que nous choisissons de laisser en sommeil dans nos vies. La seconde apaisante, celle qui nous retient au-dessus du gouffre abyssal mais qui, avec les écoutes répétées, nous susurre, avec toute sa grâce, de nous laisser aller dans ce grand vide.
Album capable de façonner clandestinement une porte vers l'exploration et l'adaptation de l'oreille pour franchir la lisière menant aux contrées stylistiques plus extrêmes.
Album révélateur. Avant-gardiste. Intemporel.  

Commentaires
Yessongs, le 08/01/2024 à 10:23
Certainement un bon album. Album culte, je ne pense pas !
FrancoisAR, le 08/01/2024 à 10:08
Très belle chronique, qui plus est très poétique.