Parannoul
After the Magic
Produit par Parannoul
1- Polaris / 2- Insomnia / 3- Arrival / 4- We Shine at Night / 5- Parade / 6- Sketchbook / 7- Imagination / 8- Sound Inside Me, Waves Inside You / 9- Blossom / 10- After the Magic
Si je vous dis "épidémie dont l’origine est estimée en Asie, plutôt récente, extrêmement contagieuse, ayant eu une influence ravageuse sur la culture, en particulier sur la vie des plus jeunes, et qui commence par la consonne occlusive vélaire sourde (le son [k]!)"?
La K-pop bien évidemment !
Ami lecteur, ne craint rien, il sera pas question ici de ces néo boys band asiatiques écrasant tout, y compris le bon goût, sur leur passage. En revanche, la Corée est bien au centre de la chronique qui suit. A l’inverse des néanmoins excellents compatriotes de Say Sue Me, le chant est ici en coréen en quasi exclusivité.
After the Magic est officiellement le troisième album de l’artiste coréen Parannoul. Officiellement seulement, car le lascar est difficile à cerner. Un paquet d’EP sous le pseudonyme laststar par ici, un autre album en 2021 en collaboration avec Asian Glow par là… Le musicien est clairement multi-facettes. Sa musique sous la bannière Parannoul l’est tout autant, comme en témoignait déjà le LP de 2021 To See the Next Part of the Dream. Ce disque, ainsi que son frère jumeau débarqué quelques mois plus tôt seulement, Let’s Walk on the Path of a Blue Cat, avait marqué les esprits sur Bandcamp, à l'instar des premiers émois autour du compagnon lo-fi Car Seat Headrest. Le shoegaze très mélodique de Parannoul a su toucher un large public, malgré des progrès à apporter notamment à la production. Cette marge de progression est quasi anecdotique lorsque l’on apprend que la plupart des pistes instrumentales ont été enregistrées à l’aide de synthés MIDI ! Pour un résultat tout bonnement hallucinant.
Le mystérieux musicien derrière le pseudonyme réalise que, pour confirmer tout le potentiel entrevu sur ces premières galettes, un coup de pouce serait peut-être le bienvenu. C’est dans ce contexte que le label indépendant américain Topshelf intervient dans la production d’After the Magic, qui voit la démarche respectée mais agrémentée de musiciens de studios pour l’enregistrement de l’album.
Autant ne pas y aller par quatre chemins, ce disque est un petit bijou de fraîcheur. L’onirisme déjà présent sur les compositions précédentes est toujours là, voire accentué. Est-ce l’effet d’écoute dans une langue inconnue ? Il s’agit nécessairement d’un facteur prépondérant. Les seules indications sur les thèmes abordés par Parannoul sont données par les titres des chansons, énoncés en anglais. L’occasionnel vers chanté dans la langue officielle du rock arrive presque comme un cheveu sur la soupe, comme sur le gigantesque "Arrival", sur lequel le musicien susurre "I dream to you". Le rêve, encore et toujours.
Les compositions de Parannoul sont d’une complexité instinctive. Tantôt très intimiste, comme sur les arpèges de piano sur l’intro des merveilleux "Insomnia" et "Parade", tantôt vertigineuse, au travers des fûts martyrisés sur "We Shine at Night", la musique du vrai-faux groupe est dense mais prend le temps de rajouter de subtiles touches pour donner aux morceaux une coloration tout à fait unique, un gradient patient et progressif.
Les influences des groupes références du shoegaze sont évidemment les premières à sauter aux oreilles : "We Shine at Night", "After the Magic" sont remplis d’emprunts à My Bloody Valentine, Slowdive et autres Ride. Mais résumer la musique de Parannoul à une vulgaire copie de ces illustres modèles serait lui faire insulte. Ses chansons se font également plus expérimentales, comme le troublant "Sketchbook", son vocodeur et son explosion très EDM*. Le morceau change de braquet encore plusieurs fois, passant de la pop à l'électronique plus ambient puis à la folktronique façon The Postal Service. Une maestria qui permet au musicien de démontrer l’étendue de son talent avec une liberté et une indépendance totales.
La véritable force de Parannoul sur ce disque, en opposition avec les prédécesseurs, réside dans la production et la gestion de l'enchaînement des morceaux. Le petit bijou rock "Imagination" débarque à point nommé après les bidouillages électroniques décrits plus haut. Le titre qui ouvre l’album, le solaire "Polaris", joue brillamment la carte de l’accessibilité avec ses chœurs, "woowoo" en ouverture et ses cordes. A mi-parcours, l’ambiance musicale évolue radicalement, et ce sont les synthés qui prennent le relais sans pour autant brusquer l’auditeur ; finalement, le refrain diablement efficace fait son retour pour conclure une entrée en matière qui promettait déjà la lune aux amateurs de voyages sensoriels.
Les idées, les mélodies et les textures s’enchevêtrent sur "Insomnia", où la rythmique vient fracasser la tranquillité du chant et du motif au clavier. Le riff de mi-parcours sur "Arrival" n’est que l’une des milles idées qui semblent avoir traversé l’esprit du compositeur sur ce monumental morceau aux accents noise rock. Cet aspect peut s’avérer être déconcertant : le disque, en bon représentant de la famille des mille-feuilles, est un peu lourd à digérer d’une traite. "Blossom", bien que porteur d’une des plus belles mélodies de l’album, peine à maintenir de l’intérêt en raison de sa durée de plus de six minutes.
After the Magic est un disque dense, complexe, qui réalise l’exploit de conserver une accessibilité remarquable. Certes les titres sont longs, mais les écueils de productions et de compression des compositions précédentes ont été largement gommés pour donner naissance à une véritable pépite.
A écouter : "Polaris", "Imagination", "Arrival".
*Electronic Dance Music