Roger Waters
Is This The Life We Really Want ?
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25 années... Ouah. C'est le temps qu'il a fallu à Roger Waters pour sortir un nouvel album solo après l'excellent Amused To Death sorti en 1992 (je ne compte pas l'opéra Ca Ira de 2004 sur la révolution française). Il faut dire que l'ex-Floyd a été très occupé au cours des années 2000 avec pas moins de 3 tournées internationales dont la dernière, Roger Waters The Wall Live, s'est achevée en 2013 et a donné lieu à un film musical sorti en 2015. Certainement essoufflé par ces tournées frénétiques, Roger Waters retourne en studio et nous offre un album plus calme mais tout aussi engagé.
Ce n'est pas réellement un concept album comme nous en avions l'habitude. Il s'agit davantage du témoignage d'un septuagénaire portant un regard sur le monde d'aujourd'hui. En ce sens, il s'inscrit en quelque sorte dans la ligne d'Amused To Death mais adapté au XXIe siècle et sans ligne directrice, si ce n'est la dénonciation. Les textes sont toujours soignés, le combats sont bien identifiés. Mais, qu'on se le dise, nous sommes assez loin des envolées musicales et des soli de guitare d'antant, bien que l'album soit d'une qualité audio remarquable (une fois de plus)... Non, l'ambiance est au calme, musicalement du moins, car Waters n'a rien perdu de sa verve et de son verbe.
La voix a bien vieilli. Il y a davantage de chuchotements que de hurlements, ce qui s'explique surtout par l'âge du bonhomme qui ne peut plus vraiment se permettre de crier comme il le faisait 30 ans auparavant. C'est tout le paradoxe de Waters d'ailleurs. Nous le verrons dans ses projets suivants mais on observe que plus le temps passe et que sa musique s'adoucit, plus son engagement et sa combativité politique se font féroces (jusqu'à parfois fleurter avec les limites...). Is This The Life We Really Want ? en est l'excellent (premier) exemple.
Et c'est probablement ce qui a justifié l'accueil mitigé de la critique et du public. On pouvait lire que l'ancien leader de Pink Floyd, après un Amused To Death de génie, était en bout de course, vieillissant, continuant à ressasser ses vieilles obsessions gauchistes et ne livrant plus de morceaux d'exception en terme de musicalité et de concept. Conneries. D'une part, je crois que Waters, en 2017 et à 74 printemps n'a plus vraiment grand chose à prouver à la face du monde en terme de génie créateur, de musicalité et de concept. D'autre part, et l'argument est facile, je l'admets, si le monde était autre, le bassiste n'aurait pas à revenir sur ce qu'il dénonçait déjà 30 ou même 40 ans auparavant.
C'est pourquoi, à mon sens, cet album doit être salué : car il est le témoignage sur microsillons d'un soldat qui, se battant depuis 40 ans, constate que rien ne change vraiment. Donc, il réitère. Et, partant de ce constat, qui ne donne pas envie de jeter des confettis partout, l'ensemble est effectivement sombre. Le ton est d'ailleurs donné dès les premières minutes de l'album avec un titre acoustique on ne peut plus évocateur ("Déjà Vu"), précédé d'un autre qui nous rappellera évidemment "Speak To Me" de l'époque Dark Side ("When We Were Young").
Le défaut majeur que l'on pourrait faire à ce disque est moins son calme que l'homogénéité des morceaux. Peut-être est-ce voulu, certes, mais il n'y a que très peu de moments qui se détachent de l'ensemble pour nous réveiller un peu. On notera parmi ceux-là l'excellent "Picture That" critiquant la société TikTok, Instagram et autres où tout est immortalisé sans réelle réflexion. Le déroulement du morceau n'est pas sans nous rappeler "Sheep" à vrai dire, avec ses variations de rythme aidés par les fills énergiques de batterie. C'est très bon. Aussi, "Smell The Roses", le morceau le plus rock de l'album où l'on perçoit, enfin, des guitares bien enragées en fond. Le tout avec un refrain très accrocheur. On pense ici à "Have A Cigar" sur la construction et sur les effets sosnores.
Le morceau titre est appréciable ("Is This The Life We Really Want ?"). C'est une sorte de synthèse de la pensée waterisenne de 2017, introduite par la voix de Donald Trump que notre bassiste déteste au plus haut point mais ne le cite jamais. Roger Waters renoue avec le style pesant, tout en tension avec un morceau qui monte, monte, monte jusqu'à l'explosion. On connaît déjà ce style qui lui va à ravir : voix calme et nasillarde au début et cris de détresse à l'issue. Cela s'entend également sur "Broken Bones", ballade acoustique très agréable nous rappelant les heures de The Final Cut au même titre qu'"Oceans Apart" qui nous ramène sur "Southampton Dock".
On pourra conseiller aussi "The Last Refugee", single, qui s'attaque à la dénonciation de la crise migratoire européenne et à la défense du sort des réfugiés de façon très juste et émouvante, ainsi que "Bird In A Gale" qui montre que notre Waters a encore de la voix, mine de rien. Non, ne me parlez pas d'autotune ou de correcteurs en studio, je m'en fiche, c'est beau.
Cet album ne fait pas partie des meilleurs moments de Roger Waters, cela ne fait aucun doute. On passe un moment agréable, calme (combien de fois ai-je écrit ce mot ?) en retrouvant le Waters que l'on connait même si l'on peut, parfois, s'ennuyer un peu malgré les quelques morceaux "sursauts" énoncés précédemment. C'est un album de textes plus qu'un album musical et cela sera encore plus vrai dans les années à venir dans le démarche de Waters : se concentrer encore plus sur le sens de ce qu'il a à dire plutôt que sur la musique qu'il a à composer. C'est d'ailleurs ce qu'il a toujours pensé.
A relire cette chronique, je m'aperçois qu'au fil des morceaux, des bribes du passé ressurgissent, nous laissant l'image d'un rocker ayant bien roulé sa bosse et qui commence à faire le bilan. Ici, le bilan du monde qu'il a tant essayé de changer durant quatre décennies. Reste que malgré les réserves, cet album demeure un très bon opus qu'on recommandera de ne pas écouter en premier dans la discographie de Waters pour l'apprécier, mais en dernier, pour le comprendre.